La fin juridique de l’URSS

L’élection de Boris Eltsine à la présidence de la Russie en juin 1991 suivait un référendum en mars de la même année. La question posée demandait de répondre s’il fallait maintenir l’URSS ou non.

Paradoxalement, le succès du oui fut immense. Sur les 185 647 355 de citoyens ayant le droit de vote, 148 574 606 personnes (80,03 %) ont voté, 113 512 812 ont répondu « Oui » (soit (76,4 %), et seulement 32 303 977 personnes ont répondu « Non » (21,74 %). Il y a eu 2 757 817 bulletins de vote nuls soit 1,86 %.

Le vote en faveur du maintien fut de 97,9 % au Turkménistan, 96,2 % au Tadjikistan, 93,3 % en Azerbaïdjan, 94,1 % au Kazakhstan, 93,7 % en Ouzbékistan, 82,7 % en Biélorussie, 70,2 % en Ukraine.

Plusieurs républiques n’ont par contre pas organisé le référendum, car elles avaient déclaré leur indépendance quelques mois auparavant déjà : l’Arménie, la Moldavie, la Lettonie, la Lituanie, l’Estonie, la Géorgie ; on y trouve par contre une part significative de personnes qui auraient voté oui.

Et ces chiffres sont d’autant plus importants pour les pays d’Asie centrale que de nombreuses émeutes avaient eu lieu en 1989 dans le cadre d’affrontements inter-ethniques. Pour l’Azerbaïdjan, c’est de grande signification également puisque l’armée soviétique était intervenue pour réprimer de manière sanglante des pogroms anti-arméniens à Bakou en janvier 1990.

On a ici une situation contradictoire où il y a une volonté populaire de maintenir l’URSS, alors que dans la pratique, les forces centrifuges l’emportaient de plus en plus, dans une atmosphère de fin d’empire.

Cette situation fit que les forces conservatrices se dirent qu’il fallait tenter le tout pour le tout. Ce fut la tentative de coup d’État du « Comité d’État pour l’état d’urgence » en août 1991.

Ce coup d’État visait à empêcher la signature d’un nouveau traité entre les républiques, qui mettait de facto fin à l’existence de l’URSS. Le référendum indiquait bien qu’il y avait une base populaire favorable à l’URSS et les putschistes espéraient au moins un soutien passif.

On trouvait qui plus est dans les rangs putschistes les plus hautes figures de l’appareil en place. On avait le chef du KGB Vladimir Kryouchkov, le ministre de l’Intérieur de l’URSS Boris Pugo, le ministre de la Défense de l’URSS Dmitry Yazov, le président du Soviet Suprême Anatoly Loukianov, le premier vice-président du Conseil de défense de l’URSS Dmitrievitch Baklanov, le premier ministre de l’URSS Valentin Pavlov, etc.

Voici la déclaration du Comité.

« DÉCLARATION

daté du 18 août 1991

En raison de l’impossibilité pour des raisons de santé de Mikhaïl Sergueïevitch Gorbatchev d’exercer les fonctions de président de l’URSS et du transfert, conformément à l’article 127 7 de la Constitution de l’URSS, des pouvoirs du président de l’URSS au vice-président de l’URSS Gennady Ivanovitch Yanaev ;

afin de surmonter la crise profonde et globale, la confrontation politique, interethnique et civile, le chaos et l’anarchie qui menacent la vie et la sécurité des citoyens de l’Union soviétique, la souveraineté, l’intégrité territoriale, la liberté et l’indépendance de notre patrie ;

sur la base des résultats du référendum national sur la préservation de l’Union des Républiques socialistes soviétiques ;

guidé par les intérêts vitaux des peuples de notre patrie, de tout le peuple soviétique,

Nous déclarons :

1. Conformément à l’article 127-3 de la Constitution de l’URSS et à l’article 2 de la loi de l’URSS « sur le régime juridique de l’état d’urgence », et répondant aux exigences de larges couches de la population quant à la nécessité de tirer le meilleur parti possible de l’état d’urgence. des mesures décisives pour empêcher la société de sombrer dans une catastrophe nationale, pour garantir l’ordre public, instaurer l’état d’urgence dans certaines régions de l’URSS pour une durée de 6 mois à partir de 4 heures, heure de Moscou, le 19 août 1991.

2. Établir que sur tout le territoire de l’URSS, la Constitution et les lois de l’URSS ont une suprématie inconditionnelle.

3. Pour gouverner le pays et mettre en œuvre efficacement l’état d’urgence, former le Comité d’État pour l’état d’urgence en URSS (GKChP URSS) dans la composition suivante : Baklanov O. D. – Premier vice-président du Conseil de défense de l’URSS, Kryuchkov V. A. – Président du KGB de l’URSS, Pavlov V.S. – Premier ministre de l’URSS, Pugo B.K. – Ministre de l’Intérieur de l’URSS, Starodoubtsev V.A. – Président de l’Union paysanne de l’URSS, Tizyakov A.I. Président de l’Association des entreprises d’État et de l’industrie, de la construction, des transports et des communications de l’URSS, D. T. Yazov – Ministre de la Défense de l’URSS, G. I. Yanaev – Par intérim Président de l’URSS.

4. Établir que les décisions du Comité d’État d’urgence de l’URSS doivent être strictement exécutées par tous les organes gouvernementaux et administratifs, les fonctionnaires et les citoyens sur tout le territoire de l’URSS.

Membres du Comité d’urgence de l’État
G. Yanaev,
V. Pavlov,
O. Baklanov »

Voici « l’appel au peuple soviétique » du même jour.

« Compatriotes ! Citoyens de l’Union soviétique !

Dans une heure difficile et critique pour le sort de la Patrie et de nos peuples, nous nous tournons vers vous ! Un danger mortel menace notre grande Patrie ! La politique de réformes lancée à l’initiative de M. S. Gorbatchev, conçue comme un moyen d’assurer le développement dynamique du pays et la démocratisation de la vie publique, est dans une impasse pour plusieurs raisons.

L’enthousiasme et les espoirs initiaux ont été remplacés par l’incrédulité, l’apathie et le désespoir. Les autorités à tous les niveaux ont perdu la confiance de la population. La politique a écarté de la vie publique la préoccupation pour le sort de la Patrie et du citoyen. On se moque de toutes les institutions de l’État. Le pays est devenu fondamentalement ingouvernable.

Profitant des libertés accordées, piétinant les nouveaux germes de la démocratie, des forces extrémistes ont émergé, ouvrant la voie à la liquidation de l’Union soviétique, à l’effondrement de l’État et à la prise du pouvoir à tout prix.

Les résultats du référendum national sur l’unité de la Patrie ont été piétinés. Les spéculations cyniques sur les sentiments nationaux ne sont qu’un écran pour satisfaire les ambitions.

Ni les troubles présents de leurs peuples ni leurs lendemains ne dérangent les aventuriers politiques. En créant un climat de terreur morale et politique et en essayant de se cacher derrière le bouclier de la confiance populaire, ils oublient que les liens qu’ils ont condamnés et rompus ont été établis sur la base d’un soutien populaire beaucoup plus large, qui a également passé l’épreuve de siècles d’histoire.

Aujourd’hui, ceux qui mènent essentiellement la cause du renversement de l’ordre constitutionnel doivent répondre devant leurs mères et pères de la mort de plusieurs centaines de victimes des conflits interethniques. Ils sont responsables du sort mutilé de plus d’un demi-million de réfugiés. À cause d’eux, des dizaines de millions de Soviétiques, qui hier encore vivaient dans une seule famille, ont perdu la paix et la joie de vivre et se retrouvent aujourd’hui exclus de leur propre foyer.

Ce que devrait être le système social devrait être décidé par le peuple, et ils tentent de le priver de ce droit.

Au lieu de se soucier de la sécurité et du bien-être de chaque citoyen et de la société dans son ensemble, les personnes aux mains desquelles se trouve le pouvoir l’utilisent souvent dans des intérêts étrangers au peuple, comme moyen d’affirmation de soi sans principes. Des flots de paroles, des montagnes de déclarations et de promesses ne font que souligner la pauvreté et la misère des affaires pratiques. L’inflation du pouvoir, plus terrible que toute autre, détruit notre État et notre société. Chaque citoyen ressent une incertitude croissante quant à l’avenir et une profonde anxiété quant à l’avenir de ses enfants.

La crise de l’électricité a eu un impact catastrophique sur l’économie. Le glissement chaotique et spontané vers le marché a provoqué une explosion d’égoïsmes – régionaux, départementaux, collectifs et personnels.

La guerre des lois et l’encouragement des tendances centrifuges ont abouti à la destruction d’un mécanisme économique national unique qui se développait depuis des décennies. Le résultat fut une forte baisse du niveau de vie de la grande majorité de la population soviétique, ainsi que l’essor de la spéculation et de l’économie souterraine.

Il est grand temps de dire la vérité aux gens : si vous ne prenez pas de mesures urgentes et décisives pour stabiliser l’économie, alors dans un avenir très proche, la famine et un nouveau cycle d’appauvrissement sont inévitables, dont un pas conduit à des manifestations massives de pauvreté spontanée. mécontentement aux conséquences dévastatrices.

Seules les personnes irresponsables peuvent espérer une aide de l’étranger. Aucune aumône ne résoudra nos problèmes ; le salut est entre nos mains. Le moment est venu de mesurer l’autorité de chaque personne ou organisation à l’aune de sa contribution réelle à la restauration et au développement de l’économie nationale.

Depuis de nombreuses années, de toutes parts, nous entendons des incantations sur l’engagement en faveur des intérêts de l’individu, le souci de ses droits et de la sécurité sociale. En réalité, la personne s’est retrouvée humiliée, privée de droits et d’opportunités réels et plongée dans le désespoir.

Sous nos yeux, toutes les institutions démocratiques créées par la volonté populaire perdent de leur poids et de leur efficacité. C’est le résultat des actions délibérées de ceux qui, en bafouant grossièrement la Loi fondamentale de l’URSS, mènent en réalité un coup d’État anticonstitutionnel et aspirent à une dictature personnelle effrénée. Les préfectures, les mairies et autres structures illégales remplacent de plus en plus les soviets élus par le peuple.

Il y a une attaque contre les droits des travailleurs. Les droits au travail, à l’éducation, aux soins de santé, au logement et aux loisirs sont remis en question.

Même la sécurité personnelle fondamentale des personnes est de plus en plus menacée. La criminalité croît rapidement, est organisée et politisée. Le pays plonge dans l’abîme de la violence et de l’anarchie. Jamais dans l’histoire du pays la propagande sexuelle et violente n’a été d’une telle ampleur, menaçant la santé et la vie des générations futures. Des millions de personnes réclament des mesures contre le poulpe du crime et de l’immoralité flagrante.

La déstabilisation croissante de la situation politique et économique en Union soviétique mine notre position dans le monde. Dans certains endroits, des notes de revanchisme ont été entendues et des demandes ont été faites pour réviser nos frontières. Des voix s’élèvent même sur le démembrement de l’Union soviétique et la possibilité d’établir une tutelle internationale sur des objets et des régions individuels du pays. C’est la triste réalité. Hier encore, un Soviétique qui se trouvait à l’étranger se sentait comme un digne citoyen d’un État influent et respecté. Il est aujourd’hui souvent un étranger de seconde zone, dont le traitement porte le sceau du dédain ou de la sympathie.

La fierté et l’honneur du peuple soviétique doivent être pleinement restaurés.

Le Comité d’État pour l’état d’urgence et l’URSS est pleinement conscient de la profondeur de la crise qui frappe notre pays, il assume la responsabilité du sort de la Patrie et est déterminé à prendre les mesures les plus sérieuses pour amener l’État et la société sortir de la crise le plus rapidement possible.

Nous promettons d’organiser un large débat national sur le projet de nouveau traité sur l’Union. Chacun aura le droit et l’opportunité, dans une atmosphère sereine, de comprendre cet acte très important et de prendre une décision à ce sujet, car de ce que deviendra l’Union dépendra le sort de nombreux peuples de notre grande Patrie.

Nous avons l’intention de rétablir immédiatement l’ordre public, de mettre fin à l’effusion de sang, de déclarer une guerre sans merci au monde criminel et d’éradiquer les phénomènes honteux qui discréditent notre société et humilient les citoyens soviétiques. Nous débarrasserons les rues de nos villes des éléments criminels et mettrons fin à la tyrannie des pilleurs de biens populaires.

Nous défendons des processus véritablement démocratiques, une politique cohérente de réformes conduisant au renouveau de notre patrie, à sa prospérité économique et sociale, qui lui permettront de prendre la place qui lui revient dans la communauté mondiale des nations.

Le développement du pays ne doit pas reposer sur une baisse du niveau de vie de la population. Dans une société saine, l’amélioration continue du bien-être de tous les citoyens deviendra la norme.

Tout en restant déterminés à renforcer et à protéger les droits individuels, nous nous concentrerons sur la protection des intérêts des segments les plus larges de la population, ceux qui sont les plus durement touchés par l’inflation, les perturbations industrielles, la corruption et la criminalité. En développant la nature multistructurelle de l’économie nationale, nous soutiendrons également l’entreprise privée, en lui offrant les opportunités nécessaires au développement de la production et du secteur des services.

Notre première priorité sera de résoudre les problèmes de nourriture et de logement. Toutes les forces disponibles seront mobilisées pour répondre à ces besoins les plus pressants de la population.

Nous appelons les ouvriers, les paysans, l’intelligentsia ouvrière et l’ensemble du peuple soviétique à rétablir au plus vite la discipline et l’ordre du travail, à élever le niveau de production, puis à avancer de manière décisive. De cela dépendent notre vie et l’avenir de nos enfants et petits-enfants, le sort de la Patrie.

Nous sommes un pays épris de paix et nous respecterons strictement toutes nos obligations. Nous n’avons aucune réclamation contre qui que ce soit. Nous voulons vivre avec tous dans la paix et l’amitié, mais nous déclarons fermement que personne ne sera jamais autorisé à empiéter sur notre souveraineté, notre indépendance et notre intégrité territoriale. Toute tentative de parler avec notre pays dans le langage de la dictature, d’où qu’elle vienne, sera résolument réprimée.

Notre peuple multinational a vécu pendant des siècles dans la fierté de sa patrie ; nous n’avons pas honte de nos sentiments patriotiques et considérons qu’il est naturel et légitime d’élever dans cet esprit les générations actuelles et futures de citoyens de notre grande puissance.

Ne pas agir à cette heure critique pour le sort de la Patrie signifie assumer la lourde responsabilité de conséquences tragiques et véritablement imprévisibles.

Tous ceux qui chérissent notre Patrie, qui veulent vivre et travailler dans une atmosphère de calme et de confiance, qui n’acceptent pas la poursuite de conflits interethniques sanglants, qui voient leur Patrie à l’avenir comme indépendante et prospère, doivent faire le seul bon choix.

Nous appelons tous les vrais patriotes et toutes les personnes de bonne volonté à mettre un terme à la période de troubles actuelle.

Nous appelons tous les citoyens de l’Union soviétique à prendre conscience de leur devoir envers la patrie et à apporter leur plein soutien au Comité d’État pour l’état d’urgence en URSS et aux efforts visant à sortir le pays de la crise.

Les propositions constructives des organisations sociopolitiques, des collectifs de travail et des citoyens seront acceptées avec gratitude comme manifestation de leur volonté patriotique de participer activement à la restauration de l’amitié séculaire au sein d’une seule famille de peuples frères et à la renaissance de la Patrie. »

Ce fut toutefois un échec lamentable, en trois jours, avec notamment Boris Eltsine qui prit la tête de l’opposition populaire, massive à Moscou.

C’est que les forces conservatrices avaient perdu toute assise réelle, d’une part, dans le cadre de l’effondrement économique du pays. Et leur seul programme réel était le maintien de l’URSS, sans perspective concrète, d’autre part.

Les forces armées n’ont donc pas résisté à la pression dans les rues de Moscou, alors qu’ils faisaient face à des dizaines de milliers de personnes. Les dirigeants du coup d’État ont également tergiversé et ainsi contribué à la désintégration du mouvement, sans compter qu’ils n’ont jamais osé décider de lancer l’assaut armé pour capturer Boris Eltsine.

Mikhaïl Gorbatchev, lui, était au courant de la tentative de coup d’État et avait sans doute été du parti d’attendre sa victoire, afin de pouvoir apparaître comme une force centriste et modérée si le coup d’État avait réussi.

Dans la pratique, il s’était en fait surtout effacé politiquement, ce que le « Comité d’État pour l’état d’urgence » comprit trop tard.

La nostalgie, tout ce qui restait finalement, ne suffisait pas. On a ici un exemple parlant de soutien au coup d’État fut celui de Sergueï Akhromeïev. Il fut un héros pendant la seconde guerre mondiale impérialiste, il fut ensuite une figure dirigeante de premier plan, notamment le chef d’état-major général des forces armées de l’URSS, de 1984 à 1988, date où il démissionna.

Sergueï Akhromeïev ne fut pas mis au courant de la mise en place du Comité et il était en vacances à Sotchi au moment du coup d’État. Il rejoignit Moscou de sa propre initiative pour le soutenir, sans croire aux possibilités de victoire pour autant, et se suicida à la suite de l’échec.

Ce fut alors la fin du Parti Communiste d’Union Soviétique. Il s’ensuivit, en effet, la dissolution de son Comité Central et la suspension de toutes ses activités. L’État russe dirigé par Boris Eltsine prenait en même temps le commande sur tous les organes de sécurité.

Boris Eltsine obtint alors en novembre 1991, pour un an et un mois, des pouvoirs d’urgence, qu’il utilisa pour mettre en place une série de décrets. Et en décembre 1991, il signa ainsi l’Accord sur la création de la Communauté des États indépendants, prévu pour août initialement mais bloqué par la tentative de coup d’État.

Cela mettait un terme à l’existence de l’URSS.

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