Malgré les prétentions et la récupération faite par le néo-kantisme, Emmanuel Kant est bien un matérialiste : à ses yeux, c’est de la réalité que vient les informations correctes. Comme il le dit :
« Ce que j’ai appelé idéalisme ne concernait pas l’existence des choses (or l’idéalisme proprement dit, au sens communément reçu, consiste à la mettre en doute), car il ne m’est jamais venu à l’esprit d’en douter. »
Et il assume même la filiation anti-idéaliste, comme lorsqu’il critique Parménide, et de fait Platon, ainsi que George Berkeley :
« La thèse de tous les idéalistes authentiques, depuis l’école éléatique jusqu’à l’évêque Berkeley, est contenue dans cette formule : ‘toute connaissance par les sens et l’expérience n’est rien que simple apparence, et c’est seulement dans les idées de la raison et de l’entendement pur qu’il y a de la vérité’.
Le principe qui, d’un bout à l’autre, régit et détermine mon idéalisme est au contraire : ‘toute connaissance des choses tirée uniquement de l’entendement pur ou de la raison pure n’est que simple apparence, et ce n’est que dans l’expérience qu’il y a vérité. »
Il y a donc un éloge de l’expérience :
« L’expérience est, sans aucun doute, le premier produit que notre entendement obtient en élaborant la matière brute des sensations. »
« Que toute notre connaissance commence avec l’expérience, cela ne soulève aucun doute.
En effet, par quoi notre pouvoir de connaître pourrait-il être éveillé et mis en action, si ce n’est par des objets qui frappent nos sens et qui, d’une part, produisent par eux- mêmes des représentations et, d’autre part, mettent en mouvement notre faculté intellectuelle afin qu’elle compare, lie, ou sépare ces représentations et travaille ainsi la matière brute des impressions sensibles, pour en tirer une connaissance des objets, celle qu’on nomme l’expérience ?
Ainsi, chronologiquement, aucune connaissance ne précède en nous l’expérience et c’est avec elles que toutes commencent. »
C’est bien là le principe du primat de la pratique. Cependant, Emmanuel Kant a une approche bourgeoise de la pratique. Cette dernière consiste en effet en une découverte par l’acte, par l’action, mais la pensée reste « pure », indépendante, « immaculée » pour ainsi dire, comme chez René Descartes.
L’interaction entre action et conscience n’est pas encore comprise – elle le sera par Hegel.
C’est pour cette raison que Emmanuel Kant considère finalement que :
« L’esprit de l’être humain est le Dieu de Spinoza (en ce qui concerne le formel de tous les objets sensuels) et l’idéalisme transcendental est le réalisme dans sa signification absolue. »
Ce Dieu de Baruch Spinoza placé en la conscience individuelle est totalement conforme à l’esprit protestant de la bourgeoisie progressiste. Chaque être devient son propre juge, d’où le fameux appel d’Emmanuel Kant au triomphe de l’impératif catégorique, dont les principes sont les suivants :
« Agis seulement d’après la maxime grâce à laquelle tu peux vouloir en même temps qu’elle devienne une loi universelle. »
« Agis de façon telle que tu traites l’humanité, aussi bien dans ta personne que dans toute autre, toujours en même temps comme fin, et jamais simplement comme moyen. »
« L’idée de la volonté de tout être raisonnable conçue comme volonté instituant une législation universelle. »
« Agis selon les maximes d’un membre qui légifère universellement en vue d’un règne des fins simplement possible. »
Ce fétichisme de la conscience individuelle comme « Dieu » local est complet : Emmanuel Kant est un auteur des Lumières, appelant au triomphe de l’entendement au moyen du progrès de la raison, au moyen de l’Aufklärung, signifiant éducation, éclaircissement, et utilisé en allemand comme terme pour désigner les Lumières.
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et la reconnaissance de l’espace et du temps