La nature du régime péruvien aux yeux de José Carlos Mariátegui

Pour José Carlos Mariátegui, la question féodale n’a pas été abordée historiquement au moment de l’indépendance du Pérou en raison du caractère simplement naissant de la bourgeoisie, ainsi que du caractère « extrasocial » des Indigènes.

Par conséquent, la bourgeoisie qui apparaît est en fait une haute bourgeoisie enracinée dans le féodalisme.

José Carlos Mariátegui préfigure parfaitement le concept de « bourgeoisie bureaucratique » qui va être développé par la suite par le maoïsme.

« Pendant la période de domination militaire, au lieu de renforcer le demos urbain, l’aristocratie foncière s’est renforcée.
Le commerce et la finance étant contrôlés par des étrangers, l’émergence d’une bourgeoisie urbaine vigoureuse était économiquement impossible.

L’éducation espagnole, radicalement étrangère aux objectifs et aux besoins de l’industrialisme et du capitalisme, ne préparait pas des commerçants ou des techniciens, mais des avocats, des écrivains, des théologiens, etc.

Ceux-ci, à moins de se sentir particulièrement voués au jacobinisme ou à la démagogie, devaient constituer la clientèle de la caste des possédants.

Le capital commercial, presque exclusivement étranger, ne pouvait que s’étendre et s’associer à cette aristocratie, qui, de plus, maintenait, tacitement ou explicitement, sa domination politique.

Ainsi, l’aristocratie foncière et ses alliés bénéficiaient de la politique fiscale et de l’exploitation du guano et du salpêtre.
Ainsi, forcée par son rôle économique, cette caste assuma le rôle de classe bourgeoise au Pérou, sans toutefois perdre ses préjugés coloniaux et aristocratiques.

Ainsi, en fin de compte, les catégories bourgeoises urbaines – professions libérales, commerçants – furent finalement absorbées par le civilisme [= le Partido Civil représentant la haute bourgeoisie enrichie avec le guano cherchant à mettre les militaires de côté dans l’État]. »

Puisqu’il y a donc une forme de continuité historique à travers l’indépendance, on a ainsi le paradoxe que :

« Les privilèges de la colonie avaient engendré ceux de la République. »

Il y a, bien entendu, de réelles expressions libérales, capitalistes. Mais elles se font asphyxier, corrompre.

« Au sein de l’état-major civiliste, on trouvait quelques libéraux modérés qui tendaient à imprimer à la politique de l’État une orientation capitaliste, la séparant autant que possible de sa tradition féodale.

Mais la prédominance de la caste féodale au sein du civilisme, ainsi que le retard imposé par la guerre à notre processus politique, empêchèrent ces avocats et juristes civils d’avancer dans cette direction.

Face au pouvoir du clergé et de l’Église, le civilisme manifesta généralement un pragmatisme passif et un positivisme conservateur qui, à quelques exceptions près, ne cessèrent de le caractériser mentalement. »

On remarque que pour exprimer la faiblesse des libéraux « réels », José Carlos Mariátegui fait intervenir la question du clergé.

C’est là un aspect très important et essentiel en Amérique latine.

Même quand il y a eu des avancées libérales modernistes, systématiquement il y a l’affrontement avec le clergé et l’Église. L’histoire du Mexique, que José Carlos Mariátegui connaît très bien, est le plus exemplaire à ce sujet.

Et c’est là également où José Carlos Mariátegui est brillant. Il constate avec sagacité les rapports intellectuels, le rôle des mentalités, le poids des idéologies.

Et cela, il le doit à son positionnement humain. José Carlos Mariátegui est un réfractaire, il a réussi à s’affirmer en-dehors et contre les couches dominantes, cherchant à avoir un niveau aussi haut qu’elles, mais de manière révolutionnaire.

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José Carlos Mariátegui et le matériau humain