La féodalité, c’est la campagne et on peut dialectiquement également inverser en disant que la campagne, c’est le féodalisme.
Du moment qu’il y a restriction, séparation, clivage… et en même temps une hiérarchie locale, alors des rapports féodaux s’inscrivent dans la réalité.
Même un pays capitaliste connaît le phénomène des notables dans les campagnes : c’est là le féodalisme qui se réactive, en se contorsionnant pour exister.
Dans L’idéologie allemande, qui rappelons-le fut publiée pour la première fois en 1932 grâce à l’URSS de Staline, on a un exposé de cette question de la campagne par Karl Marx et Friedrich Engels.
Ils expliquent la nature des campagnes et le contraste avec les villes.
« La troisième forme est la propriété féodale ou liée à une structure d’ordres.
Si l’Antiquité partait de la ville et de son petit territoire, le Moyen Âge, lui, part de la campagne.
La population qui se trouvait là, clairsemée, dispersée sur une vaste étendue, peu accrue par l’arrivée des conquérants, conditionnait ce point de départ différent.
Au contraire de la Grèce et de Rome, le développement féodal commence donc sur un terrain beaucoup plus vaste, préparé par les conquêtes romaines et l’extension de l’agriculture qui leur était liée dès le départ.
Les derniers siècles de l’empire romain en décadence et la conquête par les Barbares détruisirent une large partie des forces productives ; l’agriculture avait sombré, l’industrie s’était effondrée par manque de débouchés, le commerce s’était assoupi ou avait été brutalement interrompu, la population rurale et urbaine avait diminué.
Ces conditions initiales, et l’organisation de la conquête qui en découlait, développèrent, sous l’influence de la structure militaire des Germains, la propriété féodale.
Celle-ci repose, comme la propriété tribale et la propriété communautaire, également sur une entité collective, en face de laquelle se dressaient, non pas comme dans l’Antiquité, les esclaves, mais les petits paysans asservis en tant que classe des producteurs directs ; avec la formation complète du féodalisme s’ajoute encore l’opposition aux villes.
L’articulation hiérarchique de la possession foncière, et les groupes armés qui suivaient et accompagnaient cette dernière, donnèrent à la noblesse le pouvoir sur les serfs.
Cette articulation féodale était, autant que la propriété communautaire antique, une association contre la classe dominée des producteurs ; seuls étaient différents la forme de l’association et le rapport aux producteurs directs, parce que régnaient des conditions de production différentes.
À cette articulation féodale de la possession foncière correspondaient, dans les villes, la propriété corporative, l’organisation féodale de l’artisanat. La propriété consistait ici principalement dans le travail de chaque individu.
La nécessité de l’association contre l’association de la noblesse pillarde, le besoin de halles de marché communes en un temps où l’industriel était en même temps commerçant, la concurrence croissante de serfs accourant en flot dans des villes prospères, l’articulation féodale de tout le pays amenèrent les corporations ; les petits capitaux économisés peu à peu par les artisans et le nombre stable de ceux-ci dans une population croissante développèrent la condition de compagnon et celle d’apprenti, ce qui mit en place dans les villes une hiérarchie analogue à celle des campagnes. »
Dans ce rapport, les campagnes l’emportent, car ce sont elles qui apportent de quoi survivre. Les villes apportent de quoi vivre de manière meilleure, mais dans tous les cas les forces productives sont faibles et tout cela ne va pas bien loin.
Karl Marx et Friedrich Engels constatent ainsi que :
« La propriété principale, pendant l’époque féodale, consistait donc, d’un côté, en une propriété foncière à laquelle était attaché le travail servile, et, d’un autre côté, en un travail propre avec un petit capital dominant le travail des compagnons.
L’articulation de ces deux formes était conditionnée par les limites du système de production, la culture du sol, faible et grossière, et la production artisanale.
Il y eut peu de division du travail même à l’apogée du féodalisme.
Chaque pays connaissait en son sein l’opposition de la ville et de la campagne ; l’articulation en ordres était assurément très fortement prononcée, mais en dehors de la distinction entre princes, noblesse, clergé et paysans à la campagne, et maîtres, compagnons, apprentis et bientôt populace de journaliers dans les villes, il ne se produisit aucune division significative.
Celle-ci était rendue difficile dans l’agriculture par l’exploitation parcellaire, à côté de laquelle surgit l’industrie domestique des paysans eux-mêmes ; dans l’industrie, le travail n’était nullement divisé à l’intérieur de chaque métier, et très peu entre les différents métiers.
Dans les villes les plus anciennes, la séparation de l’industrie et du commerce préexistait, mais elle ne se développa que plus tard dans les villes plus récentes, lorsque les villes entrèrent en rapports les unes avec les autres.
La constitution en royaumes féodaux de territoires assez vastes était un besoin pour la noblesse terrienne comme pour les villes. L’organisation de la classe dominante, la noblesse, eut donc partout un monarque à sa tête. »
Le féodalisme implique la monarchie comme union centrale symbolique des divisions locales réelles, tout comme le féodalisme a besoin des villes comme excroissance de la campagne formant un lieu d’échange central de l’artisanat local.
Le féodalisme affirme une unité générale en tant qu’il est lui-même restreint ; le paysan est lié à sa terre en particulier, car il en va ainsi en général dans une société de seigneurs et de paysans, avec des commerçants et artisans existant parallèlement à eux.
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