Katsushika Hokusai et les « Trente-six vues du mont Fuji » : le mont Fuji comme vecteur du réalisme

Si l’on prend les deux oeuvres qui suivent immédiatement La Grande Vague de Kanagawa dans les Trente-six vues du mont Fuji, alors on peut penser qu’il y a une focalisation effectivement sur le mont Fuji. La quatrième estampe montre que cela ne sera pas le cas et que c’est un symbole national utilisé dans l’affirmation du réalisme.

Voici Vent frais par matin clair, L’orage sous le sommet et Le Fuji vu à travers le pont de Mannen à Fukagawa.

Le contraste est saisissant entre ce qui forme deux portraits du mont Fuji d’un côté, une scène résolument typique de l’autre. Il est facile de comprendre que le mont Fuji a été mis en avant de prime abord pour bien en souligner l’importance symbolique, alors que dès la quatrième image on en revient à la première, dans le sens où l’on montre que les pêcheurs de La Grande Vague de Kanagawa n’étaient pas là pour le pittoresque de la chose.

Sur le plan de la composition, les deux portraits du mont Fuji forment un contraste dialectique assez saisissant.

Vent frais par matin clair
L’orage sous le sommet

On a en effet une situation calme pour l’un, un orage pour l’autre. Lorsque la situation est calme, les nuages sont au-dessus du mont Fuji c’est-à-dire en harmonie avec lui, en étant présent tout au long de l’estampe. Lors de l’orage, celui-ci est sous le mont Fuji, qui resplendit à l’écart de l’événement.

On remarquera d’ailleurs que dans la première estampe, il y a une continuité complète dans le dessin de la montagne, les nuages évoluant à l’arrière-plan pour en souligner cette majesté. Dans la seconde, le mont Fuji se présenta avec un sommet difficilement inaccessible, pour ne pas dire inatteignable. Le ciel est d’ailleurs immaculé, le sommet du mont Fuji semblant relever de la même substance.

Le Fuji vu à travers le pont de Mannen à Fukagawa est bien différent. Nous sommes ici à Edo, dans le quartier de Fukagawa, le pont de Mannen signifiant en fait le pont de 10 000 ans. Le pont passe au-dessus de la Onagigawa, un cours d’eau assez restreint qui rejoint juste après, on peut le voir, le fleuve Sumida.

L’oeuvre est particulièrement subtile. Elle est un même une sorte de jeu d’équilibriste. On a en effet une mise en perspective s’appuyant, de manière éminemment dialectique, sur un développement inégal.

Le côté droit du pont est davantage marqué par les arbres allant vers le fond, à l’opposé du côté gauche où la végétation semble plus proche. Il n’y a droite qu’un pecheur isolé, alors qu’au centre, tourné vers la gauche, il y a un pêcheur sur un navire (l’image se lit de droite à gauche au Japon). Le mont Fuji apparaît davantage du côté gauche, comme la personne avec l’ombrelle sur le pont.

Si l’on se fonde sur ce sens japonais, on peut d’ailleurs voir qu’on passe en quelque sorte du simple, du particulier, au général, car plus on va vers la gauche, plus il y a de la densité.

Pourquoi cela ? Parce que le pont est un lieu de passage, qu’il abrite d’ailleurs des vendeurs de poissons et de tortues (parfois justement achetés et relâchés dans l’esprit bouddhiste) ; il est un lieu populaire du Japon, dont on a ici une image vivante.

C’est très exactement le sens des Trente-six vues du mont Fuji.

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