L’enquête menée par Ibrahim Kaypakkaya dans la région de Kürecik aboutit à une conclusion de fond : il se passe quelque chose et il faut en être. Il va synthétiser ce point de vue dans la Critique générale – origine et développement des différences entre le révisionnisme de la Şafak et nous ; Şafak (Aube) étant alors l’organe de la direction du TIIKP.
La ligne d’Ibrahim Kaypakkaya est, au sens strict, la même que celle de Charu Mazumdar en Inde avec le Parti Communiste d’Inde (Marxiste-Léniniste). On y trouve la même interprétation : le pays bascule, il y a un espace pour la lutte armée, et la victoire est d’autant plus possible ici que la situation révolutionnaire mondiale est en expansion.
On y trouve la même thèse comme quoi il n’est pas la peine d’attendre que le Parti soit organisé dans tout le pays ; pareillement, il est considéré que le pouvoir rouge peut exister malgré l’existence d’un État central stable, la situation semi-féodale semi-coloniale permettant d’aller suffisamment de l’avant pour faire basculer les choses.
On y trouve également la même clef pour y parvenir justement : l’élimination des ennemis de classe dans le cadre de la révolution agraire, en poussant éventuellement les retranchements jusqu’aux villes.
Ibrahim Kaypakkaya, dans la Critique générale, souligne ainsi que :
« Dans notre pays, la lutte armée doit principalement avoir comme objectif de renverser l’autorité locale et centrale dans les campagnes, d’instaurer le pouvoir des paysans sous direction du prolétariat.
La forme de cette lutte dans la phase actuelle est la guerre de guérilla.
L’activité guérillera consiste en l’élimination des propriétaires terriens, des bureaucrates ennemis du peuple, des dénonciateurs, des usuriers, leur punition de différentes manières, l’expropriation de leur argent et de leurs armes, ainsi que l’attaque sur un tas de cibles vivantes et non vivantes.
Et c’est l’affaiblissement, le démantèlement et ensuite le renversement de l’autorité réactionnaire, et à sa place l’instauration de l’autorité révolutionnaire ! »
C’est la raison pour laquelle Ibrahim Kaypakkaya admet le pillage de banques et les enlèvements comme formes possibles de la lutte armée ; en fait, il prend totalement le contre-pied de la direction du TIIKP. Ce dernier en effet pose comme condition préalable qu’il soit présent dans tout le pays, qu’il y ait un congrès socialiste au niveau national pour unifier les forces.
Les événements des 15 et 16 juin 1970 avaient été un déclencheur de cette question de la nature de la rupture nécessaire. Une nouvelle loi anti-syndicale avait amené une mobilisation massive de la classe ouvrière ; à Istanbul, la répression fit plusieurs morts et la loi martiale fut déclarée dans le pays pour deux mois. L’armée prit également l’initiative par la suite de faire un coup d’État en mars 1971.
Il était évident, au vu des événements, que le TIIKP espérait une sorte d’union des forces de gauche et ne cherchait pas le combat révolutionnaire, mais simplement à se placer en ce sens de manière opportuniste.
Les faits vont entièrement donner raison à Ibrahim Kaypakkaya, puisque la direction à laquelle il s’opposait va ensuite chercher le plus à se protéger, quitte à s’aligner sur le régime, à adopter le nationalisme, à dénoncer les activistes de gauche en fournissant leurs noms et adresses y compris dans l’illégalité, etc.
Ibrahim Kaypakkaya, à rebours de la ligne de la direction du TIIKP, met en avant les trois armes du peuple : le Parti Communiste, l’armée populaire sous direction du Parti, le front unique du peuple.
Pour lui, il existe la possibilité historique, comme cela est présenté dans la Critique générale, de transformer les villages arriérés en « forteresses militaires, politiques, économiques et culturelle de la révolution ». L’absence de développement réel dans les campagnes permet aux révolutionnaires de les transformer en bases pour affronter un ennemi dont le fondement tient aux grandes villes.
La clef est ainsi la lutte armée, à mener le plus rapidement possible ; c’est la guérilla qui déclenche le processus à condition que le Parti l’assume et l’oriente, se transformant et se forgeant par là même :
« Le nœud central qui doit être saisi pour la mise en place du pouvoir politique rouge, c’est la construction du Parti et de l’armée dans la lutte armée ».
C’est le sens de la démarche de la mise en place au sein du TIIKP, en février 1972, du Dogu Anadolu Bölge Komitesi (DABK, Comité Régional d’Anatolie Orientale). C’est la fraction rouge dirigée par Ibrahim Kaypakkaya, qui se rebelle contre la direction révisionniste du TIIKP, mais assume également la rupture avec la majorité de ce parti qui s’est aligné sur elle.
Pour le DABK :
« Le combat révolutionnaire dans notre pays a atteint un point si important que désormais un courant, même s’il se présentait comme mouvement communiste, qui ne prendrait pas la voie de la lutte armée sera [forcément] isolé des masses. »
C’est le DABK qui amènera, le 24 avril 1972, à la constitution du TKP/ML et de la TIKKO.
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