Aristote pose le problème de l’âme, de l’esprit, de la psyché ainsi :
« Nous disions que l’âme éprouve chagrin et joie, audace et crainte, et encore qu’elle s’irrite, qu’elle sent, qu’elle pense.
Or, tous ces états semblent être des mouvements.
Aussi pourrait-on conclure que l’âme elle-même est mue, se réjouit et pense. Mais la conséquence ne s’impose pas. »
Quelle est alors la thèse matérialiste d’Aristote ? Eh bien, que l’âme n’est pas le lieu du mouvement, mais « tantôt son aboutissement, tantôt son point de départ ».
Mais que faire de la réflexion ? En effet, par âme il est clair ici qu’on parle des impulsions propres aux états d’âme, à quoi il faut donc compter ici la tristesse, la colère, la joie, etc.
Aristote appelle intellect la réflexion et il dit la chose suivante. Lorsqu’on devient vieux, malade, ivre, il y a des organes corporels qui sont troublés ou corrompus. C’est cela qui dérange « l’exercice de la pensée ou de la science ». Cependant, « la pensée en soi est impassible ».
Seulement, il y a ici un écueil à éviter : celui d’attribuer à la pensée en soi quelque chose en particulier. On en reviendrait alors à la démarche de René Descartes. Aristote, lui, s’empresse de souligner :
« Quant à l’exercice de la pensée discursive, l’amour ou la haine, ce ne sont pas des attributs de cette pensée en soi, mais du sujet individuel qui la possède en tant qu’il la possède.
Aussi, lorsque ce sujet se corrompt, n’y a-t-il plus ni souvenir ni amour. »
On voit bien ici que ce que dit Aristote, c’est qu’il n’y a plus de corps, alors il n’y a plus d’âme. C’est une conception matérialiste. Aristote considère que le corps et l’esprit sont un composé – il maintient leur séparation – mais ce composé n’existe que par le corps.
Aristote expose alors sa conception. Il reprend le concept d’entéléchie, qu’il a notamment développé dans sa Physique. L’entéléchie consiste en la réalisation d’un potentiel, c’est l’accomplissement d’une forme particulière d’une substance, c’est-à-dire d’un être.
C’est-à-dire que, pour Aristote, il y a la matière brute, d’un côté, ce qui lui donne du sens de l’autre. La forme de la matière porte du sens et ainsi façonne la matière en ce sens donné. Toute chose, tout phénomène est à comprendre suivant cette mise en perspective de type dynamique.
S’appuyant sur ce principe d’accomplissement, il dit que le corps est la matière et que l’esprit est une forme de celle-ci. Ainsi, on a :
« Si donc il faut proposer une définition générale qui s’applique à toute espèce d’âme, disons que celle-ci est l’entéléchie première d’un corps naturel organisé. »
C’est là une approche matérialiste, car l’esprit n’existe que par le corps et seulement comme acte. Le corps porte la réalisation de l’esprit – et l’esprit accomplit sa réalisation par le corps. Aristote donne l’exemple suivant, pour bien saisir l’articulation qu’il propose :
« Si l’oeil était un animal complet, la vue en serait l’âme. »
On a ici affaire à une conception dynamique : la matière se réalise par des principes. Bien plus tard, le vitalisme sera une conception décadente de ce dynamisme, faisant un fétiche de l’accomplissement absolue comme réalisation suprême.
Et, ainsi, le corps est le support de l’âme, mais l’âme n’a comme seule réalité que de s’accomplir par le corps. Elle n’a pas d’existence indépendante, puisque sa fonction se définit par le corps. Aristote dit ainsi :
« Puisque le composé [= le corps + l’esprit] est l’être animé [=le corps en mouvement], ce n’est pas le corps qui est l’entéléchie de l’âme, mais celle-ci qui est l’entéléchie d’un corps donné.
Aussi est-ce à juste raison que, selon certains penseurs, l’âme n’existe pas sans un corps ni ne s’identifie à un corps quelconque : elle n’est pas un corps, en effet, mais quelque chose du corps, et c’est pourquoi elle se trouve dan un corps, et dans tel corps déterminé. »