Ibrahim Kaypakkaya et le pouvoir rouge

Il faut le pouvoir rouge, pour pouvoir affirmer la révolution démocratique, par la révolution agraire qui ouvre la voie à la classe ouvrière et permet l’alliance avec la bourgeoisie nationale.

Cependant, la direction du TIIKP est concrètement opportuniste, elle converge avec le régime, d’où sa ligne se poser ou de s’imaginer se poser en fait dans un cadre urbain stable, considérant que de toutes façons l’urbanisation amène un basculement à terme, que les choses vont s’arranger pour ainsi d’elle-même – il y a toujours cette tendance à attendre le « putsch » des officiers.

De fait, le dirigeant du TIIKP, Doğu Perinçek, passera ensuite des décennies à présenter sa propre position symbolique comme le socle pour tous ceux qui au sein de l’État turc font contre-poids aux États-Unis, dans un idéalisme fantasmatique sur une base nationaliste de gauche.

Dans sa critique du programme du TIIKP, Ibrahim Kaypakkaya note d’ailleurs une chose importante. Déjà, il y a un emploi populiste des termes d’ouvriers et de paysans :

« La désignation de « Parti des ouvriers et des paysans » ne sert en pratique qu’à brouiller la différence marquée entre la démocratie bourgeoise et la démocratie prolétarienne et ainsi à ternir la conscience de classe du prolétariat. »

Mais il y a aussi le fait que le terme « ihtilal » employé par le TIIKP a une connotation marquée. Si le terme « Devrim » se traduit communément par révolution, celui de « ihtilal » a davantage le sens de soulèvement, de coup de force.

Ibrahim Kaypakkaya constate ainsi :

« Nous devons prendre en compte l’interprétation particulière que le terme « Ihtilalci » a connu dans notre pays au sein du peuple. Le terme « Ihtilalci » est compris en général comme un putsch d’officiers bourgeois.

Les officiers putschistes se nommaient eux-mêmes « Ihtilalci », le peuple a ainsi l’habitude de les assimiler à cela. On parle par exemple du « 27 Mayis ihtilalci » (le « renversement du 27 mai »). Les participants à ce mouvement sont nommés « ihtilalci subaylar » (les « officiers du renversement »). Ismet Inönu est par exemple un vieil « iIhtilalci subay ».

Les soulèvements populaires sont différenciés de ce type de putschisme par le mot « isyan » (soulèvement).

Seyh Bedrettin isyani (le soulèvement de Cheikh Bedreddin [en 1416 avec une perspective mystique panthéiste]), Pir Sultan isyani (le soulèvement de Pir Sultan [dans la seconde moitié du 16 siècle dans une perspective alévie], Baba Ishak isyani (le soulèvement de Baba Ishak [en 1239 comme révolte turkmène]), köylü isyanlari (les soulèvements paysans), Dersim isyani (le soulèvement de Dersim [pendant quinze ans à partir de 1923 dans une région kurde dans les hautes montagnes et suivi d’immenses massacres]), askerkerin isyani (soulèvement des soldats), etc.

Cela rejoint la question démocratique posant la révolution agraire. Le TIIKP n’est pas une bonne base historique pour être dans le cadre nécessaire alors en Turquie, il ne croit pas aux paysans. Et ici Ibrahim Kaypakkaya insiste sur le fait que la question n’est pas celle du nombre de paysans, mais de la nature du régime.

De par la nature semi-féodale d’une Turquie dominée par l’impérialisme, la question démocratique est la clef. C’est cela qui amène au premier plan la question de la féodalité à renverser, et donc la question des paysans.

C’est pourquoi il pose de manière systématisée que la ville est le support des campagnes, et non le contraire. C’est là où le TIIKP montre bien qu’il converge avec un régime dont est attendu une transformation en quelque sorte « naturelle », par un coup d’État des officiers « de gauche » et « patriotiques ».

Ibrahim Kaypakkaya dit ainsi :

« Tant que l’ennemi en tant qu’ensemble a le dessus sur nous, notre politique dans les villes et principalement de « rassembler les forces et de profiter des occasions ». Et, par moments, d’organiser des soulèvements, des replis dans les campagnes.

A côté de cela, il est possible tout d’abord comme soutien à la lutte dans les campagnes, ensuite comme moyen de la défense active contre les agressions réactionnaires, troisièmement comme un des moyens d’accumuler des forces, de mettre en place des actions de guérilla dans les villes.

Tout comme les cambriolages de banque peuvent organiser avec ces buts, à savoir comment l’argent du gouvernement et des réactionnaires peut être exproprié, les ennemis de classe dans les villes peuvent être éliminés.

Par exemple les indicateurs, les officiers fascistes, les policiers pratiquant la torture, les meneurs des organisations fascistes, les patrons tyranniques et leurs aides, les briseurs de grève, les provocateurs, les dénonciateurs, ceux qui exécutent les révolutionnaires et les font être condamnés à mort.

En plus de cela, les liaisons routières et d’informations peut vent être paralysées, les camarades peuvent être libérés des prisons, des sabotages peuvent être menées dans certaines bases militaires et quartiers généraux, commissariats, sièges des organisations fascistes, etc. »

Il tient ici à préciser :

« Si nous approuvons par principe toutes les actions ci-dessous, nous ne perdons à aucun moment de vue que la lutte armée menée pour la révolution agraire doit être principale, et que la lutte dans les villes et toutes les autres formes de lutte lui sont subordonnées. »

Dans sa Critique générale de la direction du TIIKP, Ibrahim Kaypakka formule ainsi onze points résumant sa position :

« 1. Les activités dans les campagnes sont principales, celles dans la ville sont secondaires.

2. La lutte armée est principale, les autres formes de lutte sont secondaires.

3. L’activité illégale est principale, l’activité légale est secondaire.

4. Tant que l’ennemi nous est supérieur au niveau territorial, la défense stratégique est principale.

5. Dans la défense stratégique, l’offensive tactique est principale, la défense tactique secondaire.

6. Dans cette étape de lutte armée dans les campagnes, la guerre de guérilla est principale, les autres formes de lutte secondaires.

7. Dans les villes (les grandes villes), dans la phase de défense stratégique, l’accumulation de forces et l’attente d’opportunités est principale, les autres formes d’organisation secondaires.

8. Dans l’organisation, celle du Parti est principale, les autres organisations sont secondaires.

9. Dans les autres organisations, l’organisation de la lutte armée est principale.

10. La confiance en ses propres forces est principale, s’appuyer sur les alliés est secondaire.

11. Dans notre pays, les conditions de la lutte armée existent. »

Il y a ainsi une nécessité à rejeter les conceptions erronées parlant d’un « développement » capitaliste de la Turquie, car cela forme un obstacle à l’affirmation de la nécessité de la révolution démocratique.

Dans sa critique générale de la direction du TIIKP, il rappelle que :

« Nous devons nous démarquer de manière marquée, expressément, des prétentions révisionnistes et trotskystes disant que l’impérialisme dissout le féodalisme par le développement du capitalisme, et nous devons expressément rendre clair que le rôle véritable que joue l’impérialisme dans les pays arriérés consiste à les coloniser, à mettre les peuples en esclavage, à piller toutes les richesses, à renforcer sur le plan politique la dictature réactionnaire de la bourgeoisie compradore et les grands propriétaires terriens, à mener encore plus à la misère par l’expropriation les paysans travailleurs. »

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