Le mot d’ordre du congrès de 1947 de la CFTC est « Libérons l’Homme de la machine et de l’argent ». Cela reflète l’existentialisme social pétri dans l’existentialisme catholique ; on trouve exactement la même démarche au sein du syndicat étudiant UNEF.
La Résistance, avec son alliance gaulliste-communiste, donne naissance à une génération idéaliste mêlant idéaux sociaux et exigences existentielles façonnées dans le christianisme.
C’est le groupe « Reconstruction », base d’un mouvement, qui est la source de ce tournant post-catholique, ou plutôt de ce prolongement social où le catholicisme prend le masque d’une philosophie sociale « moderne ».
Ce mouvement tourne autour de revues ; de simples cahiers de notes et d’études initialement (janvier 1946-février 1948) initialement, on passe à une publication régulière avec les Bulletins des groupes Reconstruction (mars 1948-septembre 1953), qui se développent en les Cahiers des groupes Reconstruction (octobre 1953-juillet 1956), et finalement en les Cahiers Reconstruction (août 1956-juillet 1974).
On peut dire que Reconstruction a bombardé mensuellement son idéologie dans sa revue de 1948 à 1968, servant de fermentation intellectuelle à la CFTC.
Reconstruction dit la chose suivante : il faut que le syndicat assume les questions de politiques sociales et de politiques économiques. Il ne peut pas rester à l’écart de ces deux questions et doit par conséquent directement s’adresser à l’État.
Le numéro 1 des cahiers de Reconstruction, en janvier 1946, présente ainsi l’alternative :
« De deux choses l’une :
– ou ces syndicalistes trouvent devant eux, comme à VICHY, un Etat autoritaire prêt à devenir totalitaire, incarné dans des hommes qui veulent se réserver la vue et l’action d’ensemble. D’autorité, les, syndicalistes seront réduits à un rôle consultatif et à un rôle d’exécutants, comme dans la Charte du 4 octobre 1941 ; les organisations ouvrières, mises en tutelle, seront enfermées chacune dans sa « profession » ; en définitive, l’appareil gouvernemental s’emploiera à briser le mouvement ouvrier.
– ou les syndicalistes sont citoyen d’un Etat démocratique, qui laisse subsister en dehors de lui des forces nationales indépendantes, usant de la pleine liberté d’expression. Dans cette atmosphère, le syndicalisme pourra prendre position sur tous les problèmes intéressant, à son avis, le monde du travail. Plus il y aura de démocratie vivante, intense dans toute l’activité nationale,
plus le mouvement syndical aura de chance de grandir et d’agir. »
Dans le contexte de l’époque, cela donne la chose suivante. Il y a les gaullistes, de droite et pour un État fort, et les communistes qui veulent la dictature du prolétariat. Entre les deux, il y a toute une aire occupée par les centristes, les socialistes, les anarchistes. Reconstruction affirme qu’il faut se poser comme élément de cette aire, comme « syndicalistes anti-totalitaires ».
Reconstruction reprend d’ailleurs l’idée socialiste d’un capitalisme organisé ; dans le numéro 1 on lit ainsi la chose suivante. On se rappellera que le Parti communiste français, devenu révisionniste en 1953, développera par la suite le même argumentaire avec sa thèse du « capitalisme monopoliste d’État ».
« Fait caractéristique également de notre époque, l’influence sociale et politique des entreprises groupées en monopoles, les liaisons étroites qui s’établissent entre leurs dirigeants et les dirigeants de l’Etat, notamment lorsque celui-ci, ayant à diriger l’économie, cherche des compétences qu’il trouve naturellement dans les milieux industriels et financiers.
L’Etat dirigeant tend à devenir un Etat-des-monopoles (Ce que les Anglo-Saxons appellent Monopoly-State). »
Reconstruction se revendique ainsi rapidement du « socialisme démocratique ». L’éditorial du Cahier 21-22 (juin-juillet 1955) définissait ainsi la ligne idéologique :
« Traditionnellement, le mouvement syndical français est contestation du capitalisme.
Cet anticapitalisme ne doit pas rester dangereusement vague.
Dès qu’il reconnaît que son action tend « à une planification démocratique de l’économie qui fera de la fonction d’investissement une responsabilité publique », le syndicalisme prend un aspect socialiste — au sens que la théorie économique moderne peut donner à ce terme, au sens également que lui a donné la déclaration de Francfort (1951) lors de la reconstitution de l’Internationale Socialiste.
A la fois comme alternative au mythe totalitaire du communisme et par opposition au néo-capitalisme d’après-guerre, le socialisme démocratique s’est défini de nos jours sous l’influence prédominante des mouvements ouvriers britannique et scandinave.
Et, comme le remarquait en rejetant une notion sectaire de la laïcité, l’organe d’un syndicat « minoritaire » C.F.T.C., les pays européens les plus avancés dans la voie du socialisme démocratique « sont ceux où le mouvement ouvrier socialiste n’a pas été le moins respectueux des consciences religieuses » (Ecoles et Education, 29 juin 1955). »
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