Avec Jules Breton (1827-1906), on a un titan du réalisme. Il est intéressant de voir comment Émile Zola l’attaque pourtant, à l’occasion de l’exposition de 1878, en rejetant ce qui serait un réalisme idéalisé :
« Jules Breton, de son côté, s’est acquis une célébrité en peignant des paysannes idéales. Il faut voir au Champ-de-Mars les beautés qu’il habille de toile grossière et qui ont l’allure de déesses.
La foule approuve et appelle cela « avoir du style ». Mais c’est du mensonge tout court et rien de plus. J’aime mieux les paysannes de Courbet, non seulement parce qu’elles sont mieux dessinées du point de vue technique, mais aussi parce qu’elles sont plus proches de la réalité.
Remarquez que Jules Breton est comblé de faveurs depuis 1855, abreuvé d’une pluie de médailles et de croix, tandis que Courbet, encore une fois, est mort en exil, poursuivi par les huissiers que le gouvernement français avait lancés sur ses traces. »
Voilà bien une dénonciation montrant le caractère vil d’Émile Zola, qui ne sait pas reconnaître la dignité dans le réel, qui cherche simplement ce qu’il y aurait de particulier, pratiquement de grotesque.
Ce n’est pas là le réalisme, qui cherche le typique, dans l’esprit de synthèse d’une réalité donnée. Voici par exemple La mouette blessée. On y voit très bien ce qu’Émile Zola pourrait y reprocher, à savoir une certaine idéalisation qui n’est en fait que le reflet de la dignité de la situation, la dignité du réel. C’est à cela qu’on voit qu’Émile Zola méprise le peuple, ne prend dans le réel que de « l’expérimental ».
Voici également Le Rappel des glaneuses, datant de 1859, où Émile Zola pourrait faire le même reproche et à quoi on pourrait répondre la même chose : c’est la dignité de la situation qui est présentée, qui transcende le simple particulier pour atteindre le général.
Voici trois tableaux éminemment réalistes, Jeune fille tricotant (1860), La fileuse (1870) et La petite couturière (1868). Il n’y a ici pas tant idéalisation qu’expression de la dignité du réel.
Voici deux œuvres typiques dans leur conceptualisation, avec un fort esprit de synthèse, La lecture (1865) et La fête du grand-père (1864), avec pour le second tableau des velléités d’esthétisation trop apparentes.
Jules Breton a également peint sa version des Glaneuses (1854), suivi du Rappel des glaneuses (1859) sur laquelle il y a lieu de revenir, à la thématique puisée dans la vie paysanne à Courrières, le village natal du peintre, dans l’Artois. On remarquera que dans les deux tableaux, on a la présence d’un garde-champêtre s’ennuyant et surveillant l’activité des femmes de la paysannerie pauvre récupérant les restes des récoltes.
La dignité du travail dans ces œuvres est formidable et il est si révélateur de l’esprit se voulant social de Napoléon III que celui-ci, à la demande de l’impératrice Eugénie, acheta la seconde œuvre en la plaçant sur la liste civile, pour être exposée au Château de Saint-Cloud avant d’être placée en 1862 au Musée des Artistes Vivants, qui deviendra par la suite le Musée du Luxembourg.
Ce qui dérangeait Émile Zola, c’est la joie de vivre représentée par Jules Breton ; cette joie de vivre ne tend pourtant pas au « pétainisme », mais a un esprit de dignité.
Il est intéressant de voir que Jules Breton réfutait l’opposition entre objectivisme et subjectivisme, insistant de son côté sur l’inspiration de l’artiste.
Il n’avait aucun recul sur son activité de réalisme, étant porté par la tendance. C’est pour cette raison qu’il a tendance à forcer dans la personnalisation des figures, ce qui n’est pas une esthétisation forcée, une transformation des travailleuses en déesse, comme le prétend Émile Zola.
Voici Le retour des champs (1871) et Les Sarcleuses (1860).
Voici d’autres œuvres où le trait portraitiste personnalisé est bien plus forcé : La glaneuse (1900), Matin (1888), Été (1891), La porteuse d’eau et enfin L’étoile du berger.
C’est également vrai pour des tableaux comme Jeune fille gardant des vaches, Une paysanne au repos, qu’on peut opposer à la très vivante, très réussie Fille de pêcheur, raccommodeuse de filets (1878).
Ce formalisme portraitiste a pu aller jusqu’à un formalisme religieux dans la représentation de la vie quotidienne. On a ici Plantation d’un calvaire (1858), Jeunes filles se rendant à la procession (1890), La bénédiction des blés en Artois.
La dimension relativement kitsch de Amour est ici évidente, comme pour ces Laveuses de la côte bretonne ou encore La Saint-Jean (1875).
Il n’en reste pas moins que Jules Breton est un des meilleurs représentants du réalisme de la seconde moitié du XIXe siècle, un titan de l’art développé en France.