Le calvinisme ne s’adresse pas qu’aux capitalistes en formation, il vise également à façonner les travailleurs libres. Chacun doit participer au grand projet entrepreneurial, à l’activité raisonnable, s’appuyant sur l’entendement.
Cette participation, on la retrouve donc dans le militantisme des pasteurs pour organiser une société marquée par de larges secteurs populaires marginalisées, issues des campagnes et formant une plèbe urbaine qui va être le futur prolétariat.
Pacifier cette plèbe fut une étape incontournable pour le développement franc du capitalisme. On a vu dans le hussitisme comment la plèbe avait joué un rôle historique de très grande importance, avec des tendances communistes.
Cela ne saurait plus avoir lieu pour Jean Calvin, qui attaque franchement l’anabaptisme et les mouvements « ultras » qui prônent le refus des richesses. Aux yeux de Jean Calvin, il s’agit de « bien user » des richesses, pas de les nier.
Il n’y a pas de place pour ce qui caractérisait la dimension social-révolutionnaire du hussitisme, avec le partage général et l’instauration immédiat d’un communisme primitif.
Il s’agit de discipliner les masses appelées à devenir prolétaires. Avant même que Jean Calvin ne s’installe à Genève en 1536, la mendicité était interdite et un Hôpital général fondé en 1535, asile forcé pour les malades, les orphelins, les vieillards, les mendiants, ceux de passage n’étant le droit de rester dans la ville que vingt-quatre heures.
Les enfants qui y sont présents reçoivent une éducation et une rééducation professionnelle obligatoire est mise en place pour tous les pauvres et les invalides. L’industrie du tissage profita ici grandement de cette organisation qui fait disparaître des rues la plèbe et qui est mise en place et financée par l’État, mais supervisée dans le détail par les religieux au moyen d’élections.
C’en était terminé de la tolérance catholique face à la pauvreté ; la société devenait quadrillée, organisée de manière précise.
La dynamique des aides sociales à la plèbe va, de fait, de pair avec la mise en place d’un espace communautaire, où les individus se font face en tant qu’individus, le capitaliste face aux travailleurs libres, tous unis dans une seule communauté à la même identité.
Lorsque des conflits sociaux se développent dans l’imprimerie, ce sont les pasteurs qui mettent en place une corporation dans ce secteur, servant de tampon entre les travailleurs et l’État, contrairement à ce qui se passe en France au même moment.
Jean Calvin lui-même enseigne qu’il faut traiter correctement les employés ; il dit par exemple :
« Il y en a qui seraient contents au bout de trois jours d’avoir tué une pauvre personne, quand elle sera à leur service, ce leur est tout moyennant qu’ils en aient du profit.
Or au contraire Dieu nous déclare qu’il nous faut traiter en telle humanité ceux qui labourent pour nous, qu’ils ne soient point grevés outre mesure, mais qu’ils puissent continuer et qu’ils aient occasion de rendre grâces à Dieu en leur travail.
Car il n’y a nul doute que Dieu n’ait ici voulu corriger la cruauté qui est aux riches, lesquels emploient à leur service les pauvres gens, et cependant ne les récompensent pas de leur labeur. »
De ce fait, Jean Calvin appelle également à ne jamais enlever ses outils à un travailleur, même s’il est endetté, car le travail permet de subvenir aux besoins vitaux. Le travail est sacralisé comme moyen de se comporter dignement, correctement, et on ne doit par conséquent jamais en priver quelqu’un.
Jean Calvin prend aussi exemple sur la société décrite dans l’Ancien Testament, où les terres étaient redistribuées au bout d’un certain temps ; son idéal est en fait celui de la petite production, dans le cadre d’une communauté où il y a de la place pour tout le monde.
Voici une illustration de sa manière d’idéaliser la société du passé fondée sur la loi divine :
« La terre de Canaan leur était un héritage commun, ils devaient nourrir fraternité mutuelle, tout ainsi qu’ils eussent été d’une même famille. Et pour ce que Dieu les avait affranchis afin qu’ils fussent libres à jamais, cette façon a été très bonne pour nourrir entre eux un état moyen, d’empêcher que peu de gens n’attirassent tout à eux pour opprimer la multitude. »
Le travail est ici un moyen pour obtenir la dignité à travers la loi divine, car le travail discipline l’esprit, il l’occupe dans un sens qui est celui de l’entendement, et non celui de la satisfaction primitive des besoins.
Les réalisations sociales faites dans ce cadre témoignent alors de la vie communautaire reconnaissant la toute puissance de Dieu et de sa création. Il n’y a pas de place pour l’oisiveté puisque toutes les personnes sont égales devant Dieu, et la loi répare les défauts qui se présentent ; selon Jean Calvin :
« Vrai est que le magistrat pourra ordonner des lois contre les dépenses superflues, pour lesquelles il réprimera sans différence les excès et superfluités. »