Le mouvement de critique de l’Église possédait ainsi à la fin du XIVe siècle une véritable tradition, une véritable force idéologique. En 1394 le mouvement réformateur possédait même sa propre église à Prague, construite en trois années, faisant 800 m² et pouvant faire se rassembler 3000 personnes : la chapelle de Bethléem, où le prêche était en tchèque.
L’architecture de l’église témoignait elle-même qu’elle était davantage tournée vers le prêche que vers la liturgie ; elle était déjà l’expression de l’esprit « protestant » qui se développe.
La chapelle elle-même était née de la combinaison protectrice d’un patricien, membre du conseil de la vieille ville, Křiž, et d’un membre du conseil royal, un chevalier allemand. On avait ainsi une alliance entre l’empereur et la bourgeoisie, dirigée contre l’influence de l’Église catholique.
En 1393, l’empereur Venceslas Ier n’hésita même pas à faire torturer, en sa présence, les fonctionnaires du vicaire général de l’archevêque, Johann Nepomuk, celui-ci étant torturé par le feu, puis jeté dans le fleuve Vltava.
En arrière-plan se joue ce qui a été appelé le « grand schisme » dans sa version occidentale : d’un côté, il y avait un pape à Avignon, soutenu par les royaumes de France, de Naples, de Castille, d’Aragon, d’Écosse, etc.. De l’autre, il y avait un pape à Rome, soutenu par les royaumes d’Angleterre, de Pologne, de Hongrie, de Suède, du Danemark, etc.
L’Église catholique ne sera réunifiée que dans la première partie du XVe siècle, avec justement en arrière-plan la réforme hussite et la révolution taborite, menaçant l’Église catholique elle-même.
Ainsi, dans la phase de contradiction entre papautés d’Avignon et de Rome, le royaume de Bohême ne pouvait se situer, travaillé par des contradictions internes déjà intenses. Cela ne pouvait que renforcer le mouvement contre l’Église catholique et renforcer une grande instabilité culturelle-idéologique.
A cela s’ajoutait la personnalité lunatique de Venceslas Ier (qui s’enfermait surtout dans une chambre avec ses chiens de chasse), d’ailleurs dans ce cadre de faiblesse royale, il y eut la tentative d’une partie de la noblesse de le renverser, en alliance avec l’Autriche, dans une perspective catholique « ultra ».
Venceslas Ier ne put alors se rétablir qu’au prix d’un grand renforcement des prérogatives de la haute noblesse ; celle-ci s’appropria tous les hauts postes de l’administration. C’était une constante de la période, l’aristocratie s’opposant par tous les moyens à le genèse de la monarchie absolue.
Au XIVe siècle, l’aristocratie avait prise entre ses mains le « tribunal du pays » (zemsky soud) qui était la plus haute cour de justice du pays, mais aussi les principales fonctions de l’administration royale.
La noblesse jouait donc sur plusieurs tableaux en même temps, étant en concurrence à la fois avec le clergé et avec le roi ; les alliances étaient malléables, dans une perspective totalement opportuniste.
Ainsi et inversement, du coté royal et d’une partie de la noblesse, le mouvement d’opposition à l’Autriche et le catholicisme se prolongea avec la modification des droits de vote à l’Université de Prague, amenant une grande émigration de nombreux locuteurs allemands, qui fondirent alors l’université de Leipzig.
La décision était d’autant plus significative que le décret a été pris à Kutna Hora, seconde ville du royaume en raison de ses mines d’argent ; en 1300, elle produisait plus d’un tiers de la demande d’argent en Europe.
Le royaume tchèque affirmait son indépendance financière et politique; le décret expliquait que la nation tchèque de l’université avait trois voix et les autres nations une seule chacune, car la natio Bohemica était la véritable héritière du royaume (eiusdem regi iusta heres).
Mais le déséquilibre de la situation entre le roi, le noblesse et la bourgeoisie était trop grand pour que ce mouvement n’implose pas.
La bourgeoisie ne consistait pas en effet qu’en les riches marchands cherchant de manière institutionnelle à asseoir leur propre position. La naissance de villes, en particulier d’un grand centre comme Prague, alla de pair avec la formation d’une large plèbe.
C’est cette plèbe qui était également mobilisée par la prédication, c’est cette plèbe qui à l’instar des sans culottes mélange revendications anti-féodales et anti-capitalisme petit-bourgeois. Il n’est ainsi pas étonnant que parallèlement à la montée de l’humanisme, cette plèbe réalisa le grand pogrom de 1389, où le ghetto de Prague fut anéanti.
Le rôle du petit clergé fut ici très important. Sa perception du monde était souvent parasitaire et marquée par l’anti-capitalisme romantique du catholicisme, avec sa dimension antisémite.
Le petit clergé, qui connaissait les souffrances du peuple, était lui-même confronté à l’opulence de l’Église et à sa propre misère, mais il ne pouvait pas porter le socialisme comme le faisaient notamment les tisserands. C’était là une grande contradiction au sein du mouvement populaire.
Faibles idéologiquement, mais portées par la tendance historique, ne pouvant plus vivre comme avant (et les classes dominantes pas plus), il y avait pour les grandes masses la possibilité d’un bouleversement historique, d’une véritable intervention, mais cette démarche ne pouvait qu’être déséquilibrée sur le plan idéologique-culturel en raison des retards historiques et ainsi de la profonde influence petite-bourgeoise.
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