Si la jeune Chine populaire est parvenue à s’arracher au chaos généralisé, deux problèmes de fond se posent dans les années 1950. Tout d’abord, l’URSS devenue révisionniste rompit avec la Chine populaire, abandonnant toute aide et retirant ses conseillers et spécialistes, obligeant l’économie chinoise à se débrouiller littéralement sur le tas.
Ensuite, Mao Zedong avait compris que quelque chose n’allait pas et cela dépassait la question de la répression de la contre-révolution, qui connut une nouvelle étape en 1955 avec la « Directive de lancement de la lutte pour éradiquer les éléments contre-révolutionnaires cachés », afin de débarrasser l’État des éléments opportunistes agissant pour la réaction, notamment le Guomindang, qui de son côté avait fait de l’île de Taïwan sa base, avec l’appui américain.
L’idée de Mao Zedong était simple : il y avait un esprit administratif qui tendait à prédominer dans la gestion, avec une mentalité favorable aux prises de décisions unilatérales. Il y avait une sorte de copiage passif du modèle soviétique. Il fallait donc en terminer avec cela et lancer un mouvement d’initiatives diverses, afin de dépasser toute sclérose.
Aussi, deux initiatives furent-elles prises. La première, en avril 1956, est la campagne des cent fleurs.
La seconde, c’est la publication par Mao Zedong d’un ouvrage synthétisant la campagne : De la juste résolution des contradictions au sein du peuple.
Mao Zedong dit ainsi :
« Les contradictions entre nous et nos ennemis sont des contradictions antagonistes.
Au sein du peuple, les contradictions entre travailleurs ne sont pas antagonistes et les contradictions entre classe exploitée et classe exploiteuse présentent, outre leur aspect antagoniste, un aspect non antagoniste (…).
Sur quelle base les mots d’ordre « Que cent fleurs s’épanouissent, que cent écoles rivalisent » et « Coexistence à long terme et contrôle mutuel » ont-ils été lancés ?
Ils l’ont été d’après les conditions concrètes de la Chine, sur la base de la reconnaissance des différentes contradictions qui existent toujours dans la société socialiste et en raison du besoin urgent du pays d’accélérer son développement économique et culturel.
La politique « Que cent fleurs s’épanouissent, que cent écoles rivalisent » vise à stimuler le développement de l’art et le progrès de la science, ainsi que l’épanouissement de la culture socialiste dans notre pays.
Dans les arts, formes différentes et styles différents devraient se développer librement, et dans les sciences, les écoles différentes s’affronter librement.
Il serait, à notre avis, préjudiciable au développement de l’art et de la science de recourir aux mesures administratives pour imposer tel style ou telle école et interdire tel autre style ou telle autre école.
Le vrai et le faux en art et en science est une question qui doit être résolue par la libre discussion dans les milieux artistiques et scientifiques, par la pratique de l’art et de la science et non par des méthodes simplistes.
Pour déterminer ce qui est juste et ce qui est erroné, l’épreuve du temps est souvent nécessaire. Au cours de l’Histoire, ce qui est nouveau et juste n’est souvent pas reconnu par la majorité des hommes au moment de son apparition et ne peut se développer que dans la lutte, à travers des vicissitudes.
Il arrive souvent qu’au début ce qui est juste et bon ne soit pas reconnu pour une « fleur odorante », mais considéré comme une « herbe vénéneuse ».
En leur temps, la théorie de Copernic sur le système solaire et la théorie de l’évolution de Darwin furent considérées comme erronées et elles ne s’imposèrent qu’après une lutte âpre et difficile.
L’histoire de notre pays offre nombre d’exemples semblables. Dans la société socialiste, les conditions nécessaires à la croissance des choses nouvelles sont foncièrement différentes, et bien meilleures que dans l’ancienne société. Cependant, il est encore fréquent que les forces naissantes soient refoulées et des opinions raisonnables étouffées.
Il arrive aussi qu’on entrave la croissance des choses nouvelles non par volonté délibérée de les étouffer, mais par manque de discernement. C’est pourquoi, pour déterminer ce qui est juste et ce qui est erroné en science et en art, il faut adopter une attitude prudente, encourager la libre discussion et se garder de tirer des conclusions hâtives.
Nous estimons que c’est une telle attitude qui permettra d’assurer au mieux le développement de la science et de l’art (…).
L’idéologie de la bourgeoisie et celle de la petite bourgeoisie trouveront sûrement à se manifester. A coup sûr, ces deux classes s’obstineront à s’affirmer par tous les moyens, dans les questions politiques et idéologiques.
Il est impossible qu’il en soit autrement.
Nous ne devons pas recourir à des méthodes de répression pour les empêcher de s’exprimer ; nous devons le leur permettre, et en même temps engager un débat avec elles et critiquer leurs idées de façon appropriée.
Il est hors de doute que nous devons soumettre à la critique toute espèce d’idées erronées. Certes, on aurait tort de ne pas critiquer les idées erronées et de les regarder tranquillement se répandre partout et s’emparer du marché – toute erreur est à critiquer, toute herbe vénéneuse est à combattre.
Mais cette critique ne doit pas être dogmatique ; il faut écarter la méthode métaphysique et faire tout son possible pour employer la méthode dialectique. Une analyse scientifique et une argumentation pleinement convaincante sont ici de rigueur. Une critique dogmatique ne donne aucun résultat.
Nous combattons toute herbe vénéneuse, mais il faut distinguer avec soin ce qui est réellement herbe vénéneuse et ce qui est réellement fleur odorante. Nous devons ensemble, les masses et nous, apprendre à faire soigneusement cette distinction et, en nous servant de méthodes correctes, lutter contre les herbes vénéneuses. »
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