Quel choix Karl Kautsky allait-il faire entre le communisme comme processus universel – la matière va au communisme – et le communisme comme processus social s’appuyant sur une base naturelle humaine seulement ?
En 1910, Karl Kautsky fait son choix avec La multiplication et le développement dans la nature et la société, où il assume un double combat : celui contre les partisans du libre-arbitre, celui contre les partisans d’assimiler la vie sociale de l’Humanité à une forme de vie végétale ou animale.
Il y fait une longue présentation de la réalité naturelle et de ses équilibres, de la question de la multiplication des êtres dans l’esprit de Thomas Malthus, et il présente l’Humanité comme perturbant précisément ces équilibres en raison des modes de production qu’il développe.
Karl Kautsky voit tout à fait que le capitalisme s’approprie tout ce qui peut l’être et que, pour cette raison, il aboutit à la destruction d’espèces animales. Il parle déjà de l’anéantissement des éléphants en Afrique.
Il parle même de la « destruction » provoquée par les chasseurs de « trophée », qui s’appuient sur un « amusement » produit par leur ennui et leur besoin de sensations fortes au service de leur « vanité ».
Il constate la formation d’abattoirs gigantesques, la capacité à détruire en quelques années une espèce, comme le bison en Amérique.
Toutefois, il n’accorde pas une importance en soi à ces phénomènes qu’il constate pourtant, qui sont en fait secondaire selon lui car le mode de production agit d’une certaine manière comme un bouleversement climatique.
Karl Kautsky considère donc qu’il y a le bouleversement de « l’équilibre » naturel, avec comme conséquence la destruction ou bien la multiplication de certaines espèces.
Les destructions liées au capitalisme ne sont que des restes d’approche parasitaire, propre aux féodaux, aux militaires, etc. Une approche réellement rationnelle raisonnerait en termes de prévision du futur.
Comme on le voit, c’est très exactement l’approche qui justifiera le refus de la révolution russe, au nom de l’État moderne qu’il suffirait de purifier des restes féodaux-militaristes pour qu’il soit démocratique, puisque les masses forment de toutes manières la majorité de la population.
Karl Kautsky raisonne en termes de civilisation, où les villes apportent l’esprit collectif, formant la collectivité démocratique. La ville abolit les consciences bornées, permettant d’avoir une vue générale et plus le capitalisme se développe donnant naissant aux forces productives, plus il permet à l’esprit de s’élargir.
Il faut ici comprendre l’arrière-plan idéologique et pratique. Ce qui caractérise la social-démocratie, ce qui la distingue de l’anarchisme qui est l’autre courant existant alors dans le mouvement ouvrier, est la formation d’un parti politique. Ce dernier ne refuse pas de participer aux élections parlementaires : tout en n’y voyant pas de fin en soi, il considère que c’est une étape importante dans la bataille pour le pouvoir.
C’est la social-démocratie allemande qui a ici donné le ton et c’est donc Karl Kautsky qui en théorisa le principe. On le retrouve expliqué en 1893, dans l’article paru dans la Neue Zeit avec comme titre La législation directe par le peuple et la lutte des classes.
La logique de Karl Kautsky est la suivante : étant donné que dans un État moderne de taille importante l’activité politique se fonde au parlement, il n’y a pas de raison de penser que la vigueur de la lutte de classes ne permettrait pas d’y acquérir des points d’appuis pour sa propre lutte.
De toutes manières, aucun risque d’abandon de la lutte n’existe, puisqu’en Allemagne et en Autriche domine encore un régime militariste et monarchique, empêchant une réelle démocratie, rendant inévitable la révolution.
La bourgeoisie a été trop faible pour assumer la démocratie : c’est la social-démocratie qui va le faire. Karl Kautsky formule donc sa thèse suivante :
« Dans les années 50 et 60 [du 19e siècle], lorsque la bourgeoisie dominait de manière illimitée les parlements – dans la mesure où il y en avait – on pouvait penser que la lutte du prolétariat pour la domination politique serait une lutte pour détrôner le parlementarisme.
Aujourd’hui, on voit toujours plus que, au moins en Europe de l’Est, cela sera une lutte pour le parlementarisme, contre l’absolutisme et le militarisme.
De fait, en Europe à l’Est du Rhin la bourgeoisie est devenue tellement faible et peureuse qu’il apparaît que le régime des bureaucrates et des sabreurs ne pourra pas être brisé tant que le prolétariat n’est pas en mesure de conquérir le pouvoir politique, de telle manière que l’effondrement de l’absolutisme militaire conduire directement à la prise du pouvoir par le prolétariat.
Une chose est certaine : en Allemagne comme en Autriche, même dans la plupart des pays d’Europe, des préconditions nécessaires à un effet favorable de la législation, les institutions démocratiques exigées ne pourront plus être réalisés avant la victoire du prolétariat.
La législation populaire pourra peut-être réalisée auparavant aux Etats-Unis, en Angleterre et dans les colonies anglaises, sous certaines conditions en France jusqu’à un certain point – pour nous Européens de l’Est, cela appartient à l’inventaire de « l’État futur ». »
En définitive, la révolution n’est selon Karl Kautsky qu’une évolution ayant une nature révolutionnaire.