Il faut bien être conscient que si le principe de « profession organisée » est une aberration technocratique, un corporatisme relevant du fascisme, ce principe sert avant tout une mystique que François de La Rocque a réussi à développer puissamment en profitant du fait que les ligues ont dû cesser d’exister. Le processus a été accompagné d’une de maître, avec une grande finesse politique.
Depuis 1935, les Croix de Feu s’appuient sur un Mouvement Social Français des Croix-de-Feu, avec une base idéologique ayant largement quitté l’approche unilatérale du nationalisme du type « anciens combattants ». Le 22 juin 1936, François de La Rocque faisait passer une circulaire indiquant aux adhérents qu’ils doivent rester en contact avec leur chef de « dizaine », expliquant le 24 juin dans une communication interne :
« Le gouvernement… a prononcé dans l’arbitraire un nouveau décret de dissolution des Croix de Feu et des Volontaires Nationaux. Nous nous y attendions… Nous créons le « Parti Social Français ». »
Voici comment il réagit officiellement à la dissolution par le Front Populaire, tout en mettant en avant la fondation directe d’une nouvelle organisation, le Parti Social Français :
« Le mouvement Croix de Feu est dissous. Une loi imbécile votée, comme de bien entendu, sous un gouvernement modéré, a donné à un gouvernement de sectarisme et de haine des armes empoisonnées contre les serviteurs de la patrie.
Ces armes, on les utilise à l’heure même où l’émeute gronde aux lisières de la capitale (…).
Si le gouvernement s’oppose au libre essor de pareilles bonnes volontés, alors il devra la dictature du socialisme et du communisme.
Alors le chef de l’État devra reconnaître l’abrogation solennelle du droit pour les citoyens de penser et de se réunir : il prendra ses responsabilités.
Nous saurons aussi dégager les nôtres et envisager sans faiblir toutes les conséquences. »
Ce qui signifie qu’en clair l’organisation de François de La Rocque a une telle surface, une telle masse critique, que l’interdiction ne peut la démanteler sans aller jusqu’à une répression sévère, passant inévitablement par la guerre civile. L’interdiction n’était d’ailleurs pas totale : le ministre de l’Intérieur socialiste, Roger Salengro, avait exclu de la répression les œuvres sociales.
En pratique, les responsables du P.S.F. passèrent donc en procès devant la 14e chambre correctionnelle, le 13 décembre 1937, pour « reconstitution illégale de ligue dissoute », mais cela traîna en longueur. Cela aboutit, le 22 décembre, à une condamnation de François de La Rocque à 3000 francs d’amende, et 1000 francs d’amende pour Jean Ybarnégaray (futur membre du gouvernement de Vichy), Georges Riché, Charles Vallin, Noël Ottavi et Philippe Verdier. Le PSF fit appel et le 7 juin 1938, la Cour d’appel de Paris réduisit les amendes.
Et finalement le 7 juin 1939, le tribunal civil de la Seine, sur requête du procureur de la République, nommait un administrateur pour la liquidation des biens du P.S.F., qui de toutes manières avait déjà généré une « association des volontaires de la défense passive », dont le siège était dans le même immeuble sur le secrétaire particulier de François de La Rocque, disposant d’un accès depuis une rue parallèle… et servant de base juridique pour contourner une nouvelle interdiction.
François de La Rocque avait parfaitement joué, avec un grand talent politique. Il voulait le dépassement des Croix de Feu, il a profité du tournant de 1936. Tout le discours de rupture organisationnelle avec le passé lui permettait de proposer un nouveau cadre politique neuf et plus accueillant. Cela rendait le tout bien plus dangereux.
Tactiquement et politiquement, il y avait tout à gagner à se prétendre neuf politiquement, tout en se réclamant de manière « spirituelle » des Croix de Feu. Tout un discours en ce sens fut produit par le P.S.F. ; Jean Ybarnégaray déclarai ainsit au parlement, le 23 mars 1937 :
« Je déclare que l’organisation du Parti Social Français n’a absolument rien de commun avec celle des Croix de Feu. Je déclare que le Parti Social Français a été régulièrement constitué avec l’autorisation, l’agrément du ministre de l’Intérieur, avec votre autorisation, votre agrément monsieur le Président du Conseil. »
Naturellement, c’était de la poudre aux yeux, de manière souvent très bien organisée pour masquer la continuité sur le plan de l’organisation, parfois même pas : Varin, commissaire général des « dispos » formant les activistes, devint simplement responsable des « Équipes Volantes de Propagande ».
Dans le document du P.S.F., Une mystique, un programme, on a la base idéologique de cette organisation qui est formulée et le P.S.F. continue de se vouloir un mouvement et non un « parti ». C’est une constante fasciste : le parti est un « anti-parti », d’ailleurs sa mission, une fois le pouvoir pris, est de fusionner avec les institutions. Ce fut le cas en Italie, comme en Allemagne. Et ce « parti anti-parti » qu’est le P.S.F.… se veut la réalisation concrète des « Croix-de-Feu », son aboutissement :
« Encore un parti ? Non. La liste est déjà trop longue de ces partis qui contribuent à l’émiettement de l’opinion française, entretiennent la division des citoyens et s’opposent à l’union de toutes les bonnes volontés éparses.
Le Parti Social Français n’est pas un parti nouveau. Il ne vient pas, après tant d’autres, revendique une place éphémère sur l’échiquier de la politique française.
Trop souvent, la création d’un parti n’a correspondu à d’autre besoin que de permettre à certaines ambitions de jouer leur chance dans le Sweepstake de la course aux portefeuilles ; on constitue un état-major, on rédige un programme et on sollicite les électeurs, mais ce sont surtout les « places » que l’on cherche.
Le Parti Social Français est né dans des conditions exactement contraires. Il existait pour ainsi dire en puissance, avant d’être officiellement constitué : dès sa création, les adhérents s’y inscrivaient par centaines de mille.
Quelle commune mesure y a-t-il entre ce vaste rassemblement et les cadres squelettiques des vieux partis chevronnés ?
Qu’on ne parle donc pas d’une force nouvelle, mais bien plutôt d’une force ressuscitée, exaltée. C’est le grand courant spirituel issu de la guerre qui continue de passer : aucun obstacle ne l’arrêtera.
On peut dissoudre un organisation, on ne peut rien contre les âmes. La persécution agit sur elles comme le vent sur la flamme : elle la rend plus ardente et plus rayonnante encore.
La mystique Croix de Feu éclaire, dirige, anime l’action du Parti Social Français. »
On remarque, bien sûr, la nature religieuse du vocabulaire (ressuscitée, âme, ardente, etc.). C’est que le P.S.F. se place ouvertement dans une logique catholique. L’Action française avait tenté de s’approprier l’idéologie catholique pour son projet monarchiste, ce qui amena une rupture brutale entre les deux.
Le P.S.F. s’interdisait quant à lui de vendre son journal à la sortie des églises, prônant une sorte de laïcité qui, en réalité, accordait toute son autonomie à l’Église catholique, tout en poursuivant lui-même un style mystique, ouvertement assumé. On lit par conséquent :
« Sans la mystique animatrice, un programme se dessèche et reste stérile comme une plante privée d’air.
Qu’est-ce qu’une mystique ?
C’est une foi. Elle est issue du cœur autant que de la raison, elle commande l’action.
La mystique ne peut être mieux comparée qu’au courant électrique ; elle échappe à toute définition matérielle, mais constate qu’elle illumine et réchauffe.
La doctrine et les théories sont inertes, comme des conducteurs sans courant, si une mystique ne les vivifie point. »
L’allusion à l’électricité a ceci de cocasse que François de La Rocque a été membre du comité directeur de l’Union d’électricité…
Dont le directeur était Ernest Mercier, figure capitaliste de l’électricité et du pétrole, administrateur alors de 19 entreprises et qui avait nommé Jean Goy pour fonder un mouvement d’anciens combattants qui donnera par la suite justement les Croix de Feu.
François de La Rocque pouvait d’ailleurs employer une partie de son temps de travail pour les Croix de Feu, avant que, devenu médiatique, il cessa de travailler pour s’y consacrer à plein temps.
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