La convergence avec le socialisme de marché du 4e congrès des écrivains de Tchécoslovaquie en 1967

Le Parti Communiste de Tchécoslovaquie (PCT) n’apprécia guère le quatrième congrès de l’association des écrivains de juin 1967, notant qu’il n’y avait aucune référence qui y fut faite à l’URSS, et cela alors qu’était fêté le 50e anniversaire de la révolution russe. C’est l’idéologue en chef du PCT, Jiří Hendrych, qui se chargea de la critique, notamment en présence d’une grande délégation du PCT lors du cinquième congrès des journalistes, les 19 et 20 octobre 1967 à Prague. Il avait été lui-même présent au congrès des écrivains quelques mois plus tôt, mais pratiquement seul.

Entre-temps avaient été exclus du PCT les écrivains Ludvik Vaculik et Antonin Liehm, alors que Jan Prochazka avait perdu sa place de candidat au Comité Central, que la direction de l’association des écrivains avait été désavouée, que la direction du Literární noviny avait été expulsée.

Cependant, cela n’était là qu’une défense spontanée d’une bureaucratie qui, inversement, s’appuyait sur une libéralisation massive de l’économie depuis 1953. La Tchécoslovaquie comptait même l’un des principaux théoriciens de cette conception : Ota Šik, un équivalent direct du Polonais Oskar Lange et de l’Ukrainien Evseï Liberman. Le but est ouvertement une sorte de « socialisme de marché » où l’État ne fait qu’encadrer la loi de l’offre et de la demande.

Ota Šik

L’année 1965 fut à ce titre un grand tournant avec une « responsabilisation » des entreprises – en réalité leur autonomie -, un renforcement très grand des intérêts matériels, faisant de la Tchécoslovaquie la pointe de cette tendance dans toute l’Europe de l’Est la Yougoslavie mise à part.

Ota Šik enfonça le clou dans une interview au journal du syndicat de Prague Prace, le 5 mars 1968. Il prôna une rationalisation encore plus radicale de l’économie par une remise en cause fondamentale des institutions supervisant l’économie et l’autonomie des entreprises. Dans le Rudé právo, l’organe du Parti Communiste de Tchécoslovaquie, il fut très clair :

« Le monopole des entreprises doit être remplacé par une concurrence intérieure ou au moyen du commerce extérieur. »

Cette position s’associe avec le fait de vouloir mettre en place des conseils d’entreprise, d’aller dans le sens de l’autogestion. Son modèle est très clairement la Yougoslavie titiste.

Et au moment où il lance cette bataille, il est membre du Comité Central (depuis 1962), dirigeant de la commission du Parti et de l’État sur la réforme économique (depuis 1964) et au moment il donne cette interview, une variante de son « nouveau modèle économique » est déjà en place.

Cela signifie que la révolte qui s’est affirmée lors du quatrième congrès des écrivains est strictement parallèle à l’instauration en Tchécoslovaquie, depuis 1953, d’une économie étatisée, bureaucratique, où le marché s’élance. Il y a ici une convergence et tant les activistes pro-libéraux du quatrième congrès des écrivains qu’Ota Šik vont devenir des figures majeures du Printemps de Prague.

Cette démarche ne plut pas à l’URSS, qui tira à boulets rouges sur Ota Šik, qualifié de révisionniste faisant l’apologie de la supériorité du marché capitaliste sur le socialisme dans le domaine de la production.

Cependant, l’URSS soutenait elle-même la démarche de libéralisation de l’économie. Aussi accepta-t-elle à contrecoeur le coup de force de début janvier 1968 du slovaque Alexander Dubček, partisan d’Ota Šik, pour arracher le contrôle du Parti Communiste Tchécoslovaque à Antonín Novotný.

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