La CFTC en tandem avec la CGT : la théorie

Lorsque, en 1947, il y a une scission dans la CGT, avec l’émergence de la CGT-Force ouvrière, Reconstruction salue cette :

« réaction syndicaliste contre le contrôle des syndicats par un parti totalitaire ».

Quant à la CFTC, elle met immédiatement en place un cartel inter-confédéral avec la CGT-Force ouvrière, qui ne durera pas.

La raison, on la trouve expliquée en 1964, dans les propos d’André Bergeron, à la tête de la CGT-Force ouvrière. Il s’agit d’une évaluation générale de la CFTC, dans un article publié dans les « Nouvelles », une publication internationale du syndicat AFL-CIO, violemment anticommuniste et qui, avec la CIA, a œuvré à l’émergence de la CGT-Force ouvrière en 1947.

André Bergeron dénonce l’approche de la CFTC qui perpétuellement se tourne vers la CGT, alors que justement la CGT-Force ouvrière combat celle-ci de manière ininterrompue :

« Les militants Force Ouvrière ont été, et sont encore, constamment gênés par le comportement des syndicats chrétiens qui, non seulement acceptent, mais provoquent l’unité d’action, voulant jouer le rôle de charnière, de trait d’union entre la C.G.T. et Force Ouvrière.

La Confédération Force Ouvrière a, plusieurs fois, fait savoir aux dirigeants des syndicats chrétiens qu’elle ne serait pas hostile à un rapprochement avec la C.F.T.C. à condition que ses organisations cessent de pratiquer l’unité d’action avec la C.G.T. communiste.

La réponse a toujours été la même : « nous ne craignons pas les communistes et n’éprouvons aucun complexe à leur égard ! ». L’histoire démontre qu’ils se font de dangereuses illusions (…).

En appliquant presque en permanence leur tactique d’unité d’action avec la C.G.T., les organisations de la C.F.T.C. créent en France une dangereuse situation dont les communistes risquent fort en définitive d’être les bénéficiaires.

Créer un courant unitaire est chose facile. Il est moins aisé de le canaliser. Mais les dirigeants chrétiens ont-ils bien conscience des risques que leur comportement fait courir au syndicalisme libre ? »

Et, effectivement, la CGT-Force ouvrière va toujours rejeter la CFTC (et la CFDT qu’elle deviendra), en raison des liens avec la CGT, que la CGT-Force ouvrière récusait totalement.

Il faut bien comprendre ici le paradoxe d’une CFTC (puis CFDT) très proche de la CGT-Force ouvrière, mais se tournant en permanence vers la CGT, au nom du concept appelé « unité d’action ».

Cette unité d’action a été théorisée de manière très précise par Reconstruction, ce qu’Edmond Maire, dirigeant de la CFDT, reconnaît ouvertement dans son ouvrage Pour un socialisme démocratique en 1971 :

« On doit dire et je pense que personne ne s’en choquera à la C.F.D.T. d’aujourd’hui
que c’est la minorité C.F.T.C., le courant Reconstruction avec Paul VIGNAUX qui a mis au point notre théorie de l’unité d’action. »

Alors que, donc, la CGT-Force ouvrière quittait la CGT en la boycottant de manière absolue, Reconstruction a promu un suivi soutenu de la CGT par l’unité d’action devant servir le syndicalisme « libre ». Il fallait suivre autant que possible la CGT pour la remplacer.

La première affirmation de cette position date de décembre 1948 : Reconstruction met en avant une « lettre aux militants », écrite par Charles Savouillan, autour du thème de « l’unité d’action » avec la CGT.

Charles Savouillan dit la chose suivante. La scission de la CGT-Force ouvrière a affaibli la CGT qui ne peut plus jouer à « qui m’aime me suive ».

Elle ne peut plus faire pression et va désormais essayer de gagner des points par la « décomposition » de ses partenaires, en menant une action commune, sur la base des revendications hors CGT mais cherchant à séparer la base de la direction afin de la recruter dans le processus de lutte.

Or, rappelle Charles Savouillan, toute la ligne de la CGT est décidée par le Parti communiste. Cela veut dire qu’on peut « lire » la tactique communiste et la retourner en son contraire… et profiter soi-même de l’unité d’action, aux dépens de la CGT.

Ce serait même d’autant plus nécessaire que la grande majorité des travailleurs est avec la CGT ! Il s’agit de faire en sorte que le « syndicalisme libre » l’emporte sur le « totalitarisme ».

Il conclut ainsi son analyse de plusieurs pages sur la stratégie et la tactique communistes en disant que :

« La situation des forces sociales dans un pays, l’intérêt des travailleurs tel qu’il apparaît dans cette situation, peuvent rendre opportune, nécessaire même l’unité d’action entre des syndicalistes non-communistes et les organisations syndicales à direction communiste.

Mais comme dit le proverbe : « lorsqu’on veut manger la soupe avec le diable, il faut avoir une grande cuillère ».

Lorsqu’on pratique l’unité d’action avec la CGT, il faut savoir ce qu’est la CGT, ce qu’elle veut. Il ne s’agit pas seulement de distinguer l’action strictement professionnelle de l’action politique qui l’élargit et la déborde, selon la stratégie communiste : nous reprendrons ce problème.

Il s’agit, dans la coïncidence même l’objectif immédiats, de demeurer conscients de ce que nous sommes et voulons. »

Voici comment, a posteriori, en janvier 1971, Reconstruction présente sa démarche historique de reconquête syndicale :

« L’idée directrice d’unité d’action, telle qu’élaborée à « Reconstruction », implique la conscience d’un rapport de force syndicale qui, dans une situation de prépondérance communiste, motive pour une minorité non-communiste le recours de fait au pluralisme confédéral.

Si cette minorité envisage avec les organisations majoritaires à direction communiste une relation de partenaires dans l’unité d’action, elle se situe d’abord à l’égard de ces mêmes organisations comme leur concurrente.

En 1948 et dans les années suivantes, les militants qui, à « Reconstruction », préconisaient l’unité d’action avec la C.G.T. ne dissimulaient pas leur projet d’une reconquête syndicaliste de milieux syndicalement dominés par des organisations à direction communiste.

L’implantation dans ces milieux industriels de la C.F.T.C. devenue C.F.D.T. a sans doute accru cette concurrence, donnée fondamentale de l’unité d’action qui vise et parvient à la limiter, dans certains domaines (…).

Confirmant l’attente des fondateurs de « Reconstruction », l’expérience a d’ailleurs montré que, dans des milieux de travail où ils étaient jusqu’alors peu connus, les syndicats C.F.T.C. devenant C.F.D.T. étendaient leur audience et s’implantaient en pratiquant l’unité d’action dans des conditions qui sauvegardent leur personnalité.

Si le problème de cette sauvegarde a été exactement posé, si l’on a pu y trouver des solutions pratiques, c’est en se référant à l’histoire de l’action communiste internationale depuis Lénine, par une analyse de la tactique des « fronts unique, commun, etc. » et en y opposant une conception, délibérément non communiste, de l’unité d’action intersyndicale. »

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