René Descartes (1596-1650) est indéniablement le plus grand penseur français. Ne dit-on pas que les « Français sont cartésiens » ? Sa réputation n’a-t-elle pas été immense, de son vivant même ?
De fait, Descartes représente la réflexion la plus aboutie de la grande période de la phase de la féodalité de France : le 17e siècle. Ce n’est pas un hasard que Descartes ait vécu au siècle de Jean Racine, Pierre Corneille, Nicolas Boileau ou Jean de La Fontaine.
La bourgeoisie exige la raison, mais elle n’est alors pas du tout en mesure de s’affirmer seule, elle est prisonnière du fait que l’union de la nation est en train de se réaliser par la monarchie absolue.
Le 17e siècle est donc un siècle où se côtoie Molière le bourgeois et Blaise Pascal l’ultra religieux, dans une société pleine de contradictions mais dont les antagonismes francs sont relativement effacés, pour un temps, par la toute puissance du roi.
Naturellement, dès la phase de croissance de la monarchie absolue terminée, toutes les contradictions se firent antagoniques, et la bourgeoisie qui n’avait pas pu porter le protestantisme assuma le déisme des Lumières.
Il s’agit là d’un chemin français, propre à l’histoire de la bourgeoisie française. On a d’ailleurs pu voir que Jean-Jacques Rousseau avait développé un déisme dont le rationalisme le plaçait déjà en retard par rapport à ce qui avait pu s’exprimer auparavant. Cela tient aux conditions françaises, qui pareillement vont façonner René Descartes.
René Descartes est le fruit du rationalisme semi-bourgeois qui se développe sous la monarchie absolue. Il n’est pas que le théoricien d’un rationalisme bourgeois en général. Il est, plus particulièrement, le fruit de la situation française.
La situation française était que, ne pouvant mettre en avant une morale immédiate, sensible, comme le fit le protestantisme, la bourgeoisie française se réfugia dans l’affirmation de la logique de cette morale.
C’est le sens de toutes les œuvres ayant trait à la morale au 17e siècle, de Jean de La Fontaine à Jean de La Bruyère en passant, bien entendu, par Molière. La présentation logique des « caractères » a été le refuge d’une bourgeoisie incapable d’ériger sa propre tyrannie morale, comme cela fut à l’opposé le cas dans les pays protestants.
Descartes est le produit de ce refuge dans l’abstraction théorique, due à l’impossibilité matérielle de réaliser la morale.
La philosophie de René Descartes s’appuie précisément sur le rejet des sens – là où inversement la peinture flamande les affirmait, pour les maîtriser, dans le cadre de la transformation pratique du monde –.
La bourgeoisie française ne pouvait pas prendre les commandes, elle obéissait à la monarchie absolue. Alors, elle a affirmé en théorie ce qu’elle ne pouvait mettre en pratique. C’est le sens de René Descartes lorsqu’il affirme qu’il fallait être comme « maître et possesseur de la nature ».
Au lieu de l’éthique individuelle bourgeoise, on a un repli complet sur sa propre conscience qui devient une totale abstraction, un solipsisme, la négation absolue de la réalité. Seule existe la conscience, forme « pure » de la rationalité bourgeoise.
De fait, la bourgeoisie française en fera son identité, avec ainsi sa prédilection pour les mathématiques et la vivisection, son goût pour l’administratif et le droit.
René Descartes a synthétisé cette base culturelle et idéologique de la bourgeoisie française, à une époque où la bourgeoisie française n’était pas en mesure de prendre l’initiative. Il est donc une figure très importante de l’histoire de notre peuple.