Lorsque Ibrahim Kaypakkaya mène son enquête dans la région de Kürecik en octobre 1971, il ne part pas de rien. En effet, la THKO avait déjà mené de la propagande précisément dans la zone étudiée, alors que trois de ses membres, Sinan Cemgil, Alparslan Özdoğan et Kadir Manga furent tués par la police lors de leurs préparatifs pour attaquer le radar américain. Cela a donné naissance à une véritable effervescence révolutionnaire.
Ibrahim Kaypakkaya constate ainsi que les bergers sont les plus favorables à la lutte armée paysanne, qu’ils ont aidé la THKO, qu’ils connaissent parfaitement le terrain, les grottes et les cachettes.
Il note que la grande majorité des paysans sont pauvres et endettés, qu’ils doivent s’expatrier même au moins temporairement quand ils ne rejoignent pas une ville ou l’Allemagne. Il dit d’elle :
« Cette couche a un fort désir de révolution et de lutte armée ; elle se moque de toutes les vues réformistes et bourgeoises. Ce sont les principales forces sur lesquelles nous nous appuierons dans les zones rurales. Leur destin et leur émancipation sont fermement et indissolublement liés au destin et à l’émancipation du prolétariat. »
Il y a également les paysans moyens, dont la partie la plus pauvre va dans le bon sens :
« La classe supérieure des paysans moyens sympathise également avec la révolution. Cependant, cette section ne donne pas beaucoup de probabilité aux ouvriers et aux paysans qu’ils puissent réussir par la lutte armée. Ils sont souvent influencés par le réformisme bourgeois.
Ils sont très curieux de savoir s’il y a des officiers dans l’armée qui prennent notre parti, et ils comptent sur eux. Ils voient les classes dirigeantes comme plus fortes qu’elles ne le sont et le peuple comme plus faible qu’elles ne le sont.
De telles opinions sont particulièrement courantes chez ceux qui ont de bonnes chances de rejoindre les rangs des paysans riches.
À l’avenir, lorsque la vague de la révolution grandira et grossira, cette section des paysans moyens rejoindra également les rangs de la révolution, libre de toute indécision. »
Les paysans riches ne forment eux que 1 % des familles paysannes de la zone et ne forment pas un obstacle majeur.
Ibrahim Kaypakkaya note également qu’à l’époque de l’empire ottoman, il y avait des départs pour les montagnes de rebelles attaquant les aghas, c’est-à-dire les fonctionnaires de la cour du Sultan.
Ces derniers ont réussi à maintenir une influence jusque les années 1950 ; il y a également les forces religieuses qui ont une action néfaste encore dans plusieurs villages de religion sunnite, les autres étant alévies et à l’abri de cet aspect.
20 des 21 villages sont également kurdes, mais ont connu une large intégration dans l’identité turque.
Ibrahim Kaypakkaya formule alors, au vu de ce bilan, ainsi la substance de son enquête :
« Les principales caractéristiques économiques, sociales et politiques de la région dans laquelle nous opérons sont les suivantes :
1) Le capitalisme commercial dans la région s’est développé rapidement, surtout ces dernières années, et les biens des monopoles impérialistes et des grands capitalistes collaboratifs ont été amenés dans les villages, et les biens des paysans ont été déplacés vers le marché en nombre croissant chaque année. Journée. Cette évolution a conduit à l’exploitation impitoyable, à la faillite et à la misère des paysans par les monopoles impérialistes, les bourgeois collaborationnistes et une masse de marchands intermédiaires.
2) D’autre part, la division sociale du travail dans la production n’est pas encore réalisée ; c’est-à-dire le système dans lequel les propriétaires fonciers ou les bergers qui achètent la force de travail d’une part et les ouvriers et semi-travailleurs qui gagnent leur vie en vendant leur force de travail d’autre part, ne pourraient pas être réalisés. Il n’y a pas encore de branche de production dans laquelle la production est faite spécialement pour le marché. Le capitalisme est à un niveau très arriéré et primitif. Les paysans riches sont nouvellement formés et ils exploitent et font prospérer la masse des paysans non par le travail salarié mais par la dette portant intérêt.
3) Les paysans pauvres et de la classe moyenne de la région subissent des pressions nationales et religieuses ainsi que des pressions économiques. Pendant des années, les villageois ont courageusement résisté à l’oppression dans les trois régions et ont traversé d’importantes luttes.
4) La grande masse de paysans (paysans pauvres et de la classe moyenne, même la classe inférieure des paysans riches) qui sont volés et exploités jusqu’à l’os avec des profits commerciaux élevés et des intérêts sur la dette forment les forces de la Révolution démocratique populaire et prennent rapidement leur place dans les rangs de la lutte révolutionnaire. Les faiseurs d’intérêts, certains paysans riches, les commerçants profiteurs, le clergé réactionnaire, les fonctionnaires corrompus, corrompus et tyranniques, plus indirectement les grands capitalistes collaboratifs et l’impérialisme américain sont les ennemis des paysans et forment la contre-révolution.
5) Dans la région où nous opérons, il n’y a presque pas d’autorité locale. Comme dans les plaines d’Urfa, Mardin, Diyarbakir, il n’y a pas de forces spéciales ni de gardes du corps des réactionnaires locaux pour faire pression sur les villageois. Les réactionnaires maintiennent leur domination sur les paysans en s’appuyant directement sur l’autorité de l’État (gendarme, commando et organisation policière, militaire).
Par conséquent, la politique de « l’extermination des ennemis de classe » pour la prise du pouvoir ne peut pas être la politique principale dans cette région. La lutte pour le pouvoir doit être menée directement contre les forces de l’État (c’est-à-dire contre l’autorité centrale). »
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