La planification démocratique de la jeune CFDT vise à empêcher que ne triomphe une « société de consommation » aliénée, une société de consommateurs individuels.
Pourquoi ? Parce qu’elle permettrait de maintenir la « consommation collective (éducation, santé, logement, culture, etc. ».
Cette thèse part du principe d’anticiper ce qui va arriver. Le groupe Reconstruction se focalise depuis le départ sur les États-Unis et à sa suite, la CFDT considère que les États-Unis forment le modèle, avec un regard toujours plus critique toutefois.
Elle affirme donc que la France va connaître une urbanisation croissante, que l’on va vivre plus longtemps, que le progrès technique va connaître une dimension inconnue jusqu’à présent (par l’énergie atomique, l’automation, l’énergie sans fil…). Il y a un grand suivi des bouleversements techniques.
En même temps, la CFDT comprend que cela implique une déqualification des travailleurs en raison de l’évolution si rapide, et des conditions de travail marqué par l’ennui, la perte du sens de travailler, même si la situation permet un confort matériel plus marqué.
Il y a à la fois un regard réaliste, matérialiste, permis paradoxalement par une ancienne base catholique romantique critique du capitalisme… et un idéalisme humaniste-existentialiste.
Ici, la CFDT s’appuie notamment de la figure de Jacques Ellul, un philosophe dénonçant le monde moderne et technique sur une base à la fois anarchiste et chrétienne. Les êtres humains seraient totalement conditionnés par les médias, la télévision, le cinéma, les structures du travail, la technique moderne, etc.
André Jeanson, qui sera le dirigeant de la CFDT de 1967 à 1970 (et qui dira ensuite que « la CFDT a été Mai 68 »), résume cette approche de la CFDT en expliquant en 1963 que :
« Malgré les forces contraires, la société industrielle moderne est encore assez fluide pour se laisser arracher aux perspectives d’une civilisation du « gadget » et d’un conformisme déshumanisant ; pour se laisser pousser dans la voie de la démocratie et de l’épanouissement des hommes. »
Autrement dit, comme la CFDT l’expose à sa fondation, il faut critiquer le capitalisme, mais ce qui est appelé « capitalisme » c’est en réalité un non-partage des fruits de la civilisation :
« La société de consommation avec ses normes ambiantes, ses signes de « bonheur moyen », marque la réalité de la vraie pauvreté : un enseignement de classe, l’absence de culture, la pénurie de logements, l’accélération des cadences de travail, la longueur des horaires aggravée par la durée des trajets, l’angoisse en face d’un avenir professionnel incertain devant l’accélération du développement des techniques, l’oppression dans la vie du travail, l’exploitation quotidienne, autant de réalités qui constituent une forme moderne d’exploitation, c’est-à-dire subir sans jamais décider.
Une société restera foncièrement injuste tant que la valeur d’un homme sera considérée en fonction d’un modèle social de consommation et non en fonction de sa seule qualité d’homme. »
Cette critique de la société de consommation va prendre un tournant radical à la suite de Mai 1968.
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