Jean Calvin considère que les « philosophes » ont eu raison de chercher ce qu’était l’entendement humain, mais que leur méconnaissance de la chute d’Adam les a empêchés de comprendre l’origine du problème.
Jean Calvin fait donc la même chose que Maïmonide ou Thomas d’Aquin : il considère que les philosophes, normalement rejetés catégoriquement par les religions, ont posé des problèmes intéressants, mais qu’ils ne pouvaient comprendre authentiquement.
On voit ici que les religions ne pouvaient plus exister sous leur ancienne forme féodale ; elles devaient élever leur niveau technique, intellectuel, théologique, s’adapter aux nouvelles conditions.
Jean Calvin doit donc obligatoirement critiquer l’averroïsme, c’est-à-dire le matérialisme issu d’Aristote et porté par la falsafa arabo-persane puis dans le monde latin ; voici comment Jean Calvin résume assez justement l’averroïsme :
« L’erreur de ceux qui attribuent à Dieu un gouvernement général et confus, est moins lourd, d’autant qu’ils confessent que Dieu maintient le monde et toutes ses parties en leur être, mais seulement par un mouvement naturel, sans adresser en particulier ce qui se fait : si est-ce néanmoins que tel erreur n’est point supportable.
Car ils disent que par cette providence, qu’ils appellent universelle, nulle créature n’est empechée de tourner çà et là comme à l’aventure, ne l’homme de se guider et adresser par son franc arbitre où bon lui semblera.
Voici comment ils partissent entre Dieu et l’homme : c’est que Dieu inspire par sa vertu à l’homme mouvement naturel, à ce qu’il ait vigueur pour s’appliquer à ce que nature porte : et l’homme ayant telle faculté gouverne par son propre conseil et volonté tout ce qu’il fait.
Bref ils imaginent que le monde et les hommes avec leurs affaires se maintiennent par la vertu de Dieu : mais qu’ils ne sont pas gouvernés selon qu’il ordonne et dispose. »
La chute d’Adam a ici une fonction historique : celle de justifier le travail. Dans le jardin d’Eden, le travail n’existait pas : pour justifier le travail transformateur de la bourgeoisie, qui est l’aspect positif, Jean Calvin lui oppose la punition divine avec la chute d’Adam, qui est l’aspect négatif.
L’être humain doit travailler depuis la sortie du jardin d’Eden, c’est là la clef du protestantisme, qui reflète le capitalisme naissant (et n’est ainsi pas le « déclencheur » comme le pense l’historien des idées Max Weber).
Jean Calvin dit en fait pratiquement la même chose que les averroïstes – les êtres humains disposent de l’entendement – sauf qu’il modifie la perspective en disant : la chute d’Adam empêche que l’entendement s’affirme correctement.
Les êtres humains pourraient en général, mais la chute d’Adam a fait que chaque être en particulier devient brutal, nonchalant, présomptueux,
L’être humain est déchu, corrompu par cette chute – et inversement sa dignité passe par cette chute dans la mesure où Jésus sur la croix est un rappel à l’ordre et une contribution dans la mesure où celui-ci porte les péchés du monde. Ce qui a été « perdu » en Adam est « recouvert » par la figure du Christ.
Jean Calvin, bien entendu, s’appuie régulièrement sur les écrits bibliques ; il cite ici Jean (3:6) afin de justifier la « renaissance » :
« Mais il y eut un homme d’entre les pharisiens, nommé Nicodème, un chef des Juifs, qui vint, lui, auprès de Jésus, de nuit, et lui dit: Rabbi, nous savons que tu es un docteur venu de Dieu; car personne ne peut faire ces miracles que tu fais, si Dieu n’est avec lui. Jésus lui répondit: En vérité, en vérité, je te le dis, si un homme ne naît de nouveau, il ne peut voir le royaume de Dieu.
Nicodème lui dit: Comment un homme peut-il naître quand il est vieux? Peut-il rentrer dans le sein de sa mère et naître? Jésus répondit: En vérité, en vérité, je te le dis, si un homme ne naît d’eau et d’Esprit, il ne peut entrer dans le royaume de Dieu. Ce qui est né de la chair est chair, et ce qui est né de l’Esprit est esprit. Ne t’étonne pas que je t’aie dit: Il faut que vous naissiez de nouveau. Le vent souffle où il veut, et tu en entends le bruit; mais tu ne sais d’où il vient, ni où il va. Il en est ainsi de tout homme qui est né de l’Esprit. »