En tant que vision du monde, le calvinisme avait à réaliser une tâche très importante. Le mouvement hussite – à la base du protestantisme – avait attaqué vigoureusement l’Église catholique pour son utilisation des images, dégradant la dignité de Dieu afin de servir des intérêts humains.
On a ici quelque chose de bien plus profond que l’argument catholique selon quoi le protestantisme serait une simple révolte contre les abus des « indulgences », où le pape monnayait le pardon divin.
Les choses ont une dimension bien plus immense : il en va de la dignité de l’être humain lui-même. L’être humain dispose de l’entendement, et par conséquent il doit raisonner en toute indépendance, au moyen de Dieu en tant que concept.
Il n’y a donc nulle place pour la superstition, et par conséquent pour le culte des « saints », qui seraient un intermédiaire avec Dieu.
L’entendement ne s’appuie pas sur autre chose que lui-même, l’être humain sur autre chose que lui-même. L’être humain est face à Dieu, par la raison ; il n’y a pas de place pour l’utilisation d’images comme intermédiaires.
L’être humain est face à lui-même, il doit s’auto-exiger la morale, il ne doit pas atteindre qu’on lui ordonne de l’extérieur.
Jean Calvin est par conséquent extrêmement strict dans la mise en avant de la raison, contre la passivité qu’impliquent les images, et surtout leur contenu proprement humain :
« Car d’où vient le principe de majesté à toutes les idoles, sinon du plaisir et appétit des hommes ? »
L’image, appliquée à Dieu, réduit sa portée et ne fait que répondre à des exigences humaines, par définition particulières et non universelles. Préserver l’universel dans toute sa dignité impose qu’on ne le réduise pas en l’exprimant graphiquement de manière partielle.
Le message universel a une signification en soi relevant de la raison ; il n’est nul besoin d’en « ajouter » dans l’éducation. Tous les moyens employés par l’Église catholique sont donc, pour Jean Calvin, intolérables, une construction artificielle à rejeter catégoriquement.
Comme il le souligne :
« Ce n’est point la manière d’enseigner les Chrétiens au temple, lesquels Dieu veut là être autrement endoctrinez que de ces fatras. Il propose une doctrine commune à tous, en la prédication de sa Parole et aux Sacrements.
Ceux qui prennent loisir de jeter les yeux ça et là pour contempler les images, montrent qu’ils ne sont guère affectionnez à l’adresse que Dieu leur donne. »
Ce qui est très important ici, c’est la manière avec laquelle Jean Calvin oppose la multiplicité des images à la dimension unique du sacrifice de Jésus sur la croix, qui permet la dignité humaine en tant que telle.
La représentation n’est pour ainsi dire qu’une caricature en particulier d’un acte dont la portée générale fait justement triompher la raison. Il ne faut pas faire un fétiche de la raison, mais raisonner, sur la base de l’entendement : c’est lui qu’appelle Jésus, sinon il ne serait pas mort sur la croix, mais aurait fait de la « propagande » comme l’a justement fait l’Église catholique aux yeux de Jean Calvin :
« Paul témoigne que Jésus Christ nous est peint au vif par la prédication de l’Évangile, voire crucifié devant nos yeux : de quoi donc servait-il d’élever aux temples tant de croix de pierre et de bois, d’or et d’argent, si cela eut été bien imprimé au peuple, que Christ a été crucifié pour porter notre malédiction en la croix? pour effacer nos péchez par son sacrifice? nous laver par son sang, et nous réconcilier à Dieu son Père?
Car de ceste simple parole on eut peu plus profiter vers les simples, que de mille croix de bois ou de pierre. Quant à celle d’or et d’argent, je confesse que les avaricieux y seront plus attentifs qu’à nulles paroles de Dieu. »
Toute représentation liée au divin est donc trompeuse : elle renforce un aspect humain, particulier, là où l’universel doit être vu. On n’apprend par les images lorsqu’on traite de l’universel. Il faut donc briser le culte des images.
Jean Calvin expose donc ce qui est selon lui le point de vue uniformément correct :
« Cependant pour ce que cette sottise brutale a eu la vogue par tout le monde, d’appéter des images visibles pour figurer Dieu : et de fait ils s’en sont bâtis de bois, de pierre, or, argent et toute matière corruptible : il nous faut tenir ceste maxime, toutes fois et quantes qu’on représente Dieu en image, que sa gloire est faussement et méchamment corrompue (…).
Je sais bien que cela est tenu comme un commun proverbe, Que les images sont les livres des idiots (…). Et quand Jérémie dit que c’est doctrine de vanité : et Habacuc, que l’image de fonte est un docteur de mensonge, nous avons à recueillir de là une doctrine générale, Que tout ce que les hommes apprennent de Dieu par les images, est frivole, et même abusif.
Si quelqu’un réplique que les Prophètes reprennent ceux qui abusent des simulacres à superstition mauvaise, je le confesse : mais je dis d’autre part (ce qui est patent et notoire à chacun) qu’ils condamnent cependant ce que les Papistes tiennent pour maxime infaillible : à savoir que les images servent de livres. Car ils mettent tous simulacres à l’opposite de Dieu, comme choses contraires, et qui ne se peuvent nullement accorder. »