La guerre contre la Russie et la révolution en France

Nous présentons ici notre vision des choses, qu’on peut résumer facilement en les points suivants.

1. La France capitaliste prend la tête de la coalition occidentale contre la Russie, elle se place comme fer de lance de l’intervention militaire directe.

2.Elle le fait forcée par sa propre situation, car elle est en perte totale de vitesse et elle y voit une manière de regagner des points impérialistes.

3.Cela implique un changement d’orientation dans la société française, un tournant militariste, pour satisfaire aux exigences d’une armée en expansion en termes d’hommes et de matériel.

4.L’entreprise réussira au départ, car les gens sont obnubilés par leur mode de vie dans le cadre de la société de consommation. Les masses françaises sont politiquement aveugles, passives, corrompues par l’impérialisme.

5.Elle échouera pourtant immanquablement ensuite, car le niveau de conscience historique mondiale est trop élevé, les richesses matérielles trop développées pour qu’on accepte de mourir pour des ambitions impérialistes incompréhensibles, surtout du côté de la jeunesse.

6.Les points 4 et 5 forment une contradiction qui est celle de toute l’époque au niveau mondial : d’un côté l’expansion capitaliste a développé les forces productives, de l’autre plus rien ne tient moralement, économiquement, culturellement, sur le plan écologique, dans le rapport aux animaux, pour les femmes dans leur quotidien.

7.Entre la réussite initiale et l’échec ensuite, il y aura un processus sinueux, horrible sans doute, où la révolution émergera lentement comme contre-projet à l’aventurisme militaire et ses implications.

8.La révolution n’existera et ne triomphera qu’avec un parti d’avant-garde armé du matérialisme dialectique comme guide historique pour arriver à une humanité unifiée reconnaissant la planète comme Biosphère, dont elle est une composante pleine de responsabilités pour la protéger.

La France à la tête de la coalition contre la Russie

Nous vivons un tournant historique, où la bourgeoisie française, satisfaite d’elle-même, tranquillement arc-boutée sur Paris comme haut lieu de la mondialisation, est obligée d’adopter une posture belliciste. Finie, du moins de manière relative, la mise en valeur du mode de vie français, censé être si exemplaire, et place à l’agrandissement de l’armée française face à la « menace » russe, à l’économie de guerre, afin d’être « prêt ».

C’est le sens de la grande réunion de soutien militaire au régime ukrainien, organisée par le président français Emmanuel Macron le 26 février 2024 à Paris, en présence de représentants au plus haut niveau, voire des chefs de gouvernement, des États-Unis, du Royaume-Uni, du Canada, de la Suède, de l’Allemagne, de la Pologne, de la Roumanie, de l’Espagne, de la Finlande, de la Grèce, de la Lettonie, de la Lituanie, du Luxembourg, de la Norvège, du Portugal, du Danemark, de la République tchèque, de l’Estonie, de la Croatie.

Emmanuel Macron y a prétendu que la Russie entendait attaquer, d’ici quelques années, les pays de l’Union européenne. Ce mensonge relève du discours accompagnant le soutien élargi au régime ukrainien, afin de voir celui-ci triompher militairement de la Russie.

Il a également parlé de la possibilité d’envoyer des troupes occidentales sur le terrain, aux côtés de l’armée ukrainienne. En cas de défaite de l’armée ukrainienne, ce serait le cas. Il a en ce sens ouvert la boîte de Pandore de l’affrontement militaire inter-impérialiste ouvert.

Nous sommes donc arrivés à un point de non-retour. Nous vivons une situation semblable à avant 1914 et à avant 1939, avec des contradictions majeures et la guerre comme inéluctable expression de celles-ci. C’est la bataille pour le repartage du monde et elle est ouvertement assumée.

Cette situation n’est pas une surprise pour qui a compris qu’en 2020 s’est ouverte la seconde crise générale du capitalisme. La guerre est le produit direct de cette crise. Cela fait néanmoins froid dans le dos de voir un tel cynisme et une telle folie, un tel irrationalisme et un tel bellicisme. Le monde se précipite dans l’abîme.

Un changement de situation historique

Classe décadente, la bourgeoisie française ne procède toutefois pas à un retour au style gaulliste, à une approche agressive visant à marquer sa présence impérialiste par tous les moyens.

Elle se met simplement à la remorque des exigences de la superpuissance impérialiste américaine, qui non seulement entend conserver son hégémonie mondiale, mais cherche en plus à régler ses comptes avec la superpuissance impérialiste chinoise avant que celle-ci ne devienne trop forte.

Pendant deux années, à partir de février 2022, la superpuissance impérialiste américaine a vigoureusement soutenu le régime ukrainien dans son affrontement militaire contre la Russie. C’était considéré comme un moyen facile d’affaiblir la Russie, voire d’y provoquer un changement de régime. Le régime ukrainien était d’ailleurs déjà dans l’orbite américaine et commençait à se surarmer, à se moderniser dans le cadre d’une future adhésion à l’Otan, à développer une ligne expansionniste aux dépens de la Russie qui devait être réduite à une petite « Moscovie ».

Le prolongement du conflit a toutefois nécessité un changement de ligne, en raison de la colère d’une partie significative de la haute bourgeoisie américaine, représentée politiquement par Donald Trump.

Cette fraction considère, en effet, que la priorité n’est pas la gestion de l’ordre mondial tel qu’il existe, même s’il y a une hégémonie américaine. Ce n’est pas suffisant, à leurs yeux, puisque la superpuissance impérialiste chinoise est considérée comme la menace principale pour les cinquante ans à venir, et que par conséquent tous les efforts américains devraient porter dans cette direction.

Le conflit en Ukraine doit par conséquent être mis de côté du côté américain, et c’est la raison pour laquelle, à partir de début 2024, c’est l’Union européenne qui est censée prendre le relais, avec le Royaume-Uni. La France est partie prenante de ce passage de témoin, et compte bien être aux premières loges. C’est cela qui ouvre la période nouvelle, où la révolution devient possible.

La France capitaliste à quitte ou double

Pourquoi la révolution devient-elle possible justement par la nouvelle situation ? Parce que l’État modifie la base de son existence et de sa légitimité, il bouleverse le consensus obtenu jusque-là, il est obligé de se lancer dans une aventure dont il n’est nullement obligé de sortir victorieux.

Ce qui se présente historiquement, c’est une contradiction explosive, avec d’un côté la France se lançant dans la guerre contre la Russie avec l’espoir de la victoire et de gains significatifs, et de l’autre côté la révolution comme expression de l’échec d’une telle entreprise. Ce sont les deux pôles de ce qui forme l’aspect principal de la période.

Autrement dit, si la bourgeoisie a réussi à battre politiquement, idéologiquement, culturellement le prolétariat en France de manière ininterrompue tout au long du 20e siècle, tous les acquis bourgeois concernant un consensus général dans la société peuvent être remis en cause si la France échoue dans son option militariste contre la Russie.

Si l’État français vacille, si les rapports entre les classes se mettent à tanguer, alors il y a la possibilité historique de recomposer le prolétariat et, à travers l’effondrement de la domination bourgeoise, d’affirmer le Nouveau Pouvoir. Un État en remplace un autre – c’est cela, la révolution.

La bourgeoisie française veut se relancer aux côtés de la superpuissance américaine, en se plaçant comme petit soldat contre la Russie. Plus elle échoue, plus il y a un espace révolutionnaire qui peut se former !

Il n’y a bien sûr rien de mécanique là-dedans, car un échec français peut aboutir à une longue décomposition, avant un redémarrage de la lutte des classes. Lorsque l’URSS s’est effondrée, la Russie des années 1990 est devenue en partie le Far-West, sans aucune révolution pour autant.

Ce dont il s’agit, c’est d’une possibilité, celle de l’instauration de conditions favorables à la révolution, après des décennies de capitalisme triomphant, dans le cadre d’une consommation de masse généralisée jusqu’au 24 heures sur 24.

Les masses sont corrompues par le capitalisme

Naturellement, il eut été préférable que la révolution ne soit pas passive, une simple réponse à une guerre. On ne choisit cependant pas son cadre historique. Les larges masses populaires de notre pays ont, tout simplement, été corrompues par l’expansion du capitalisme au niveau mondial et par les avantages matériels de vivre dans l’un des pays les plus riches au monde.

Elles n’ont aucune conception communiste du monde, même si certains secteurs y tendent, disons de manière idéaliste ou sentimentale. Le modèle à suivre, pour les masses, reste la petite propriété, idéalement le pavillon avec un bout de terrain. L’idéal de l’argent facile est également très largement présent et la reproduction des valeurs est une constante dans les familles.

Plus les villes sont grandes, plus les valeurs du consumérisme libéral libertaire y priment. Les campagnes sont, elles, annexées par le capitalisme, comme arrière-pays toujours plus vidé de son sens.

Le triomphe annuel du Salon de l’agriculture est emblématique de ce dernier aspect. Le rapport aux animaux, en France, est d’ailleurs absolument catastrophique, et toute défense de la Nature est considérée dans notre pays comme une lubie anti-rationaliste.

Il n’y a tout simplement pas le fond idéologique et culturel en France pour l’initiative révolutionnaire. Les Français ne dépassent pas les protestations bruyantes et les revendications syndicales. Le prolétariat doit se recomposer et il n’y a rien encore qui aille en ce sens.

La bourgeoisie française a donc toute latitude pour agir comme bon lui semble. Elle a affaire à des masses passives, ce qui la dérange pour mobiliser, mais en même temps elle n’a pas de soucis dans la mise en place de ses choix, de ses orientations.

Le champ est totalement libre pour l’armée française, pour l’industrie militaire, pour les agitateurs militaristes, pour les soutiens de la superpuissance impérialiste américaine, pour les tenants de l’idéologie de l’Union européenne.

La Russie comme objectif de la bourgeoisie française

Tous les partis politiques français participant aux élections sont de toutes façons déjà alignés sur l’Otan et sur un soutien « sans faille » au régime ukrainien depuis 2022, même s’il existe bien entendu parfois des nuances et de la démagogie au sujet du risque d’escalade.

C’est que le tournant du début de l’année 2024, où l’Union européenne se voit chargée de prendre le relais de la superpuissance impérialiste américaine pour le soutien au régime ukrainien, a été parfaitement compris à tous les niveaux, même s’il peut inquiéter.

On connaît un matraquage médiatique et politique immense en faveur du régime ukrainien et on est même passé à un fanatisme où tous les soucis d’Europe occidentale sont attribués à la Russie, afin de pouvoir mobiliser contre elle et de lancer l’escalade.

L’accusation bourgeoise d’une Russie « coupable » de tout est ridicule, bien entendu, mais elle a un sens caché. Aux yeux des bourgeois, qui n’ont rien compris à l’ampleur de la crise commencée en 2020, c’est l’intervention militaire russe en Ukraine qui a fait vaciller l’ordre mondial, qui provoque des grands troubles à l’intérieur des différents pays.

En réalité, la contradiction est toujours interne et la Russie n’y est pour rien en soi. Son initiative en Ukraine est d’ailleurs elle-même une conséquence de la crise du capitalisme ouverte en 2020 avec la pandémie.

La bourgeoisie toutefois ne comprend pas la dialectique et par conséquent, du point de vue occidental, la Russie serait coupable de tout. Un argument bourgeois revenant de manière récurrente est que la Russie serait même une dictature « communiste », semant le désordre et voulant tout remettre en cause dans la tradition de Lénine. C’est là simplement une manière déformée, de la part de la bourgeoisie, d’exprimer sa peur de la révolution.

De manière plus pragmatique, les pays d’Europe occidentale s’imaginent également que, en agissant de manière relativement unifiée, ils sont en moyen de fournir suffisamment d’aides à l’Ukraine pour qu’elle fasse vaciller la Russie.

Il y a en ce sens une série d’accords bilatéraux signés par le régime ukrainien, comme avec la France en février 2024, ainsi que l’Allemagne, le Royaume-Uni, le Danemark et l’Italie. Il y a une vague de militarisation des différents pays, afin d’être en mesure de participer au conflit.

Nous ne voulons pas dresser la liste du développement effectif des armées et de la production militaire, ce n’est pas le lieu et il ne s’agit pas de se focaliser sur des détails ou des chiffres. Il s’agit d’une tendance historique, où d’ici 5, 10, 15 ans, les pays occidentaux, ainsi que la Pologne, se veulent en possession d’une armée capable de mener une guerre de haute intensité. Cela veut dire la guerre.

Un processus inexorable

Du point de vue bourgeois, une telle militarisation n’est pas considérée comme agressive, cela serait pour se protéger d’une (prétendue) invasion russe. Aucun pays occidental ne se présente comme voulant la guerre et, même, sur le plan subjectif, les dirigeants occidentaux ne s’imaginent pas du tout être des bellicistes.

La guerre n’est vue que comme une possibilité parmi d’autres, du moins si on omet la Pologne et la Finlande, deux pays dont le nationalisme forcené formant l’arrière-plan idéologique national les « force » littéralement à chercher la guerre. Si la Pologne aime ici à se présenter comme un pays martyr, en réalité elle vit dans la nostalgie du grand empire qu’elle a été avant le 18e siècle, avec même l’occupation militaire de Moscou en 1610.

Néanmoins, du point de vue du matérialisme dialectique, ce qui se met en place, c’est une guerre impérialiste de repartage du monde, même si leurs protagonistes n’en ont pas conscience.

C’est un processus inexorable, indépendant de la volonté des différents acteurs. La bourgeoisie française ne s’imagine pas mettre en place la guerre, et pourtant elle le fait tout de même, tout comme les autres bourgeoisies, de manière plus ou moins agressive.

Le matérialisme dialectique affirme que, dans le cadre d’une crise capitaliste générale, la guerre est le seul moyen pour trouver une issue, en procédant à un repartage du monde.

L’impérialisme, qui prend fondamentalement le dessus sur la base capitaliste, entraîne alors tous les phénomènes sociaux, culturels, idéologiques, politiques, militaires… dans son sillage. La haute bourgeoisie prend les commandes et la bourgeoisie est forcée de suivre dans son ensemble.

On va alors à la guerre, afin de ré-impulser le capitalisme et d’élever son potentiel, en arrachant à « l’ennemi » des territoires et des ressources, de la population et des moyens de production, que ce soit de manière ouverte (par les conquêtes) ou masquée (de manière semi-coloniale).

On en est là, du moins la perspective est toute tracée. Les hautes bourgeoisies américaine et chinoise ont pris le dessus de manière assez significative pour que le processus soit enclenché, et dans chaque pays une vraie mécanique se lance à tous les niveaux, afin de s’aligner sur l’une ou l’autre.

C’est ce qui explique la généralisation toujours plus grande des tensions, des frictions et affrontements de nature militaire dans le monde, dans un processus quantitatif grandissant, jusqu’à la troisième guerre mondiale de repartage du monde.

La France, maillon faible d’une chaîne américaine

Ce dont il faut prendre conscience ici, c’est en fait la perte relative de l’indépendance nationale française. La France, comme composante de l’Union européenne et élément de l’Otan, est obligée de s’aligner sur les changements sociaux, « sociétaux », politiques, militaires, idéologiques, culturels exigés par la superpuissance impérialiste américaine.

Et la grande chance qu’on a ici, c’est que les nationalistes sont eux-mêmes vendus à la superpuissance impérialiste américaine, ce qui bloque pour une très grande part l’émergence d’une tentative néo-gaulliste d’aventure en solitaire. C’est un aspect très important pour la possibilité d’une révolution dans notre pays !

Cela veut dire, pourtant, que la révolution sera passive, qu’elle consistera en une réponse à la guerre impérialiste. Il n’y a pas les moyens historiques pour une opposition populaire à la guerre, c’est un fait facile à constater.

C’est terrible comme idée et cela laisse présager une lutte extrêmement difficile, dans un contexte cauchemardesque. Mais il fallait bien que les choses avancent et puisque le prolétariat n’a pas su, de lui-même, précipiter les choses, les contradictions s’expriment d’elles-mêmes, tel un volcan.

C’est dans l’effondrement de la bourgeoisie comme classe dominante, à travers la décomposition de son État, que l’État nouveau, démocratique et populaire, socialiste, va se générer historiquement.

La République comme obstacle

Ce qui facilite jusqu’à présent les succès de la bourgeoisie, c’est l’idéologie de la « République » comme forme qui serait au-delà des classes. Non seulement la droite de l’échiquier politique est « républicaine », mais également le centre et les traditions franc-maçonnes, et aussi l’ensemble de la gauche à la suite des analyses fondamentalement erronées de Jean Jaurès.

Pour la gauche, historiquement, dans notre pays, le Socialisme serait une « République » devenue sociale. C’est une vision des choses totalement étrangère au matérialisme dialectique et c’est pourquoi il est essentiel d’avoir une solide connaissance du parcours historique de la France, du rapport entre la bourgeoisie et le prolétariat. Au style politique bourgeois, il faut opposer la science matérialiste dialectique de l’Histoire.

On ne saurait assez se méfier de l’intelligence politique de la bourgeoisie française, qui utilise de manière pragmatique les leviers centralisés de l’État, à la suite de Louis XIV, de la Révolution française, de Napoléon, de la IIIe République.

Mentionnons ici l’exemple marquant que fut l’entrée au Panthéon, avec sa femme Mélinée, d’une figure de la résistance communiste, Missak Manouchian, 80 années après son exécution par les nazis, en février 1944. Le président Emmanuel Macron, dans son discours, n’a pas éludé l’idéologie communiste de Missak Manouchian, y voyant un engagement plein de fraternité et présentant l’idéal communiste comme une sorte de prolongement de la Révolution française.

C’est une manière de renforcer l’idéologie de la « République française », de nier la domination de la bourgeoisie, de maintenir la fiction d’un État au-dessus des classes.

Il est vrai que tout cela n’aurait jamais été possible sans la trahison du Parti communiste français dirigé par Maurice Thorez, et sa soumission aux institutions « républicaines », même lors du coup d’État gaulliste de 1958 et l’instauration d’une sorte de monarchie républicaine.

Cela n’en reste pas moins une opération idéologique très subtile de la part de la bourgeoisie. Aux yeux des Français, la « République » est au-delà de toute critique possible, et c’est là un verrou idéologique très important. Et, justement, la tradition française de se focaliser sur le président, au lieu de faire de la politique, est une grande arme de la bourgeoisie.

La haine à l’égard du président, ou bien au contraire les appels qui lui sont faits… Son image d’une figure au-delà de la politique, comme incarnation de la nation… Tout cela a une dimension monarchique bien pratique pour la bourgeoisie française.

Contrairement à la monarchie, la dimension temporaire de la présidence permet précisément de renouveler les espoirs, la focalisation, les attentes, la déception, le dégoût, la haine… avant de relancer un nouveau cycle avec une nouvelle figure « présidentielle ». C’est là une machinerie bien rodée.

Périodiquement, la colère sociale s’exprime, y compris dans le bruit et la casse, sans que l’État n’intervienne réellement par la répression. Puis, c’est le reflux, et de toutes façons le cul-de-sac politique. L’État français est vraiment passé maître dans la neutralisation des conflits, c’est un point essentiel à comprendre.

La guerre modifie le rapport entre les classes

La guerre contre la Russie, sous supervision américaine, ne peut cependant que faire vaciller le dispositif « républicain ». Le soutien militaire au régime ukrainien peut passer comme une lettre à la poste, en présentant cela comme une initiative républicaine, le soutien à un pays « démocratique », dans le cadre de l’Union européenne.

Cela n’amène évidemment aucun engouement de masse, et seulement quelques milliers de personnes ont manifesté dans quelques villes en France pour davantage de soutien militaire, à l’occasion des deux années du conflit le 24 févier 2024. Et cela malgré l’appel de tous les syndicats à être présent ! Mais la passivité générale est ce qui compte ici pour la bourgeoisie, qui compte agir dans l’indifférence des masses.

Par contre, se lancer dans un affrontement militaire ouvert, c’est quelque chose de tout à fait différent. Un soutien lointain est une chose, une implication militaire directe en est une autre. L’envoi de troupes françaises, voire d’une mobilisation, ou en tout cas la mise en place d’une économie de guerre, voilà qui changerait entièrement la donne.

La bourgeoisie française a en effet besoin, pour la guerre, de mobilisations de masse afin d’épauler son projet. Il faut des soldats, une production de guerre, le silence dans les rangs. Or, le seul levier dont elle dispose dans une société de consommation particulièrement développée, c’est l’idéologie républicaine. L’opération avait réussi en 1914, car le pays était largement composé de paysans alors. Au début du 21e siècle, c’est totalement différent et la bourgeoisie doit faire face à une situation bien différente.

Là, la République se démasquerait comme une idéologie permettant d’entraîner les masses là où la bourgeoisie le veut, et la soumission à la superpuissance impérialiste américaine se révélerait au grand jour. Le rapport entre les classes se verrait modifier à absolument tous les niveaux.

C’est à ce niveau que se joue la possibilité historique de réaffirmer l’option révolutionnaire.

Révolution démocratique, puis Socialisme

Une révolution dans un pays, c’est un phénomène particulier, mais il y a une dimension relevant de l’universel, car toute l’époque est concernée. Il faut donc être en mesure de relier les possibilités historiques d’une révolution dans le cadre d’un pays avec les exigences universelles du Socialisme au niveau mondial.

Pour cette raison, la révolution en France qui devient possible comme moyen de renverser la guerre impérialiste ne peut pas être socialiste, et en même temps elle le devient par la force des choses.

La révolution contre la guerre sera de nature démocratique : contre l’armée française, contre les monopoles, contre les forces militaristes alignées sur la guerre, contre la domination de la superpuissance impérialiste américaine. Ce sera une unité populaire sur une base démocratique, pour enrayer la machine de guerre.

En même temps, c’est de là qu’émergera le Socialisme, dont les masses sont encore extrêmement loin sur le plan des valeurs, de la culture, de l’idéologie. Car, sur le plan historique, le monde est mûr pour le Socialisme, et ne pas aller dans un sens permet d’aller dans l’autre sens – c’est la dialectique.

Une France décrochant de la guerre impérialiste, rompant avec la chaîne militaire américaine, ne peut que basculer dans le Socialisme.

Rompre avec les valeurs impérialistes

Nous parlons donc de révolution en deux temps et chaque temps entraîne l’autre, de manière dialectique – le second temps n’est pas une « conséquence » du premier. Ce n’est pas seulement parce que la révolution sera démocratique que le Socialisme suivra, c’est aussi parce que le Socialisme suivra que la révolution démocratique aura lieu.

C’est en effet le Socialisme qui appelle historiquement, depuis l’avenir, et la révolution démocratique ne peut exister qu’en tendant vers lui. La révolution ne dépend pas que du passé, de la guerre. Elle dépend de l’avenir également, de la capacité à se mettre à la hauteur des exigences de l’époque.

Or, comme dit, il n’y a en France, en 2024, absolument aucune possibilité de situation où l’impérialisme soit abattu directement. Le peuple est inorganisé politiquement, et désorganisé par un capitalisme riche et puissant. La bourgeoisie est décadente, mais elle maintient un certain cap et profite de se placer dans l’orbite américaine pour se laisser porter.

Comment alors trouver les cadres disponibles pour mener la lutte contre la guerre impérialiste ? Nous sommes ici très pessimistes et considérons que nous sommes en apparence davantage dans la situation de Rosa Luxembourg en Allemagne, avec un camp anti-guerre isolé et réprimé, que dans celle de Lénine en Russie avec une organisation très solide.

Mais par la dialectique, il est possible de transformer les faiblesses en force, et tout peut aller très vite. Cela exige d’être à la hauteur sur le plan de l’idéologie, de la culture, de l’organisation pour que le matérialisme dialectique puisse être saisi, assimilé, diffusé, synthétisé, appliqué.

Une révolution des mentalités, c’est-à-dire une révolution culturelle est impérative pour qu’un réel mouvement anti-guerre se produise. La rupture avec les valeurs impérialistes est immanquablement nécessaire pour être en mesure de s’opposer à la guerre impérialiste.

C’est la jeunesse, née dans le 24 heures sur 24 du capitalisme, produite dans le cadre de forces productives développées, qui fera effacer les frontières nationales et abolira les classes, pour faire vivre le Communisme à l’échelle mondiale. C’est l’aboutissement d’un processus historique.

Le prolétariat en rupture et la société de consommation

La bourgeoisie, tout comme le prolétariat, sont deux classes antagonistes mais liées l’une à l’autre, nées de manière contradictoire dans le sillage de la dissolution du mode de production féodal au cours de la période allant de la fin du 14e siècle au 19e siècle.

Chaque prolétaire est lié à la bourgeoisie dans le cadre du salariat, qui est un rapport fondé sur le contrat présumé libre. En apparence, il n’y a pas de liens forcés comme dans l’esclavage ou le servage, mais en réalité, il y a soumission du prolétariat.

Et ce qu’on remarque d’emblée, c’est que la base du lien bourgeoisie-prolétariat est à la fois plus complexe et plus simple que celui entre patriciens-esclaves, seigneurs-paysans. Plus complexe, car le lien de dépendance est plus sophistiqué, plus simple car chacun vient à l’autre en apparence de manière « naturelle ».

L’esclave est approprié par la force, quand le prolétaire semble venir par sa « libre volonté ». Par contre, le prolétaire n’est plus rien sans le salariat, car il n’a rien que sa capacité physiologique et intellectuelle, quand l’esclave bénéficie d’une vie assurée dans sa dépendance en tant que « meuble » de son maître.

Entre le 19e siècle et le milieu du 20e siècle, le rapport entre bourgeoisie et le prolétariat avait comme expression la paupérisation absolue de l’un au détriment de l’enrichissement relatif de l’autre. Avec l’essor des forces productives dans la période 1950-1970, puis 1990-2000, il y a eu dans les foyers capitalistes initiaux un recul majeur de la paupérisation absolu.

On peut considérer alors que la dépendance du prolétariat à la bourgeoisie s’est approfondie et que son opposition s’est amoindrie, quand, durant la période précédant les années 1950, c’était l’inverse – une dépendance faible pour une opposition forte.

C’est ce que nous appelons, pour résumer, la société de consommation. Et ce qui va jouer dans la lutte contre la guerre impérialiste, c’est la recomposition du prolétariat et sa rupture avec la société de consommation.

Nous ne parlons pas d’un retour en arrière au niveau des richesses matérielles, mais du remplacement d’une consommation effrénée, forcenée, chaotique, laide, aliénée, par une consommation choisie, esthétique, pleine de sens, harmonieuse dialectiquement avec la production.

Il faut un très haut niveau culturel pour ça, il faut une conscience communiste, il faut maîtriser les fondamentaux du matérialisme dialectique. C’est cela, en définitive, l’arme ultime contre la guerre impérialiste. La lutte contre la guerre est un combat d’une époque contre une autre, de l’avenir contre le passé.

Soyons au présent à la hauteur de cette contradiction. Voyons les choses, toutes les choses, à travers le prisme de cette bataille historique !

Parti Matérialiste Dialectique

1er mars 2024

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