Pourquoi Jean Calvin est-il une figure absolument française, la plus progressiste du XVIe siècle, qui soit si peu connue en France ?
La raison tient à la victoire de la réaction catholique en France, formant un obstacle au progrès qui reste encore à surmonter. L’image de Jean Calvin a été noirci au possible, comme en témoigne la présentation qu’en fait Honoré de Balzac dans son roman Sur Catherine de Médicis, par ailleurs fascinant et qui décrit justement la période décisive pour l’histoire de France où le calvinisme a été écrasé.
Ce qu’a représenté Jean Calvin a alors d’autant plus été jeté à la trappe que la France a littéralement « bricolé » des moyens pour compenser cette absence, au moyen de la philosophie de René Descartes et de la franc-maçonnerie principalement, c’est-à-dire de la « laïcité ».
La « laïcité » est un compromis entre la société et la religion, qui est issu de l’incapacité de la société à écraser le clergé et le catholicisme. A ce titre, le calvinisme possède une indéniable actualité démocratique, qui ne peut qu’être porté désormais par la classe ouvrière.
A l’époque par contre, le véritable calvinisme était porté par la bourgeoisie. Un calvinisme plus pragmatique était soutenu par la petite noblesse, et un calvinisme outrancièrement opportuniste était assumé par des secteurs de la haute noblesse.
En fait, la France n’avait pas eu d’écho du hussitisme ; ce n’est qu’avec les succès de Martin Luther dans les pays allemands que le protestantisme commence à s’affirmer au début du XVIe siècle, avec comme contenu la remise en cause de l’Église catholique.
Jean Calvin, nom latinisé de Jehan Cauvin, est quant à lui né le 10 juillet 1509 à Noyon en Picardie. Rompant jeune avec l’Église catholique, il fuit les persécutions et se retrouvera finalement à Genève, en Suisse, où il va jouer un rôle capital dans l’organisation du protestantisme.
C’est dans ce cadre qu’il produit son œuvre « classique », Institution de la religion chrétienne,que la monarchie française ne cessera d’interdire et d’en pourchasser la diffusion, et pour cause : c’est par elle que Jean Calvin parvient à structurer le protestantisme, sur la base d’une doctrine épaulé par des missionnaires.
En 1561, on compte ainsi 670 Églises réformée, alors que le protestantisme influence pratiquement le quart de la population, avec 1/10 de celle-ci acquise à sa cause.
Ce protestantisme représente pourtant trois tendances radicalement différentes. Du côté bourgeois, il s’agit du protestantisme authentique, qui vise à développer l’individu, la libre-entreprise, à abattre le féodalisme.
Du côté de la petite noblesse par contre, il s’agit d’abattre surtout le clergé devenu prépondérant dans la société. Du côté de la haute noblesse, il s’agit d’empêcher l’avènement de la monarchie absolue.
On a ici exactement le même schéma que dans le hussitisme, à ceci près qu’il manque deux éléments : la plèbe et les masses paysannes. La première manquera pratiquement totalement ; les masses paysannes ne seront actives que dans certaines zones seulement, notamment le fameux « croisant » protestant dans le sud de la France.
Dans tous les cas cependant, c’est la noblesse qui décidera de la direction du protestantisme français, l’amenant à sa faillite.
En effet, la monarchie française de François Ier oscillait entre humanisme et Renaissance italienne, étant influencée tant par les changements économiques des Pays-Bas que par la modernisation du Vatican.
Cette position fut si forte, la France fut tellement coincée, que depuis cette période on assimile, de manière fondamentalement erronée, l’humanisme à la Renaissance italienne, alors que ce sont deux mouvements historiques contradictoires.
Cela se révéla ainsi, en 1534, par la fameuse affaire dite des « Placards », c’est-à-dire des affiches posées à Paris, Blois, Rouen, Tours, Orléans, ainsi que sur la chambre royale de François Ier au château d’Amboise.
Leur titre était le suivant : Articles véritables sur les horribles, grands et importables abus de la messe papale, inventée directement contre la Sainte Cène de notre Seigneur, seul médiateur et seul Sauveur Jésus-Christ ; leur contenu était une attaque ouverte contre l’Église catholique.
François Ier se voyait coincé : soit il suivait le mouvement historique progressiste et procédait, comme en Angleterre, à la liquidation de l’Église catholique romaine et à la formation d’une Eglise « gallicane », soit il tentait de construire sa monarchie absolue dans un compromis historique avec celle-ci.
Il choisit la seconde option et il s’ensuivit une répression, que continua son successeur, Henri II. A la mort accidentelle de celui-ci, la haute noblesse protestante prit alors l’initiative de tenter ce qui fut appelé la conjuration d’Amboise en 1560, qui ne fut finalement qu’un « tumulte ».
L’opération visait à arracher le jeune François II, devenu roi, de son environnement royal et surtout de la famille des Guises qui dirige pratiquement le pays.
Son échec aboutit aux multiples guerres de religion en France, dont les dates sont les suivantes : 1562-1563, 1567-1568, 1568-1570, 1572-1573, 1574-1576, 1576-1577, 1579-1580, 1585-1598.
Le massacre de la Saint-Barthélemy, qui liquide en 1572 les chefs politiques du protestantisme dans la noblesse, joue ici un rôle majeur. Il s’ensuit alors uniquement des défaites.
Henri IV est un roi issu du protestantisme mais l’ayant abjuré ; les chefs protestants sont en fait intégrés par la corruption généralisée.
Deux figures historiques symbolisent ici la trahison de la haute noblesse : François de Bonne de Lesdiguières (1543-1626) et Henri III de La Trémoille (1598-1674), qui virent en leur honneur leurs noms donnés aux deux pavillons du Louvre.
Le premier trahit au moment d’Henri IV, devenant en 1622 pas moins que Connétable de France, c’est-à-dire chef des armées du roi (il en sera le dernier), le second trahit lors du siège de La Rochelle en 1628, devenant Maître-de-camp-général de la Cavalerie légère.
L’Edit de Nantes de 1598 accordé par Henri IV est rapidement bafoué, notamment à travers le sanglant épisode du Siège de La Rochelle de 1627-1628, avant d’être ouvertement révoqué en 1685 par l’Édit de Fontainebleau.
Les temples protestants sont détruits, le culte et les écoles protestants interdits ; les pasteurs sont bannis ou inversement reçoivent des pensions à vie tout en ayant des facilités de reconversion dans des métiers du droit.
La noblesse est encadrée : elle doit se marier à l’église, faire baptiser les enfants dans les 24 heures. Dans l’administration il en va de même il faut un certificat de bonne catholicité pour l’obtention d’une charge juridique, des diplômes de droit et de médecine, etc.
200 000 personnes émigrent alors, dans un épisode appelé par les protestants le « Refuge ». Les 600 000 protestants qui restent font quant à eux face à une répression systématique, notamment lors d’opérations de « dragonnades » meurtrières de la part de l’armée qui utilise également la torture de manière généralisée.
Le recul était déjà patent : 800 000 protestants à la fin du XVIe siècle, c’est déjà 200 000 de moins que 70 ans auparavant, alors que la population avait augmenté. Les protestants étaient passés d’environ 10 % à 4 % de la population totale.
Le protestantisme avait été dès le départ happé par la noblesse dans son opposition au clergé et à la monarchie absolue ; la bourgeoisie n’avait pas été en mesure d’en prendre la direction pour défendre ses intérêts. Jean Calvin, son titan, devra être son porte-parole depuis la Suisse, où il décédera en 1564.