La mobilisation du PCF contre Édouard Daladier

Le 21 août 1938, le président du Conseil Édouard Daladier annonce des mesures chocs, qui grosso modo défont les quarante heures hebdomadaires et l’encadrement social obtenu en mai 1936.

Immédiatement les réactions sont fortes du côté de la CGT, du Parti Communiste Français et du Parti socialiste-SFIO, Léon Blum disant : « Pas cela ou pas nous ».

C’est la région parisienne qui est naturellement au cœur de la révolte, car elle forme un bastion rouge dans une France encore majoritairement paysanne. Il est essentiel de rappeler ce décalage, cet aspect essentiel de la situation historique de la France alors, pour la suite des événements.

Le 23 août 1938, l’un des secrétaires de la CGT, le communiste Jules Racamond affirme à l’assemblée des Conseils syndicaux de la région parisienne que :

« Loin d’appuyer sa politique sur la confiance des masses travailleuses, le Président du Conseil obéit aux injonctions des oligarchies capitalistes. »

Et l’assemblée vote la résolution suivante :

« L’assemblée des conseils syndicaux de la région parisienne, au nom d’un million d’adhérents, réunie à la Maison des métallurgistes, le 23 août, sur convocation du secrétariat, traduisant l’émotion de la classe ouvrière à la suite du discours du président du Conseil contre la loi de 40 heures, condamne cette attitude en opposition formelle avec le vote des lois sociales et de la loi de 40 heures par les mêmes hommes en 1936 ;

Rappelle que depuis des mois des milliers d’ouvriers et employés ont été renvoyés des entreprises ou magasins, qu’un nombre important d’entrepreneurs demandant l’abrogation de la loi de 40 heures n’occupent leur personnel que 30 ou 35 heures par semaine.

L’assemblée constate qu’une régression sensible du pouvoir d’achat des ouvriers et des fonctionnaires s’est effectuée depuis la signature des, accords Matignon et l’abrogation des décrets-lois par la pratique qui consiste à refuser constamment aux travailleurs un rajustement de leurs salaires, alors que le coût de la vie augmente.

Elle dénonce l’aggravation de la crise économique actuelle comme étant la conséquence, non des lois sociales, mais du sabotage organisé par le patronat de combat, les trusts et les oligarchies financières.
En conséquence, elle refuse d’accepter les dérogations à la loi de 40 heures dans des industries déterminées, tant qu’il existera dans celles-ci des ouvriers sans travail ;

Se déclare en plein accord avec la Commission administrative de la Confédération Générale du Travail et appelle les travailleurs de toutes les corporations à se montrer vigilants et fermes, prêts à répondre unanimement à toute action qui sera décidée par la C.G.T. pour la défense des conquêtes de juin 1936, la semaine de 40 heures et des lois sociales ;

Déclare approuver sans réserve l’attitude des dockers de Marseille, des ouvriers du bâtiment de Lyon luttant pour la défense de leurs, salaires et le maintien en vigueur des lois sociales ;

S’élève contre l’emploi de la main-d’œuvre militaire, chose inconnue depuis 35 ans sur les ports.

L’assemblée invite également tous les responsables des syndicats, sections syndicales et les délégués d’entreprises à faire la propagande nécessaire pour que tes travailleurs assistent en grand nombre au meeting organisé vendredi, 26 août, salle Wagram. »

Le Front populaire de la région parisienne s’ajoute au mouvement. Il faut rappeler quelles en sont les forces.

On parle de l’Union des syndicats ouvriers de la région parisienne, du parti radical et radical-socialiste, du parti socialiste, du Parti communiste, de l’Union socialiste républicaine, du parti radical Camille Pelletan, du Mouvement paix et liberté, de la Ligue des droits de l’homme, du Comité des femmes, du Mouvement des anciens combattants, du Secours populaire, de l’Association des sous-officiers de réserve républicaine, du Comité de vigilance des intellectuels antifascistes, de la Ligue internationale contre l’antisémitisme, des Jeunesses laïques et républicaines.

Il y a donc le parti radical et radical-socialiste, mais à Paris seulement, car au même moment, le Bureau du Comité Exécutif du parti radical et radical-socialiste, réunie sous la présidence du « citoyen Édouard Daladier », a adressé « au président du Conseil Édouard Daladier l’assurance de sa totale confiance pour mener à bien l’œuvre qu’il a entreprise ».

Voici la résolution votée à l’unanimité lors d’une réunion extraordinaire du Front populaire de la région parisienne.

« Le Front populaire de la région parisienne, réuni extraordinairement le mercredi 24 août, se faisant l’écho du mécontentement profond qui s’est emparé des travailleurs de la région parisienne à propos du discours du président du Conseil, tient tout d’abord à manifester son attachement au serment du 14 juillet 1935 et au programme du Front populaire.

Il considère que les lois sociales obtenues grâce à l’union du Front populaire ne sauraient être remises en question et qu’il les défendra sans faiblesse.

Ce n’est pas en attaquant, voire en modifiant de fond en comble la semaine de 40 heures, que l’on donnera du travail à ceux si nombreux qui n’en ont pas et que l’on résoudra la crise actuelle et les difficultés financières provoquées par les puissances d’argent.

Le Front populaire de la région parisienne dénonce avec force l’action néfaste des trusts contre les conquêtes sociales que l’on voudrait amoindrir et supprimer
les unes après lés autres.

Il est persuadé que le pays républicain ne permettra pas que l’on porte atteinte plus longtemps à sa souveraineté nationale.

Il appelle les travailleurs de la région parisienne ouvriers, employés, fonctionnaires, cheminots, commerçants à renforcer l’union et à s’associer à toutes les protestations émises et à assister à tous les meetings et, en particulier, à celui de l’Union des Syndicats de la Seine le vendredi 26 août, à 20 h 30, salle Wagram.

Le Front populaire de la région parisienne décide de demander une audience au président du Conseil afin de lui faire connaître les sentiments de tous ceux qui se sont. unis pour la défense du pain, de la paix et de la liberté. »

De la même manière, il y a une résolution à l’unanimité du Comité d’entente régional des partis socialiste et communiste, avec les organisations communistes de la région parisienne et les fédérations socialistes de la Seine et de la Seine-et-Oise.

Là encore, on a unité socialiste – communiste qui est unique dans le pays.

« Le comité d’entente des régions parisiennes du Parti communiste et des Fédérations de la Seine et de La Seine-et-Oise du parti socialiste, réuni le 24 août, proclame hautement qu’il entend défendre les conquêtes sociales des travailleurs acquises grâce à la majorité de Front populaire issue des élections de mai 1936 et il affirme son opposition à toute mesure qui leur porterait atteinte.

Représentant la majorité de la population laborieuse des départements de Seine et de Seine-et-Oise où l’on compte plus de 250 000 chômeurs, le Comité d’entente régional s’élève avec énergie contre les déclarations du président du Conseil visant la semaine de 40 heures et demandant de nouveaux sacrifices aux travailleurs alors que les ennemis du peuple, les trusts et les oligarchies financières, organisent systématiquement la fuite des capitaux et poursuivent impunément leur offensive contre le Front populaire et ce qu’il a apporté de bienfaits au pays.

Devant la situation nouvelle ainsi créée, le Comité d’entente régional demande avec force au Rassemblement populaire d’œuvrer pour ta convocation immédiate
du Parlement.

Il invite les travailleurs communistes et socialistes par une unité d’action vigilante à déjouer la menace qui se précise. »

C’est de fait la mobilisation générale du côté de la gauche activiste, principalement par le levier syndical. 100 000 personnes manifestent ou vont à des meetings le 25 août 1938 ; voici la déclaration communiste du même jour.

« Le bureau politique du Parti communiste français, attaché de toutes ses forces à l’union du Front populaire.

Adresse son fraternel salut à la Confédération générale du travail et aux organisations syndicales qui ont donné le signal de la résistance aux attaques de M. Daladier contre les conquêtes sociales du Front populaire.

Il salue la C.A.P.. et les organisations du Parti socialiste qui défendent l’oeuvre du Front populaire.

Il salue les militants du Parti radical qui n’oublient pas que la doctrine de leur parti leur fait une obligation de combattre les oligarchies et d’être toujours avec le peuple, l’ennemi étant à droite et non à gauche.

Il salue les militants de l’U.R.S. qui, fidèles à l’union des gauches, refusent de se soumettre aux exigences des trusts et du nazisme.

Il salue toutes les organisations du Front populaire qui se sont dressées unies pour la défense de la justice sociale et de la légalité républicaine.

Il se félicite que les organisations communistes soient partout au premier rang de ceux qui luttent contre les menaces du président du Conseil, qui veut en finir avec la semaine de 40 heures, alors qu’il y a en France plus de 340 000 chômeurs, et alors que 50 % des ouvriers travaillent moins de 40 heures.

Si ce plan de régression sociale réussissait, toutes les lois sociales conquises par les travailleurs au cours de ces deux dernières années (congés, payés, contrats collectifs, etc.), seraient menacées à leur tour.

Le Bureau politique souligne que depuis de longs mois les oligarchies capitalistes, les trusts, les spéculateurs, mènent campagne, contre les réalisations sociales du Front populaire qu’ils voudraient anéantir de concert avec les banquiers de la Cité [la City de Londres], et les gouvernements fascistes de Rome et de Berlin.

Ce sont ces congrégations économiques, toutes-puissantes, qui ont exigé une attaque de grand style contre les 40 heures, attaque à laquelle le chef du gouvernement s’est prêté, oubliant le programme qu’il a, adopté et le serment du 14 juillet.

Le peuple de France, conscient de défendre la République et la sécurité du pays en défendant ses droits inscrits dans la loi, se dresse unanime contre toute tentative de destruction de la législation sociale du Front populaire comme en témoignent les innombrables résolutions votées par le Comités du front populaire et les diverses organisations des masses laborieuses.

Le Bureau politique constate, en outre, que l’attaque contre les lois sociales recueille l’approbation de tous les ennemis de la démocratie et de tous les chercheurs d’aventure du fascisme.

Le [journal d’Allemagne nazie] Voelkischer Beobachter écrit : « Nous nous réjouissons de voir la France supprimer la loi de 40 heures », tandis que les journaux des banques de la Cité de Londres ne dissimulent pas leur joie de voir les acquisitions sociales du Front populaire mises en cause.

Quant aux ligues factieuses reconstituées au mépris de la loi, elles prodiguent d’inquiétants encouragements au chef du gouvernement, qu’elles incitent à « sortir des ornières constitutionnelles ».

Aucune déclaration officielle n’a été faite en réponse aux affirmations du journal de Hitler concernant l’abolition de la semaine de 40 heures, et le président du Conseil n’a pas eu un mot pour flétrir les fascistes qui préconisent ouvertement le coup de force contre la légalité républicaine, pour livrer la France à ses ennemis.

Le Bureau politique se félicite de voir le peuple français se dresser unanime pour le respect des lois sociales et contre toutes tendances au pouvoir personnel.

Le peuple de France sait bien que les puissances d’argent en lutte contre les réformes sociales du Front populaire, sont opposées à l’institution de la retraite pour les vieux, à la création de la caisse contre les calamités agricoles, au rajustement des traitements des fonctionnaires et des allocations de chômage, à la réforme démocratique des impôts et à toute amélioration des conditions d’existence des populations laborieuses.

L’union du Front populaire contre les oligarchies, sous le signe de la fidélité au programme et au serment du 14 juillet, est une nécessité vitale pour le pays qui ne veut pas subir l’insolente dictature de la finance internationale, des déserteurs du franc et des spéculateurs.

Le Bureau Politique appelle les socialistes. les radicaux, les syndiqués, les communistes et tous les démocrates s’unir plus fortement que jamais pour ne pas laisser toucher aux réformes sociales, pour imposer le respect de la loi républicaine.

Il donné mandat à ses délégués, au Comité national du Rassemblement populaire et à la Délégation des gauches, de proposer à tous les partis des organisations du Front populaire

1) La convocation du Parlement, afin d’assurer le fonctionnement normal des institutions démocratiques ;

2) L’affirmation solennelle de l’intangibilité de la loi établissant la semaine de 40 heures et de l’ensemble des lois sociales ;

3) L’opposition aux 200 heures de dérogation qui constitueraient un premier coup porté à la législation sociale du Front populaire et l’opposition à toute nouvelle dérogation dans les industries où il y a du chômage complet ou partiel ;

4) La condamnation catégorique de tous les encouragements à la guerre civile et à l’action anticonstitutionnelle prodigués par les factieux au président du Conseil depuis qu’il a prononcé son discours, et la condamnation de toute tendance au pouvoir personnel ;

5) L’action commune pour obtenir qu’on fasse droit aux revendications des vieux, des chômeurs, des travailleurs de la fonction publique et des massée paysannes de France ;

6) L’action en commun pour dénoncer les agissements des trusts qui organisent l’attaque contre les lois sociales, exportent les capitaux au lieu de les investir en France et sont les véritables responsables du sabotage de la production.

Le Bureau politique demande à tous les communistes d’agir en commun avec les camarades socialistes et avec l’ensemble des adhérents du Front populaire, afin de consolider. l’union qui doit exister entre les deux partis de la classe ouvrière, et afin d’opposer aux menaces des oligarchies et de la réaction l’union indissoluble du Front populaire.

VIVE LE FRONT POPULAIRE !

Le Bureau politique du Parti communiste français. »

La CGT rejette alors le 31 août le décret-loi de la veille qui remet en cause les 40 heures : c’est l’annonce de l’épreuve de force de par le poids du syndicat dans la vie de la gauche en France.

Le Parti Communiste Français rassemble dans la foulée 50 000 personnes à Paris au vélodrome d’hiver, alors que dans absolument tout le pays les manifestations se multiplient. Et la fête de l’Humanité, qui se déroule au même moment, rassemble plus de 300 000 personnes à Garches le 4 septembre 1938.

Mais au même moment, l’Allemagne nazie est lancée dans son opération d’invasion de la Tchécoslovaquie et la tension internationale devient énorme.

Le meeting pour la paix du Parti Communiste Français est interdit, alors que les accords de Munich se mettent en place, en plein contexte de crise sociale aiguë.

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isolé et interdit (1938-1939)