La question de la grève de masses révéla tout ce que le kautskysme contenait de problématique. En 1893, Karl Kautsky abordait ainsi la question du parlementarisme, dans un long document cherchant à définir la position de la social-démocratie. Ce qui y est frappant, c’est que dès le début, il insiste sur une de ses anciennes positions : à ses yeux, même lorsque le peuple donnera directement le pouvoir, le parlementarisme est absolument nécessaire.
C’est très exactement la critique que fera Rosa Luxembourg à Lénine à la suite de la révolution russe de 1917. La principale erreur de la social-démocratie historique a été, en effet, une conception de la démocratie qu’elle opposait, non pas à la bourgeoisie comme le fit Lénine, mais à l’absolutisme.
Karl Kautsky bascula entièrement dans le fétiche de la « démocratie » comme principe indépendant des classes et rejeta la révolution russe. Rosa Luxembourg rejeta la position de Karl Kautsky en 1917, mais en en restant au point de vue de celui-ci à la fin du XIXe siècle.
Dans son ouvrage de 1893, Karl Kautsky tente d’expliquer que la représentativité de type parlementaire est une constante historique. Il s’appuie, malheureusement, sur des réalités historiques particulières réelles, mais qu’il généralise, comme les rapports au sein des tribus franques, la démocratie des premières villes, avec la même interprétation de la démocratie comme « création continue » qui sera celle du révisionnisme moderne, à partir du milieu des années 1950.
Karl Kautsky transpose sa manière de voir le parti social-démocrate et sa presse – ce qui est pour lui la même chose, une perspective directement reprise par Lénine – dans sa manière de voir le parlement.
De la même manière que la direction du Parti dépend des congrès, le gouvernement dépend du parlement, qui peut surveiller qui plus est l’activité gouvernementale. De la même manière qu’au sein du Parti, il y a des discussions, une représentativité parlementaire permet de maintenir ce qui est pour Karl Kautsky la « démocratie ».
Ce point de vue contamina nécessairement sa conception de la révolution. En 1902, lorsque Karl Kautsky publia La révolution sociale, il refusa de distinguer la réforme de la révolution au niveau de la violence, car pour lui l’application d’une réforme peut passer par une violence administrative. Ce qui compte dans une révolution, c’est la prise du pouvoir par une classe sociale en renversant une autre.
Cela sous-tend qu’une révolution est forcément de nature politique. En ce sens, Karl Kautsky reste fermement sur le sol du marxisme, s’opposant radicalement à l’anarchisme et aux tendances réformistes dispersées, niant la centralité du Parti.
Par contre, et c’est le paradoxe, Karl Kautsky considère qu’on conserve le statut de révolutionnaire même si on veut prendre le pouvoir au moyen de réformes sociales.
« Non pas le fait de s’efforcer à des réformes sociales, mais la réduction explicite à ceux-ci, distingue le social-réformiste du social-révolutionnaire. »
Pour cette raison, Karl Kautsky n’hésite pas à affirmer qu’il espérait qu’en Angleterre, il y aurait un passage graduel, pacifique, au socialisme. Il reconnaît son erreur sur ce point, mais sans rejeter son approche de fond.
Il a, de fait, une certaine vision mécanique : à partir du moment où les contradictions de classe se renforcent alors que le camp prolétarien se renforce par la prolétarisation toujours plus vaste, alors la seule chose à éviter est la contamination par des tentatives bourgeoises ou petites-bourgeoises pour dévoyer le socialisme.
Karl Kautsky mentionne ici, il faut le noter, de manière régulière les tendances petites-bourgeoisies antisémites de type hystérique, qu’il voit comme un phénomène important en Allemagne et en Autriche.
En 1917, c’est la seule explication qu’il aura d’ailleurs, tout comme les gauchistes : puisque la révolution russe n’était pas conforme à leur manière de voir les choses, c’est qu’elle a été dévoyée par des couches sociales d’autres classes.
Car chez Karl Kautsky, le processus révolutionnaire est linéaire, grâce à ce qu’il considère être la nature de la démocratie. La révolution n’est pas possible sans la démocratie, car celle-ci permet l’organisation générale des masses, par le parti et les syndicats ; elle est pour le prolétariat « comme l’eau et la lumière pour l’organisme ».
Et le prolétariat toujours plus nombreux et organisé faisant face à une bourgeoisie toujours plus centralisant les institutions à son service, il y a alors une rupture, qui est la révolution.
Il y a donc un parallèle entre la démocratie et la révolution et au tout début du XXe siècle, Karl Kautsky peut donc faire l’éloge en ce sens de la Suisse qui, ayant une forme démocratique très avancée, lui apparaît comme le plus proche de la révolution.
Il en irait de même, selon lui, pour l’Angleterre et la France, tandis que l’Allemagne et l’Autriche, marquées par le militarisme et la monarchie, deviendront démocratiques uniquement par le socialisme, la bourgeoisie ayant « raté » son œuvre démocratique et passant pour ainsi dire son tour.