Bien que l’idéologie latino-américaine soit née sur une base réactionnaire, et que sa matrice est idéaliste, elle a pu être utilisée par les masses elles-mêmes, ou par des secteurs étrangers aux criollos eux-mêmes.
Il y a ainsi déjà l’émigration qui a transformé le concept. Les émigrés latino-américains, se retrouvant dans un pays étranger (notamment aux États-Unis et en Europe), ont systématiquement utilisé le dénominateur commun « latino-américain » afin de s’entraider.
Tant qu’il n’y a pas le poids suffisant pour établir une communauté autonome, alors il y a l’exigence de l’unité latino-américaine, au nom de traits communs fondamentaux, de valeurs communes, d’un parcours historique commun.
On est d’une part dans l’internationalisme des travailleurs démunis et sans défense se retrouvant loin de chez eux, et le cosmopolitisme du commerçant tenant une boutique de vente de produits d’alimentation latino-américains.

à la fin des années 1930
Il y a ensuite l’action de l’idéologie latino-américaine sur le continent américain lui-même. Son existence a empêché la non-saisie de connaissances, de culture d’autres pays latino-américains.
Cela fait que, de par l’immense richesse de pays latino-américains, les échanges ont pu être réalisés de manière solide, avec des pics d’accélération sans pareil.
Un exemple marquant est la cumbia, une musique et une danse d’origine africaine présente en Colombie, qui s’est répandue à travers tous les pays latino-américains, avec à chaque fois des adaptations.
Ces adaptations ont elles-mêmes agi en retour et, sur ce plan, l’idéologie latino-américaine réactionnaire s’est retournée en son contraire en permettant l’existence d’une formidable caisse de résonance culturelle.
Car en plus de la cumbia, il y a d’autres réalités culturelles qui s’échangent à grande vitesse à travers toute l’Amérique latine, facilité par l’utilisation de la même langue et de l’absence d’obstacle idéologique majeure, en raison de l’existence de l’idéologie latino-américaine.

dans sa variante salvadorienne
Naturellement, c’est la petite-bourgeoisie qui récupère ces échanges, afin de promouvoir un ariélisme renouvelé. L’idéologie latino-américaine est un prétexte pour la petite-bourgeoisie pour gagner des points dans une société figée.
L’engouement populaire est utilisé comme légitimité pour parvenir à s’inscrire dans le panorama national, en tant que « représentants » culturels de ces échanges.
N’importe quel artiste, intellectuel ou petit commerçant d’un pays latino-américain peut s’appuyer sur la réalité des échanges latino-américains pour prétendre avoir une valeur en soi, représentant quelque chose de « latino-américain » au-dessus de la réalité locale ou nationale.
C’est un chantage affectif ou culturel typique de la petite-bourgeoisie.
Inversement, ce chantage peut se retourner en son contraire, par l’intermédiaire de vecteurs parvenant à transcender les frontières nationales pour développer un dénominateur commun sur le plan culturel.
C’est absolument flagrant en ce qui concerne le développement du reggaetón (ou encore de la merengue, de la salsa, de la bachata…), qui a connu une adhésion populaire massive.
En même temps, par retournement, le reggaetón relève de réseaux commerciaux et diffuse des valeurs atrocement patriarcales et féodales, passées à la moulinette de la société de consommation.
En fait, tout le problème est là : l’Amérique latine devient une réalité, car des pays proches vont dans le sens de la fusion, dans un processus historique inexorable.
Les définitions sont cependant faussées par l’idéologie latino-américaine élaborée par les criollos et se déroulent dans un cadre aux valeurs décadentes.
C’est le piège qui se referme en permanence sur lui-même, de manière ininterrompue, et qui forme un vrai verrou à tout progrès en Amérique latine.

Cela se révèle dans la conception festive en Amérique latine. Si on regarde une danse ou une musique en Amérique latine, on s’aperçoit vite que sa dimension exubérante en apparence s’appuie en réalité sur un socle hyper codifié.
Ce qui casse tout mouvement en Amérique latine, quel qu’il soit, intellectuel ou musical, politique ou économique, social ou culturel, c’est toujours une dimension féodale dans le fond, qui prive de ressort.
Il y a un pompage des énergies à la base même ; le sol n’est jamais assez solide pour un réel développement qui assume une réelle dimension démocratique et populaire.
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L’idéologie latino-américaine (Ariel, Caliban, Gonzalo)