Les avancées énormes du fascisme ont deux conséquences à gauche. La première est l’organisation militaire du PCI, la seconde la scission du Parti Socialiste italien.
A partir de 1921 et du tournant de 1922, le PCI dispose de structures clandestines qui sont progressivement efficaces, principalement dans les villes : Turin est son bastion, à quoi il faut ajouter Milan et Rome, ainsi que Novara, Trieste et Gênes.
En fait, à partir de 1922, le PCI n’a plus de structures légales réellement actives ; nombre de ses membres sont licenciés, les isolant socialement. A cela s’ajoute des capitulations, au point que le nombre d’adhérents est passé de 42 956 à la fin de 1921 à 24 638 en septembre 1922.
De son côté, le PSI n’envisage pas du tout la clandestinité. Il est cependant profondément divisé, avec plusieurs fractions ; finalement, en octobre 1922, les réformistes avec à leur tête Filippo Turati et Giacomo Matteotti sont battus, avec 29 119 voix contre 32 106 pour la gauche.
Cela aboutit à l’exclusion de l’aile droite, qui forme alors le Partito Socialista Unitario, avec comme organe de presse La Giustizia (La Justice), emportant 61 parlementaires et de nombreux cadres des syndicats et des coopératives.
Le PSI bascule à gauche, avec 25 000 militants et 30 députés et envoie une délégation au IVe congrès de l’Internationale Communiste, qui décide – contre la direction du PCI – de faire fusionner le PCI et le PSI dans un Parti communiste unifié d’Italie.
Dans la résolution sur la question italienne, on lit ainsi notamment :
« L’absence d’un parti ouvrier révolutionnaire décida du sort de la classe ouvrière, consacra sa défaite et prépara le triomphe actuel du fascisme. La classe ouvrière n’a pas su trouver suffisamment de forces, au point culminant de son mouvement, pour s’emparer du pouvoir ; voilà pourquoi la bourgeoisie, en la personne du fascisme, son aile la plus énergique, réussit bientôt à faire mordre la poussière à la classe ouvrière et à établir sa dictature.
Nulle part, la preuve de la grandeur du rôle historique d’un Parti Communiste pour la révolution mondiale n’a été fournie d’une façon plus nette que dans ce pays, où précisément, faute d’un tel parti, le cours des événement a pris une tournure favorable à la bourgeoisie.
Non pas qu’il n’y ait pas eu en Italie, pendant ces années décisives, de parti ouvrier : le vieux Parti Socialiste était considérable par le nombre de ses membres et jouissait, extérieurement du moins, d’une grande influence. Mais il abritait dans son sein des éléments réformistes qui le paralysaient à chaque pas.
Malgré la première scission qui avait eu lieu en 1912 (exclusion de l’extrême-droite) et en 1914 (exclusion des Francs-Maçons), il restait encore dans le Parti Socialiste Italien, en 1919-1920, un grand nombre de réformistes et de centristes. A tous les moments décisifs, les réformistes et les centristes étaient comme un boulet aux pieds du Parti. Nulle part ils n’étaient autre chose que des agents de la bourgeoisie dans le camp de la classe ouvrière (…).
Si la classe ouvrière italienne est obligée en ce moment de reprendre, pour ainsi dire, par le commencement, un chemin terriblement dur à parcourir, c’est parce que les réformistes ont été trop longtemps tolérés dans le Parti Italien.
Au début de 1921 se produisit la rupture de la majorité du Parti Socialiste avec l’Internationale Communiste. A Livourne, le centre préféra se séparer de l’Internationale Communiste et de 58.000 communistes italiens, simplement pour ne pas rompre avec 16.000 réformistes.
Deux partis se constituèrent : d’une part, le jeune Parti Communiste qui, en dépit de tout son courage et de tout son dévouement, était trop faible pour mener la classe ouvrière à la victoire ; d’autre part, le vieux Parti Socialiste dans lequel, après Livourne, l’influence corruptrice des réformistes alla grandissante. La classe ouvrière était divisée et sans ressources. Avec l’aide des réformistes, la bourgeoisie consolida ses positions (…).
La situation générale en Italie, surtout après la victoire de la réaction fasciste, exige impérieusement la fusion rapide de toutes les forces révolutionnaire du prolétariat. Les ouvriers italiens reprendront courage s’ils voient se produire,après les défaites et les scissions, une nouvelle concentration de toutes les forces révolutionnaires. »
Cependant, la fusion ne va pas se réaliser : la direction du PCI, par l’intermédiaire d’Amadeo Bordiga, ne la veut pas, pas plus d’ailleurs qu’Antonio Gramsci au final même s’il est davantage ouvert pour que le PSI soit avalé. Or, le PSI ne le veut justement pas et toute une fraction se lève contre ce qui est considéré comme sa disparition pure et simple.
De son côté, le gouvernement n’attend pas et entend précisément empêcher cette fusion qui formerait un réel bloc antifasciste. Au début de l’année 1923, 5 000 communistes sont arrêtés, soit tous les militants ayant des responsabilités publiques en tant que chefs de fédération et de section, élus, responsables syndicaux, etc. Giacinto Serrati est arrêté dès son retour de Moscou.
Entre février et avril 1923, Amadeo Bordiga est en prison, ainsi que pratiquement tout le Comité Central, 72 secrétaires fédéraux, 41 secrétaires des organisations de jeunesse de province. Il ne reste plus qu’environ 5000 communistes militants, largement éparpillés : on en retrouve 120 à Rome, 54 à Naples, 78 à Gênes, 34 à Pise, 15 à Mantoue, 50 à Bologne, 68 à Turin, etc.
Le PCI doit alors organiser des fonctionnaires du Parti vivant dans la clandestinité, abandonnant tous leurs anciens liens pour s’immerger comme « monsieur et madame tout le monde » dans des zones où ils organisent la presse clandestine, des caches, des planques, les liens entre les cellules clandestines, au départ par des « interrégionales » (Piémont et Ligurie ; Lombardie et Emilie ; Veneto et Vénétie Julienne ; Toscane, Ombrie, Marches, Latium et Abruzzes ; Mezzogiorno).
Voici ce que donne par exemple une circulaire communiste à Ravenne comme conseil face à la répression :
« La police et la magistrature essaieront d’arracher des informations et des dates en interrogeant les camarades arrêtés, en utilisant tantôt la manière violente, la menace, tantôt la manière polie et la flatterie, avec une négligence apparente.
Il arrive souvent que nos camarades aient l’illusion de mieux s’en tirer en donnant des demi informations et en jouant d’astuce.
Cette attitude conduit presque toujours l’interrogé à s’empêtrer dans des contradictions, des omissions, des réticences, des sottises dont l’interrogateur se sert pour le faire chanter.
L’interrogateur a souvent recours à un système de feinte délation, de fausse trahison de la part de camarades pour ébranler l’esprit de l’interrogé, pour lui faire croire qu’il est vain de nier et le pousser à la délation.
Le camarade arrêté ou également interrogé, s’il n’est pas sûr de lui, qu’il nie quelle que soit la question et quelle que soit la manière dont elle est posée : sur les choses du Parti, sur ses membres, ses dirigeants, sur leur travail etc… »
Un élément décisif est également le fait que la répression provoque l’émigration de 100 000 personnes membres de la gauche italienne. L’apathie, le désespoir et l’esprit de capitulation prédominent dans les masses. Les syndicats se retrouvent souvent avec 5 % de leurs membres, alors qu’au niveau national la CGdL voit son nombre d’adhérents passer de 900 000 à 300 000, 30 000 cheminots sont licenciés, les salaires diminuent jusqu’à 50 %, le chômage touche pratiquement 500 000 personnes, la journée de huit heures est de moins en moins respectée.
Les syndicats sous l’égide du fascisme ont, de leur côté, 1,295 million de membres, la majorité dans les campagnes.
Le 1er mai est même remplacé par le « Noël de Rome », le 21 avril, en tant que fête du travail, avec toutefois une série de grèves le 1er mai, dont 20 000 ouvriers à Testaccio, un quartier de Rome. La situation est proche à Gênes, Parme, Milan, Florence et Bari, alors que le drapeau rouge est hissé sur le principal bâtiment de Turin, la Mole Antonelliana.
Le PCI est battu : il ne lui reste plus qu’à renaître.