La défaite de l’Espagne républicaine

Hormis l’alignement sur les radicaux et la tentative de les remettre sur leur ligne du début du Front populaire, le Parti Communiste Français assume comme autre grand thème la guerre d’Espagne.

Ce n’est pas nouveau : initialement, il y avait la dimension antifasciste de soulignée, puis vint l’idée que pour protéger la France il fallait une Espagne non fasciste à ses frontières.

Avec les tensions internationales qui ont connu un terrible développement tout au long de l’année 1938, il y a désormais d’autres aspects s’entremêlant qui marquent une certaine redéfinition.

C’est que sur le fond, il y a ce qui flotte comme logique aux yeux de tous : si l’Espagne républicaine triomphe, l’antifascisme et le mouvement ouvrier vont de l’avant ; si le coup d’État militaire de Franco réussit jusqu’au bout, c’est le fascisme qui s’impose comme tendance apparemment irrépressible.

C’est pourquoi ce qui joue particulièrement, c’est d’une part l’Internationale Communiste à ce sujet, qui avait mis en place les « Brigades Internationales », ensuite l’idée de l’unité générale des communistes, des socialistes, des républicains de gauche et des anarchistes face au fascisme en Espagne.

Enfin, le thème est un grand point d’accroche chez les ouvriers socialistes, étant donné que les socialistes sont bien plus timorés, avec d’ailleurs Léon Blum ayant refusé un soutien militaire ouvert lorsqu’il était à la tête du gouvernement.

Le 21 janvier 1938, Maurice Thorez tient un long discours à ce sujet lors de la Conférence nationale du Parti Communiste Français. Voici les principaux propos.

« Depuis la capitulation de Munich, et comme conséquence directe de cette capitulation, le problème espagnol domine maintenant la situation internationale.

Il se trouve poser en même temps l’indépendance de ce peuple héroïque, sa liberté, et aussi l’avenir du monde, le sort de la démocratie dans le monde, et l’avenir même de notre pays.

L’offensive italienne en Catalogne [en soutien à l’armée de Franco durant la guerre d’Espagne] a fait apparaître aux yeux des plus aveugles le danger terrible que fait courir à la France l’accomplissement du plan de Hitler : l’encerclement de notre pays.

Nous ne sommes plus seuls, à présent, à le reconnaître. Les socialistes, des radicaux, des parlements notoires, des hommes du centre ou même de la droite, parlent désormais ainsi (…).

Munich a été une défaite pour notre pays, une défaite pour la classe ouvrière et la démocratie, défaite provisoire, certes, mais dont ils nous faut néanmoins souligner l’origine. C’est pourquoi la classe ouvrière n’a pas fait, n’a pas su faire échec aux fauteurs de guerre. Elle n’a pas réussi cette tâche qui est sienne, parce qu’elle n’est pas unie (…).

Sans l’unité, impossible de lutter, c’est pour cela que nous dénonçons ces adversaires au sein de la classe ouvrière, que nous luttons contre les trotskistes, les diviseurs, les ennemis du peuple, agents du fascisme international, contre ceux qui essaient de dissimuler leur trahison derrière le masque de l’anti-communisme (…).

La conception du Front populaire est juste et féconde, de même que sera féconde notre conception de l’unité française, de l’union de la nation française, du Front français (…).

Nous devons dire au Président du Conseil : beaucoup de questions nous divisent. Nous ri approuvons, pas la capitulation de Munich. Nous combattons les décrets-lois de M. Paul Reynaud. Nous réprouvons vos attaques aux lois sociales. Nous ne voulons pas admettre la tentative de restreindre le droit syndical.

Mais nous disons que la question décisive, aujourd’hui, pour la France, est : sauver l’Espagne. Ouvrez la frontière ! Nos réserves subsistent ; mais pour sauver l’Espagne, nous vous soutiendrons de toutes nos forces (Vifs applaudissements.).

Élargir à sa droite le Front populaire, refaire au Parlement ce qu’il est dans le pays. Avec nous, il demande que l’on sauve l’Espagne, pour préserver la sécurité de la France.

Sinon, nous dirons, ne pas aider l’Espagne, c’est trahir la France, et nous vous combattrons, comme nous vous avons combattus lors de la capitulation de Munich. Rien, ni les menaces, ni la calomnie, rien ne nous fera reculer. (Vifs
applaudissements.)

Tous unis, communistes, la C.G.T., le parti socialiste, l’Union Socialiste Républicaine, les radicaux, tous les Français, il nous faut aider au maximum l’Espagne, il nous faut sans tarder sauver la France (Applaudissements prolongés.) (…)

Vive l’union de la nation française, née de vingt races diverses ! Vive, dans sa diversité heureuse, la République une et indivisible ! »

Chaque jour, L’Humanité parle en page de garde de la situation espagnole. Le début de l’année 1939 est marqué par un grand meeting pour l’Espagne de 40 000 personnes au vélodrome d’Hiver, avec le dirigeant communiste Maurice Thorez, le dirigeant socialiste Léon Blum et le dirigeant de la CGT Léon Jouhaux.

Le 12 février 1939, 150 000 personnes manifestent à Paris en soutien à l’Espagne.

Mais les nouvelles sont mauvaises, toujours plus mauvaises. L’armée républicaine recule sous les coups de boutoir de l’armée franquiste appuyée par l’Allemagne nazie et l’Italie fasciste, alors que seuls l’URSS et le Mexique assument une aide véritable à la République.

La chute de l’Espagne républicaine a beau être présentée comme la naissance d’une menace d’un troisième front, en plus de celui avec l’Allemagne nazie et l’Italie fasciste, rien n’y fait, il n’y a pas de mobilisation générale en France à ce sujet.

Il est comme accepté qu’il y a un repartage du monde, et le but des Français est d’éviter les soucis à tout prix, plus qu’autre chose. La passivité s’installe – elle se révélera pleinement avec la défaite de 1940.

Il y a pourtant le feu. L’Italie fasciste a commencé à systématiser ses exigences territoriales à l’encontre de la France. Elle exige le retour de la Savoie et de Nice, qui en 1860 en tant respectivement que duché et comté avaient été remis par le royaume de Piémont-Sardaigne à Napoléon III en échange d’une alliance.

Elle revendique également la Corse, la Tunisie et Djibouti. Il est évident que la France va à la guerre, et pourtant jamais la question espagnole, si fondamentale, n’aura joué l’aspect qu’il aurait dû à ce moment-là – ce qui est clairement la faute d’un Front populaire présentant les choses de telle manière que la France se croit à l’écart du reste du monde.

D’où succès de la droite dans la foulée, ou plus exactement d’un « réalisme » cynique, dont le centriste Édouard Daladier s’est fait le vecteur, notamment avec le pragmatisme des accords de Munich.

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isolé et interdit (1938-1939)