La CGT assume la politique à la fin de la première guerre mondiale

La CGT n’est, en 1918, plus du tout opposée ni à l’État, ni aux socialistes. La raison en est bien entendu l’Union sacrée. Étant donné que le Parti socialiste SFIO a soutenu la guerre, la CGT sait que si elle dénonce les socialistes, cela risque de lui retomber dessus puisqu’il y a une convergence générale dans la même direction.

Elle est d’ailleurs obligée d’assumer la politique, elle qui la récusait toujours. Elle se positionne pour une paix juste, sans conquêtes territoriales, exigeant une fédération balkanique, une démocratisation de tous les pays, un soutien au sionisme se développant alors, etc.

Pour cette raison, il y eut même en novembre 1918 une délégation du Parti socialiste SFIO et de la CGT pour demander au gouvernement la « participation de délégués de la classe ouvrière française à la conférence générale de la paix ».

Cela se produisit alors que devait venir à Paris le président Wilson. La CGT mobilisa d’ailleurs dans le sens d’une mobilisation générale en faveur du président américain Wilson, présenté comme un grand partisan de la paix, alors qu’en réalité il représentait l’interventionnisme impérialiste américain dans une Europe connaissant la crise générale.

Le président américain Wilson à Paris

L’appel commun du Parti socialiste SFIO et de la CGT se termine de manière délirante par :

« Votre présence aidera ainsi à terminer heureusement le cauchemar des peuples et à préparer la paix durable d’où pourra surgir l’organisation du travail dans le monde par la libre et loyale coopération de tous les peuples démocratisés de la terre.

C’est là ce que signifient les acclamations montées vers vous aujourd’hui.

C’est là, Monsieur le Président, sans déguisement ni subordination, parlant au grand jour comme vous parlez, comme vous aimez qu’il soit parlé, ce que viennent vous dire les grands groupements ouvriers et socialistes de notre pays. »

Un tel suivisme à l’égard de l’impérialisme américain en dit long sur la soumission au capitalisme des socialistes et des syndicalistes de la CGT. Le pire est que le président Wilson répondit par un message où il attribuait l’origine de la guerre mondiale à l’absolutisme et au militarisme, mais tout serait déterminé dans le bon sens grâce aux « esprits libéraux et réfléchis », etc.

Le gouvernement balaya cependant d’un revers de la main les désirs de la CGT de lancer des initiatives sur ce plan. Ce qui n’empêchait pas la CGT de demander en même temps au gouvernement d’être partie prenante dans la réorganisation de l’économie dans le cadre de la démobilisation, par l’intermédiaire d’un « Conseil économique du travail ». Le gouvernement mettra effectivement en place, en 1925, un tel « Conseil national économique ».

Elle justifiait tout cela en disant qu’il s’agit d’accompagner la mise en place d’une nouvelle situation où toute « querelle intestine » serait nuisible. La présentation du programme minimum présenté au vote lors du 14e congrès de la CGT, qui se tint en septembre 1919 à Lyon, le souligne en les termes suivants :

« Rien n’est plus dangereux, dans les moments que nous vivons, que la division des efforts, que la bataille en ordre dispersé. »

Le programme minimum contenait évidemment l’appel à la constitution d’une « Société des nations », ainsi que par ailleurs d’un « Office international de transport et de la répartition des matières premières », une « internationalisation du domaine colonial en vue de la meilleure utilisation des ressources du sol et du sous-sol pour le bénéfice général de l’humanité et pour le relèvement moral et matériel des indigènes ».

La CGT se positionne en 1918, pour la première fois, politiquement en considérant qu’il y aurait une sorte de « démocratisation » internationale ; elle aurait un rôle à y jouer. Elle soutint d’ailleurs la Conférence syndicale internationale de Berne de février 1919, avec des représentants de toute l’Europe, appelant la Société des nations à considérer

« comme une de ses tâches primordiales de créer une législation internationale de protection du travail et d’en assurer l’application. »

C’est l’exigence d’une « charte du travail » qui soit maquée par une progression des droits sociaux de l’autre, en l’échange d’une acceptation complète du régime et de l’insertion de la CGT dans ses rouages.

La CGT participe également aux côtés du gouvernement à la Conférence internationale du travail à Washington, sous l’égide de la « Société des Nations », où est nommé à la tête du Bureau International du Travail pas moins qu’Albert Thomas, la plus grande figure socialiste de la collaboration de classe pendant la guerre mondiale.

L’appel pour les rassemblements du premier mai 1919 – passant forcément par la grève à l’époque, le jour n’étant pas chômé ni payé – est explicite quant à cette insertion exigeant un sens des responsabilités :

« Le Premier Mai doit être uniquement ouvriers ; strictement limité à une démonstration ouvrière.

La démonstration se fera avec le calme et la dignité que confère la puissance.

Pour bien montrer ce que peut la force ouvrière quand elle est disciplinée, le travail reprendra le 2 mai pour juger de la valeur de l’effort et se préparer aux nouveaux combats qui devront se poursuivre.

Hommes et femmes, ouvriers, employés, fonctionnaires, paysans et artisans, vous ferez entendre la même clameur pour marquer votre désir de mieux-être et de liberté. »

C’est là un choix politique d’acceptation du régime, de participation, sur un mode apolitique.

Et le régime, effectivement, accepta l’ouverture, avec en mars 1919 la loi sur les conventions collectives et en avril 1919, instaura la journée de huit heures de travail.

Affiche de la CGT après le vote de la journée de huit heures

Sauf que, en même temps, il autorisa les manifestations du premier mai partout sauf à Paris. Les ouvriers passèrent outre et l’après-midi du premier mai fut marqué par d’intenses affrontements dans une capitale quadrillée par les troupes et avec de très nombreux policiers en civils faisant office d’agents provocateurs.

Il y eut deux morts : l’ouvrier électricien Charles Lorne et le garçon de recettes Alexandre Auger, tués sous les balles de la police, alors qu’il y avait environ 700 personnes blessées.

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