Karl Kautsky représente l’approche orthodoxe du marxisme ; à l’opposé d’en France, la direction de la social-démocratie reconnaît le marxisme comme science.
La différence est fondamentale entre le socialisme de type français, éclectique, anti-idéologique, Jean Jaurès lui-même n’ayant jamais formulé de corpus théorique, et le marxisme défendu par la social-démocratie allemande.
En 1902, Karl Kautsky fit publier dans la Neue Zeit, La social-démocratie et l’Église catholique et c’est un document important, car Karl Kautsky l’a écrit à la demande de sociaux-démocrates français, qui à la même époque se retrouvent en plein dans la question de la laïcité.
Il permet de comprendre la différence de fond entre la social-démocratie authentique et le mouvement se définissant comme socialiste en France.
L’œuvre de Karl Kautsky se divise en trois parties, formant chacun un article : la religion et le clergé, la bourgeoisie et l’Église, le prolétariat et l’Église.
Karl Kautsky déplace, de fait, totalement la problématique, abordant ainsi la question de manière totalement différente de ce qui fut fait en France. Dans le premier article, Karl Kautsky constate qu’il faut distinguer la religion et le clergé, opposant ainsi la religion comme idéologie avec un double caractère, et le clergé qui s’est constitué de manière pyramidale, sur une base entièrement réactionnaire.
C’était déjà faire une distinction très claire entre la position allemande, marxiste, et l’anticléricalisme français, dont le visage est démasqué dans le second article.
Karl Kautsky y dresse un panorama complet du rapport entre la bourgeoisie et l’Église, un rapport relativement contradictoire dans la mesure où l’Église émerge comme force issue de la féodalité, posant une certaine concurrence à la bourgeoisie.
Mais cette concurrence est secondaire et Karl Kautsky les compare à un couple, dont les membres se chamaillent, mais ne peuvent pas se passer l’un de l’autre. Sa conclusion est alors sans appel :
« Conduire le prolétariat dans la lutte culturelle, au coude à coude, avec la bourgeoisie [contre l’Église], cela signifie induire en erreur sa poussée révolutionnaire et gaspiller pour quelque chose d’inutile sa force révolutionnaire.
Cela signifie lui faire miroiter comme un événement grand, rédempteur, l’empoignade de frères ennemis entre la bourgeoisie et l’Église, lui faire concentrer toutes ses forces sur une tâche d’où rien ne sortira et d’où rien ne peut sortir.
Car la bourgeoisie ne peut pas mener la lutte contre l’Église de manière victorieuse, en raison du fait qu’elle a besoin de l’Église ; en tant que force conservatrice, elle ne peut pas se permettre un acte révolutionnaire, que de toutes façons elle n’a pas su terminer lorsqu’elle était une force révolutionnaire [à l’époque de la révolution française].
Et la bourgeoisie et le prolétariat ne peuvent pas mener ensemble la lutte contre l’Église, parce que la situation de classe du prolétariat exige une toute autre politique par rapport à l’Église que la bourgeoisie. »
Karl Kautsky précise, dans son troisième article, quelle doit être cette politique. Il assimile l’Église à l’Armée et à la bureaucratie administrative : le socialisme devra faire avec, ne pouvant les supprimer directement, devant par conséquent les façonner de manière différente.
Car les masses ont besoin d’une armée pour se défendre face à une invasion, ainsi que d’une gestion professionnelle du pays, mais aussi d’une nourriture en quelque sorte spirituelle, que l’Église lui fournit.
Ce qui se passe en France est donc problématique pour Karl Kautsky : la bourgeoisie libérale veut mettre au pas l’Église, en fonctionnarisant sa fonction, là où la social-démocratie veut en faire quelque chose relevant du domaine privé.
Karl Kautsky relativise de plus l’importance des congrégations en France, soulignant que c’est la question de la production qui doit primer. Le déplacement de la question de l’appropriation vers une thématique religieuse est nocive ; Karl Kautsky mentionne également la déviation antisémite qui pourrait s’ouvrir par la suite.
De plus, les libres-penseurs et les franc-maçons sont d’un côté contre l’Église, mais de l’autre lui abandonnent les pauvres et les malades, c’est-à-dire ne luttent pas contre l’influence sociale de la religion.
Des secteurs de la petite-bourgeoisie basculent dans la religion pour avoir une vision du monde qui les rassure ou leur explique ce qui se passe et il s’agit de les gagner avec la lutte des classes.
En pratique, Karl Kautsky souligne que l’idéologie religieuse, dans l’imaginaire faussement progressiste qu’elle propose, se situe en concurrence avec la social-démocratie et qu’il s’agit donc de ne pas mener la même politique unilatérale que le libéralisme.