Une fois dans la Ligue des justes, Marx et Engels ont une influence considérable en supprimant les conceptions petites-bourgeoises. Engels note ainsi :
« Par contre, la doctrine sociale de la Ligue, quelque imprécise qu’elle fût, avait un très grand défaut, provenant des conditions même du moment. Les membres de la Ligue, ceux du moins qui étaient des ouvriers, étaient presque exclusivement des artisans proprement dits.
La plupart du temps l’homme qui les exploitait n’était lui-même, dans les grandes villes, qu’un petit patron. L’exploitation même de la couture en grand, de ce qu’on appelle actuellement la confection, par la transformation du métier en industrie à domicile au compte d’un grand capitaliste, commençait à peine à Londres.
D’une part, l’exploiteur de ces artisans était un petit patron ; et, d’autre part, tout le monde espérait devenir un jour petit patron. Et en outre l’artisan allemand de ce temps-là était encore infecté d’une foule d’idées héritées des anciennes corporations.
Et ce qui leur fait le plus grand honneur, c’est que, eux, qui n’étaient pas encore des prolétaires dans toute l’acception du terme, qui ne constituaient qu’un élément complémentaire de la petite bourgeoisie, mais en train d’évoluer vers le prolétariat moderne, sans être toutefois en opposition directe avec la bourgeoisie, c’est-à-dire le grand capital, c’est que ces artisans furent capables d’anticiper instinctivement leur développement futur et de se constituer, bien que ce ne fût pas encore avec une pleine conscience, en parti du prolétariat.
Mais il était également inévitable que leurs vieux préjugés d’artisans vinssent à tout instant leur donner un croc-en-jambe, dès qu’il s’agirait de critiquer par le détail la société existante, c’est-à-dire d’étudier des faits économiques.
Et je ne crois pas qu’à cette date la Ligue ait compté un seul adhérent ayant jamais lu un traité d’économie. Mais cela n’avait pas grande importance. Pour le moment, l’égalité, la fraternité et la justice suffisaient à faire franchir tout obstacle théorique. »
Il s’agissait donc de faire progresser la Ligue, de lui faire faire un saut qualitatif. Il fallait quitter l’utopisme, les démarches plébéiennes et les vélléités permanentes d’insurrection, pour passer à un point de vue scientifique. Engels raconte ainsi la modification de la « Ligue des justes » en « Ligue des communistes » :
« En été 1847, le premier congrès de la Ligue se réunit à Londres. W. Wolff y représentait les communes de Bruxelles et moi celles de Paris. On y mena d’abord à bonne fin la réorganisation de la Ligue. Toutes les anciennes appellations mystiques datant du temps des conspirations furent supprimées, et la Ligue s’organisa en communes, cercles, cercles directeurs, comité central et congrès, et prit dès lors le nom de « Ligue des communistes ».
« Le but de la Ligue, c’est le renversement de la bourgeoisie, le règne du prolétariat, la suppression de la vieille société bourgeoise fondée sur les antagonismes de classes et la fondation d’une nouvelle société sans classes et sans propriété privée. »
Tel est le premier article. L’organisation elle-même était absolument démocratique, avec des dirigeants élus et toujours révocables ; ce seul fait barrait le chemin à toutes les velléités de conspiration qui exigent une dictature, et transformait la Ligue, du moins pour les temps de paix ordinaires, en une simple société de propagande.
Ces nouveaux Statuts — tel était maintenant le procédé démocratique — furent soumis aux sections pour discussion, puis débattus à nouveau au deuxième congrès qui les adopta définitivement le 8 décembre 1847 (…).
Le deuxième congrès se tint fin novembre et début décembre de la même année. Marx y assista et, dans des débats assez longs, — la durée du congrès fut de dix jours au moins, — défendit la nouvelle théorie. Toutes les contradictions et tous les points litigieux furent tirés au clair ; les principes nouveaux furent adoptés à l’unanimité et l’on nous chargea, Marx et moi, de rédiger le manifeste.
Nous le fîmes sans retard aucun. Quelques semaines avant la révolution de février, nous expédiâmes le Manifeste à Londres, aux fins d’impression. Il a fait, depuis lors, le tour du monde ; on l’a traduit dans presque toutes les langues, et il sert aujourd’hui encore, dans les pays les plus divers, de guide au mouvement prolétarien.
L’ancienne devise de la Ligue : « Tous les hommes sont frères », avait été remplacée par le nouveau cri de guerre : « Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! » qui proclamait ouvertement le caractère international de la lutte.
Dix-sept ans plus tard, ce cri de guerre remplissait le monde, comme cri de guerre de l’Association internationale des travailleurs, et aujourd’hui le prolétariat militant de tous les pays l’a inscrit sur son drapeau. »
Il y a ainsi un passage de la Ligue des Justes à la Ligue des communistes, prélude à la formation de l’Association Internationale des Travailleurs.
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