Le IIIe congrès du PCI avait été une réussite ; les organes de répression ne parvinrent pas à empêcher sa tenue, ni la réalisation de 3000 discussions de cellules pour le préparer. Le PCI vivait une situation de liberté surveillée, de répression dès qu’il progressait trop, avec des actions violentes, jusqu’au meurtre, se réalisant par moment.
Voici une anecdote de l’ouvrier de Turin Celeste Negarville, devenu permanent du PCI, sur sur l’atmosphère des Congrès fédéraux :
« Le Congrès était totalement illégal et il fallait recourir à une série de stratagèmes pour semer les deux policiers qui accompagnaient toujours Gramsci.
Ces péripéties qui consistent, en général, en longues courses en taxi à travers la ville, avec des changements successifs de deux ou trois voitures jusqu’à ce que l’on soit sûr que les policiers aient bien perdu sa trace, le rendaient toujours nerveux…
Je crois qu’il s’irritait aussi parce que son aspect physique le rendait facilement reconnaissable, lui rendant l’opération encore plus difficile…
Au Congrès provincial de Milan, qui dura toute la nuit, assistaient une cinquantaine de délégués réunis autour de la lampe à huile d’une cabane en pleine campagne. »
Toutefois, le fascisme ne compte pas ne pas profiter de sa situation de force, notamment après l’affaire Zaniboni. Le responsable du Parti Socialiste Unitaire, Tito Zaniboni, aidé du général fasciste mais franc-maçon Luigi Capello, tenta en effet de tuer Benito Mussolini, le 4 novembre 1925.
L’opération échoua, mais tendit encore plus la situation ; le régime exigea que la presse soutienne désormais le régime, forçant la presse contestataire à capituler. En septembre 1925, la Stampa fut suspendue pour un mois, par la suite son responsable Luigi Salvatorelli fut obligé de quitter sa direction.
La Rivoluzione liberale est interdite le 1er novembre, son auteur le prolixe Piero Gobetti – qui considérait que les luttes de classes relevait de la concurrence normale au sein d’une société libérale – meurt en exil à Paris à 24 ans d’une bronchite et des suites de ses blessures, après avoir été au préalable brutalement agressé par les fascistes en Italie.
Le 28 novembre, le Corriere della Sera se soumet au régime ; son dirigeant pendant 25 ans, le libéral-conservateur Luigi Albertini qui a même soutenu le fascisme initialement avant de se tourner vers le PSU, cesse tout engagement.
La Giustizia, journal du PSU, est interdit tout comme ce parti suite à la tentative d’attentat de Tito Zaniboni (qui est lui simplement mis en prison). Le journal du PSI, Avanti !, a de son côté subi 76 saisies après l’attentat.
En fait, dès le début de l’année 1926, les préfets avaient saisi systématiquement les journaux critiquant le régime. Même L’Unité – qui tire à 15 à 20 000 – avait été obligée de systématiser son copié-collé d’information de journaux non interdits, et encore cela ne passe pas toujours devant une répression toujours plus zélée.
L’opération d’illégalisation de l’opposition antifasciste intervient suite à la tentative d’assassinat contre Benito Mussolini faite à Bologne le 31 octobre 1926 par l’anarchiste de quinze ans Anteo Zamboni. L’assaillant est lynché par les fascistes et il s’ensuit une interdiction générale de l’opposition, avec une série d’attaques et de meurtres que le journal Il Popolo d’Italia justifie ainsi : « Un régime révolutionnaire a ses lois révolutionnaires inexorables qui en sont la sauvegarde ».
Le 1er novembre, le régime justifie la cessation temporaire (mais indéterminée) de la presse d’opposition, la dissolution des partis et organisations opposés au régime, la mise en prison de quiconque se prononcerait en faveur d’actions contre le régime, la formation d’un service d’enquête politique à chaque direction de légion de la milice MVSN, la mise en place d’un organe judiciaire spécial pour les délits politiques.
Rien qu’à Milan, en huit jours, 1960 personnes ont été arrêtées, 151 violemment passées à tabac, 40 bureaux et maisons mis à sac. A Brescia il y eut 176 arrestations, 30 maisons et bureaux détruits, 10 personnes tabassées, à Vérone il y eut 260 arrestations, trois maisons détruites, à Padoue il y eut 200 arrestations, 40 bannissements et toute une série de tabassages, d’incendies, etc. Rome est la ville la plus touchée, avec 6000 arrestations.
Du côté du PCI, la répression a durement frappé : les bureaux de L’Unité ont été détruits, ainsi que de nombreuses imprimeries dévastées ou détruites ; un tiers des effectifs du Parti se retrouve en prison. Plusieurs milliers de personnes ne resteront en prison toutefois qu’au maximum plusieurs semaines. Mais le dirigeant, Antonio Gramsci, est aux mains du régime.
Palmiro Togliatti dira à ce sujet, à la commission italienne du Secrétariat latin de l’Internationale communiste le 24 octobre 1928, que :
« Il ne fait aucun doute que notre parti n’a pas vu à temps le changement de situation qui s’est produit à la fin de 1926 et au début de 1927. Il n’a pas vu à temps le passage d’un régime de semi légalité à celui de l’illégalité absolue ni la situation qui s’est créée en Italie et qui mettait le fascisme devant la nécessité de mener une attaque particulièrement acharnée contre l’avant-garde de la classe ouvrière.
Il n’a pas compris que ces faits imposaient un changement rapide de ses méthodes de travail et de ses méthodes d’organisation en général.
Qui s’est trompé dans ce domaine ? Un organe du Parti, ou un autre ? Tel ou tel camarade ?
Non. C’est le Parti dans son ensemble qui s’est trompé…
Au début, dans les premiers mois de 1927, quand on voyait que le travail illégal se développait bien, sur une grande échelle, on pensait que cela durerait longtemps, et l’on pensait même « Maintenant, il n’y a plus cette situation de semi clandestinité, on peut mieux travailler, d’une manière plus sûre ». C’était une erreur.
En réalité, l’adversaire nous a étudié pendant un certain temps et après, quand il a réussi à découvrir quelles étaient nos méthodes de travail, qui étaient encore les anciennes méthodes, il nous a frappés très en profondeur et nous avons beaucoup perdu. Nous avons perdu la meilleure partie des cadres intermédiaires de notre parti. »
Pietro Secchia, l’un des principaux dirigeants du PCI, formulera cela de la manière suivante le 5 juillet 1928 à la session du Comité Central :
« Face aux lois d’exception, le parti eut une attitude je m’en foutiste, héroïque et fit apparemment un beau geste.
« Tout est comme avant, se disait-il. Le Tribunal spécial n’est fait que pour effrayer les gens. Nos journaux sont plus diffusés qu’auparavant ».
On prévoyait que « L’Unité » aurait, sous peu, triplé son tirage.
« Un journal pour chaque atelier », disions-nous, nous les jeunes. Et après novembre, commença une fantastique diffusion de journaux, de fascicules, de papier imprimé.
Nous voyions le bon côté de notre activité mais nous ne pensions pas au reste, nous pensions que si les lois d’exception étaient arrivées, elles étaient arrivées pour nous laisser faire ce que nous voulions, nous ne pensions pas que les lois d’exception seraient appliquées sérieusement et qu’elles allaient faucher, faucher abondamment.
Nous ne pensions pas un seul instant à la force du fascisme. Nous ne nous posâmes pas un seul instant la question : est-ce que le fascisme aura la force d’appliquer ses lois ?
Où nous mènera l’application de ces lois pendant une période prolongée ? Nous voulions donner une réponse à la dissolution du parti, à la privation de toute liberté et nous nous lançâmes à corps perdu dans la lutte…
Il était juste que notre parti répondît, il était juste que notre parti fasse sentir son existence aux masses travailleuses et au fascisme. Il était juste que notre parti dise aux ouvriers qu’on ne les avait pas abandonnés.
Mais il y a répondre et répondre. Nous pouvions et nous devions lutter, mais sur un terrain qui nous permettait un minimum de défense, une possibilité de résistance. Nous luttâmes, au contraire, à visage découvert, nous partîmes à l’assaut face aux mitraillettes sans aucun refuge.
C’était la tactique de Cadorna… L’erreur a été commise par tous… Et même la base fut pleine d’initiative, elle a affronté, elle aussi, la lutte avec enthousiasme et ouvertement, trop ouvertement…
À la fin du mois de juin, la base commença à réagir. Elle commença à faire sentir que de cette façon on ne pouvait pas aller de l’avant, que l’offensive engagée était trop inégale… En juin 1927, il n’y avait plus aucun journal d’atelier, il n’y avait plus aucun journal fédéral local… »