La corporation paysanne, l’élan vers les années 1960

Depuis la fin de l’année 1935, le Front paysan vivote cependant pour n’être plus qu’un réseau, principalement grâce à un nouveau journal lancé par Henri Dorgères et Jacques Leroy-Ladurie, Le cri du sol.

C’est le rapport avec la droite agrarienne qui pose souci et la rupture est consommée en 1938 ; en mai 1937, Henri Dorgèes n’est pas invité au congrès paysan de l’UNSA et Jacques Leroy-Ladurie, président de l’UNSA anciennement lié au Front paysan, écrit en septembre l’article « silence aux incapables ».

Le document « Vers une politique paysanne » sert de base à la droite agrarienne, qui se réoriente vers une politique où la corporation paysanne devient une manière d’influencer directement la politique agricole de l’État.

Dans la même perspective, en 1937, Rémy Goussault, président de l’Association Générale des Producteurs de Blé publie « le fait paysan et le fait syndical » ; Louis Salleron, ancien secrétaire de Jacques Bainville à la Revue universelle et véritable idéologue de l’UNSA, propose « un régime corporatiste pour l’agriculture ».

Ainsi, en 1938, lors de l’application de la loi sur les allocations familiales, Henri Dorgères s’y oppose comme une interférence « étatique » alors que la droite agrarienne y voit une opportunité pour rattacher leurs organisations syndicales et ainsi fonder la corporation.

La création de la corporation paysanne en décembre 1940, après la défaite face à l’Allemagne nazie, confirme ce changement de rapport de forces dans le mouvement agrarien une fois le pétainisme instauré.

Henri Dorgères reçoit la francisque et continue à diffuser le Cri du sol, mais il est mis de côté pour les fonctions essentielles. Le maréchal Pétain se prononce pour un régime corporatif défendant la propriété familiale. En avril 1941, à Toulouse, il déclare :

« Grâce à un programme agraire méthodiquement conçu, nous développerons le nombre des propriétés paysannes ou familiales qui favorisent l’accès des salariés à l’exploitation et multiplieront ainsi sur des bases solides, le nombre des belles familles terriennes. »

La corporation paysanne avait été instaurée le 2 décembre 1940. Louis Salleron en avait rédigé le texte, et les responsables régionaux étaient tous issus de la droite agrarienne.

Intégrée dans quelques régions, la « défense paysanne » ne fut donc pas la véritable colonne vertébrale de la Corporation mais bien les anciens notables du PAPF et de l’UNSA comme Rémy Goussault, le comte de Guébriant, Pierre Caziot, Leroy-Ladurie…

En 1946, les principaux chefs de l’UNSA fondèrent la FNSEA et impulsèrent un modèle de cogestion de l’agriculture entre le corporatisme professionnel et l’État.

L’intégration au marché européenne avec les lois de 1960 et 1962 aboutit ensuite au regroupement des exploitations en les concentrant, tout en modernisant les outils de travail et en développement l’exploitation laitière et l’élevage (très faible dans les années 1920-1930).

Le Parti Communiste devenu révisionniste mit en place, de son côté, en 1959, le Mouvement de défense des exploitants familiaux (MODEF) afin de s’opposer de manière populiste-petite-bourgeoise à la concentration agricole.

Dans « Vers l’émancipation paysanne », l’un de ses dirigeants Waldeck Rochet fustige ainsi « l’élimination de la petite production par la grande », ayant pour conséquence que « les 4/5 de petits exploitants qui existaient il y a 50 ou 60 ans sont devenus de simples prolétaires ».

C’était là reprendre la ligne de Renaud Jean, pourtant critiquée par Lénine, ainsi que lors du IVe congrès de l’Internationale Communiste, et pouvant désormais pleinement se développer avec le révisionnisme.

Les années 1960 marquent pourtant en même temps la fin de la « question paysanne » par le biais de la modernisation capitaliste. Henri Dorgères écrivit de son côté une sorte de bilan critique dans « Au XXe siècle : 10 ans de jacquerie » publié en 1959, fantasmant sur une paysannerie populiste dont le style se généraliserait :

« Et si nous n’avions pas trouvé chez les ouvriers et si nous n’avions pas trouvé chez les commerçants, les artisans, les industriels et chez ceux qui exerçaient des professions libérales, des groupements poursuivant un combat parallèle au nôtre, nous avions l’espoir pourtant de pouvoir les susciter. »

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Henri Dorgères et les chemises vertes