On a également une lecture ouvertement informatique de la réalité effectuée par le fondateur historique des Brigades Rouges, Renato Curcio, en commun avec Alberto Franceschini, un autre dirigeant historique.
Elle est toutefois totalement différente de celle de la « première position » des Brigades Rouges, c’est-à-dire la majorité de cette organisation. Ici, l’accent n’est pas mis sur la dialectique à l’œuvre entre l’organisation et la recomposition du prolétariat, mais bien au contraire sur l’impossibilité d’une telle dialectique.
Dans l’ouvrage de Renato Curcio et Alberto Franceschini écrit en 1982, « Gouttes de soleil dans la cité des spectres », il y a une tentative de présenter le capitalisme comme un système entièrement fermé œuvrant à se maintenir par une reprogrammation permanente de ses structures. C’est la « métropole informatisée ».
Le capitalisme n’est plus ici un mode de production, mais une formation sociale formant un système. Le capitalisme modifie la consommation, afin de trouver de nouveaux marchés, il façonne entièrement les consciences pour qu’elles s’orientent vers une consommation sans cesse renouvelée et élargie, et cela de manière totale et absolue.
On lit dans « Gouttes de soleil dans la cité des spectres » que :
« La soumission réelle du travail au capital n’est pas un fait défini une fois pour toutes, mais un processus historique « qui se poursuit et se répète constamment à l’intérieur même du mode de production, dans la productivité du travail et dans le rapport entre capitalistes et ouvriers » (Marx).
Il part de la production, de la « fabrique », où est engendré « un mode de production spécifique en ce qui concerne non seulement la technologie, mais encore la nature et les conditions réelles du procès de travail ».
Il se poursuit tout au long de la chaîne production – distribution- échange – consommation, jusqu’à absorber l’entière formation économico-sociale.
Nous appelons domination réelle totale cette phase dans laquelle le capital a occupé tous les interstices de la formation sociale en les pliants à ses besoins.
Aujourd’hui, il a non seulement construit « un mode de production sui generis », mais « une formation sociale sui generis »: la métropole informatisée.
Donc métropole comme forme sociale globale et historiquement déterminée du capital au stade de sa domination réelle totale, molécule de la formation sociale impérialiste qui lui est isomorphe et en expansion-transformation continue et accélérée.
La nouvelle qualité du rapport production-consommation est un élément de caractérisation de la domination réelle totale (…).Dans la phase de la domination réelle totale, le capital, qui a désormais occupé tout l’espace géographique (création du marché mondial), doit pour continuer à s’étendre et donc pour élargir ultérieurement le marché, révolutionnariser sans cesse la sphère de la consommation.
Comme la production, la consommation est aujourd’hui assujettie à des processus continuels de restructuration. Elle devient un élément dynamique, actif, intégré strictement et rigidement dans le procès de production-reproduction.
Dans la première phase de la domination réelle, le capital se soumet l’organisation du travail d’usine, la force de travail sociale, en les produisant en tant que ses déterminations spécifiques, visant à l’extraction de la plus-value relative; aujourd’hui, dans la domination réelle totale, il se soumet toutes les « qualités de l’homme social », en le produisant en tant qu’homme du capital rendu fonctionnel là aussi pour la réalisation de la plus-value relative.
Ce qui signifie une modification qualitative profonde, une révolution capitaliste des besoins, des goûts, de la mentalité, de la morale… en un mot, de la conscience. Et une production des appareils, des instruments nécessaires à cela.
C’est ainsi que naît une nouvelle branche de la production, « l’usine de la conscience », avec ses fonctionnaires correspondants; usine des modèles de consommation, des systèmes idéologiques, des systèmes de signes ayant pour but la réalisation-reproduction de la plus-value relative, du rapport social dominant. »
La notion de capitalisme modifiant la consommation avait déjà été présente dans les Brigades Rouge et leur ancêtre direct – le Collectif Prolétaire Métropolitain, fondé par Renato Curcio. Ce dernier généralise toutefois ici le concept et on n’a plus un capitalisme, mais une sorte de formation sociale formant un système unifié et total.
C’est caractéristique de la lecture du capitalisme comme « forme » et plus exactement comme « forme totale » de la part de l’ultra-gauche.
Afin de justifier cela, « Gouttes de soleil dans la cité des spectres » se perd d’ailleurs dans une sorte de poésie hallucinée où il est dit que c’est par le langage que le contrôle psychologique des gens se réalise.
« Repensée comme un système totalisant, différencié en sous-système ou champs fonctionnels interdépendants et dépourvus de capacité décisionnel autonome et d’autorégulation, ce qui revient à dire comme un système module-corporatif, la métropole informatisée apparaît comme une grande prison à vie, à peine plus mitigée, dans lequel chaque ensemble social, comme chaque individu, se meuvent dans les mailles différenciées d’un filet rigidement réglementés par le prescripteur.
Une prison à vie des réseaux transparents de liens informatiques et télématiques qui le surveillent sans cesse (…).
Si la contre-révolution sémiotique de la bourgeoisie impérialiste se sert de l’inhibition de réminiscence, de la destruction de mémoire, de la simulation, pour contrôler la conscience et les comportements du prolétariat métropolitain, ce dernier ne peut pas manquer à déchaîner une bataille sans merci contre le caractère fétiche et aliéné de sa mémoire automatique et pour élaborer consciemment une mémoire sociale de son identité révolutionnaire.
Qu’il veut dire : libérer les petits diables emprisonnés dans les galères sémiotiques de la bourgeoisie, enfoncer toutes les portes de la communication sociale.
Et veut dire aussi: conquérir une mémoire autonome et collective de la transgression révolutionnaire comme cela a été jusqu’ici pratiqué par les mille et mille mouvements du prolétariat métropolitain.
Combattre contre fabrique bourgeoise de la mémoire écrite et audiovisuelle, contre les rapports sociaux de sa production-circulation et pour une « autre mémoire », est un problème vraiment décisif.
L’issue de la révolution sociale au cœur de la métropole dépend aussi de cette solution.
Une autre mémoire c’est la production de nouvelles possibilités et profondeur de sens des événements. C’est un se rappeler pour transformer, pas pour conserver; se rappeler pour accélérer et massifier la transition au communisme. »
Par conséquent, « Gouttes de soleil dans la cité des spectres » explique que la guerre prime sur la politique, que toute explosion sociale sous quelque forme que ce soit est révolutionnaire.
La réponse pratique à cette vision du monde sera d’ailleurs un Parti Guérilla du Prolétariat Métropolitain, qui agira de manière éphémère en raison de son approche urgentiste d’une « guerre sociale totale », lecture unilatérale si elle en est.
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La guérilla urbaine témoin de l’irruption de l’informatique