L’exemple des vikings est significatif, car on imagine bien des hommes particulièrement grands et musclés, bien formés aux armes, massacrant des moines et des paysans sans défense.
On peut et on doit même transposer cela au rapport entre les seigneurs et les paysans.
La question des calories doit être analysée en tant que telle, mais disons déjà que les paysans sont faibles, affamés, carencés, alors que les seigneurs se nourrissent à leur faim et sont éprouvés au combat.
C’est même leur obsession.

En effet, le féodalisme vient de l’esclavagisme, on a affaire à des hommes en armes.
Ils n’ont pas instauré l’esclavagisme, car l’occasion ne s’y prêtait pas, mais ils ont la même démarche agressive.
Être fort physiquement, apte à combattre, prêt à toujours faire valoir ses droits supérieurs, telle est l’idéologie portant le seigneur dans sa vie quotidienne.
C’est à ce titre qu’il se réserve le droit de chasser. Ce n’est pas seulement pour se réserver les animaux de la forêt, c’est aussi un entraînement militaire, cela forge des mentalités bien définies qui doivent absolument être réservées à l’élite.
La chasse est une idéologie en tant que telle, à la fois comme raffinement et comme sport, comme entraînement au maniement des armes au même titre que l’escrime.

Il y a par conséquent une véritable profusion d’armes améliorées, modernisées ou nouvelles, avec des gammes infinies selon l’utilisation visée.
On pense bien entendu au seigneur avec une lourde épée, une longue lance, une hache, une massue, un bouclier, mais tout ce matériel relève d’une véritable activité industrieuse à l’échelle continentale.
Pour faire simple, notons que pour le matériel principal, l’évolution est la suivante : les seigneurs ont une armure en cuir avec des plaques de métal, qui sera remplacée par une cotte de mailles en métal, qui cédera elle-même à la fameuse armure, extrêmement lourde par ailleurs.
Les chevaux eux-mêmes seront munis d’armures, car tout seigneur a son cheval et c’est ce qui va donner naissance à l’idéologie de la chevalerie.

Au sens strict, la chevalerie consiste en une catégorie sociale particulière, celle des chevaliers. Ils appartiennent à la noblesse inférieure et utilisant une partie de leurs richesses pour se procurer et entretenir tout l’équipement (au 12e siècle, cela équivaut chaque année aux revenus de l’agriculture sur 150 hectares).
En réalité, la chevalerie est tout un dispositif idéologique, qui vise à valoriser l’esprit de corps des seigneurs. C’est la raison pour laquelle des tournois étaient organisés de manière régulière par les empereurs, les rois ou les plus grands seigneurs.
Cela s’associe aux trouvères et aux troubadours, payés par les seigneurs pour réciter des vers racontant l’héroïsme de figures plus ou moins mythiques ; c’est ce qu’on appelle la chanson de geste.

Tout un travail est à mener ici, mais il ne faut pas se leurrer : derrière la prétendue noblesse d’esprit des chevaliers il y a la pratique d’écrasement des paysans dans le sang.
La chevalerie est une idéologie, qui vise à galvaniser les seigneurs, à maintenir la pression militaire, à établir une séparation fondamentale avec les larges masses.
On remarquera d’ailleurs que même si la chevalerie s’inscrit dans les croisades, elle possède une dynamique interne qui relève fondamentalement des seigneurs, et non de la religion.
C’est vrai pour toutes les chevaleries, sans exception, qui sont normalement liées à la féodalité, mais qu’on retrouve dans l’esclavagisme.
Dans tous les cas, il y a la revendication de l’honneur, du courage plein d’abnégation, de la loyauté, du code d’honneur, de la maîtrise de soi, du sens du sacrifice, etc.
Tout cela est une fiction militariste ; c’est un masque pour former les combattants de la classe des seigneurs à être prêt à sauver leur classe, coûte que coûte.

Mentionnons ici la furūsiyya qui est l’idéologie chevaleresque islamique (fusion des traditions combatives arabes et de l’esprit dynastique persan), les samouraïs japonais (avec l’art du Bushido), les Rajputs du Rajasthan, les guerriers mongols, les cavaliers songhaïs de la vallée du fleuve Niger, les cosaques, etc.
Ce qu’on appelle les arts martiaux sont des méthodes relevant de cette idéologie ou bien s’y rattachant : le krabi-krabong thaïlandais, le iaido japonais, le kung fu chinois, le bokator cambodgien, le karaté et le ninjutsu japonais, le kalarippayatt indien, etc.
On est ici au croisement de l’entraînement militaire propre à une caste et un système codifié de combat, avec toujours un arrière-plan idéologique.
Cette démarche chevaleresque est toujours liée à l’idée d’être en permanence sur la brèche, d’avoir possiblement toujours avoir à combattre, de manière imprévue.

Elle démasque sa réalité de classe quand on sait que, loin des contes oraux et écrits sur les chevaliers héroïques comme ceux de la Table ronde, les seigneurs européens vivaient dans des châteaux-forts.
Initialement en bois, ils furent ensuite construits en pierre une fois le féodalisme bien installé, avec des murs de pierre pouvant atteindre soixante mètres de hauteur, bien sûr des douves et un pont-levis.
Prendre d’assaut une telle place forte était extrêmement difficile ; cela exigeait des appareils pour lancer des pierres et des objets incendiaires, des tours en bois sur roues amenées le plus près possible des murailles.
Dans la pratique, cela consistait surtout en un siège pouvant durer des mois.
S’il ne faut pas nier la dimension réelle des combats menés par les seigneurs, et ce même perpétuellement, il ne faut pas y voir un courage formidable ni attribuer à la chevalerie une valeur en soi.
C’était un principe militariste d’éducation à visée pratique : le maintien de la domination, son renforcement à chaque occasion.
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