La bourgeoisie a, à la veille de 1789, de très nombreux aspects. Elle consiste en les commerçants, les marchands, les artisans, qui développent un capital commercial ou préindustriel, qui reste particulièrement élémentaire.
En effet, lorsqu’un bourgeois réussit, il change de camp : il passe dans le capitalisme bureaucratique, en devenant négociant, voire un gros négociant passant dans la noblesse, ou bien il cherche à rejoindre l’appareil d’État en devenant officier du roi.
Il y avait cependant une masse grandissante de capitalistes et le régime parvenait de moins en moins à les intégrer en cas de réussite. D’autant plus que les bourgeois parvenus entretenaient souvent eux-mêmes volontiers un snobisme aristocratique à l’esprit étroit et fermé. François Claude Amour du Chariol, marquis de Bouillé, organisateur en 1791 de la fuite du Roi qui échoua à Varennes, présente le panorama pour la bourgeoisie à la veille de 1789 dans ses Mémoires :
« Les bourgeois avaient reçu en général une éducation qui leur devenait plus nécessaire qu’aux gentilshommes dont les uns, par leur naissance et leur richesse, obtenaient les premières places de l’État sans mérite et sans talents, tandis que les autres étaient destinés à languir dans les emplois subalternes de l’armée.
Ainsi, à Paris et dans les grandes villes, la bourgeoisie était supérieure en richesses, en talent et en mérite personnel.
Elle avait dans les villes de province la même supériorité sur la noblesse des campagnes ; elle sentait cette supériorité ; cependant, elle était partout humiliée, elle se voyait exclue, par les règlement militaires, des emplois dans l’armée ; elle l’était, en quelque manière, du haut clergé, par le choix des évêques parmi la haute noblesse, et des grands vicaires en général parmi les nobles…
La haute magistrature la rejetait également, et la plupart des cours souveraines n’admettaient que des nobles dans leur compagnie. Même pour être reçu maître des requêtes, on exigeait dans les derniers temps des preuves de noblesse. »
Et lorsqu’un bourgeois ne réussit pas, il reste prisonnier de sa jurande, c’est-à-dire de son corps de métier organisé ; il ne peut pas évoluer, modifier sa pratique, se déplacer, etc. Cela le met d’autant plus à la merci de la fraction marchande des capitalistes, qui eux de par leur connaissance du marché et leurs moyens sont des intermédiaires incontournables pour les producteurs dispersés et isolés, même groupés en corporations.
La situation des bourgeois serait meilleure si les villes étaient plus fortes, mais ce n’est pas le cas. Seulement 78 villes dépassent 10 000 habitants ; avec 2,6 millions de personnes, la population urbaine française ne consiste qu’en 10 % du total.
À la veille de la révolution française, Paris a 650 000 habitants, Lyon 160 000, Lille 67 000, Nîmes 50 000, Amiens 43 000, Nancy 34 000, Troyes 32 000, Reims 31 000, Saint-Étienne 27 000, Besançon 25 000, Aix 24 000, Grenoble 23 000, Dijon 21 000…
Les corporations façonnant la forme de la production de type féodale apparaissent ainsi comme ayant fait leur temps. Leur nature féodale devient un obstacle tant pour les artisans qui occupent ses rangs que pour les marchands ayant besoin d’artisans totalement malléables.
D’ailleurs, les marchands contournent les artisans des villes en générant le capitalisme dans les campagnes, en formant un artisanat hors corporation aisément disponible et dépendant, au sein de la paysannerie disponible en partie pour un travail ouvrier de forme artisanale, mais coordonnée.
On doit ainsi considérer qu’à la veille de 1789, c’est la fraction marchande de la bourgeoisie qui est la plus entreprenante ; c’est tellement vrai d’ailleurs que le régime a considéré qu’il était licite pour les nobles de devenir armateurs, dans le cadre d’un commerce s’internationalisant, notamment avec l’Amérique.
C’est un aspect parlant de comment le capitalisme avait également un aspect s’inscrivant dans la féodalité elle-même. C’est même l’aspect essentiel de la question de la crise générale du féodalisme parvenu à son stade suprême : la monarchie absolue, comme régime parvenu à une centralisation significative, nécessitant la mise en place d’un capitalisme bureaucratique.