La grande référence mise en avant par Hegel dans La science de la logique est la lettre dite « sur l’infini », écrite par Spinoza à Louis Meyer, le 20 avril 1663. Hegel fait de nombreuses références à Spinoza et son objectif est clairement d’approfondir le système de celui-ci, de lui fournir ce qu’il considère être comme manquant. Hegel se place en disciple et en continuateur de Spinoza.
Il dit par ailleurs :
Le caractère défini est la négation posé de manière affirmative, – c’est la phrase de Spinoza : Omnis determinatio est negatio (Toute détermination est négation). Cette phrase est d’une importance infinie ; seule la négation en tant que telle est l’abstraction sans forme.
C’est chez Spinoza que Hegel trouver la question de la négation et c’est chez lui qu’il trouve également la notion adéquate d’infini. La référence à la lettre dite « sur l’infini » doit donc être considérée comme essentielle pour la compréhension de la démarche de Hegel. Elle est la clef de voûte de La science de la logique.
Dans cette lettre, Spinoza affirme que les mathématiques ratent la notion d’infini, parce qu’elles n’atteignent pas la substance des choses, ayant une conception opératoire depuis l’extérieur.
L’idée est la suivante : il est possible d’étudier le contenu du temps et de l’espace au moyen de mesure, de nombre, etc. Mais ce faisant, on rate une dimension, celle de l’infini. En effet, à partir du moment où on dit qu’on compte, qu’on calcule, qu’on mesure, etc., on pose un cadre fini, ce qui est le contraire de l’infini.
Les mathématiques ne sont donc qu’une description ; elles ne parviennent pas au système qu’est l’univers lui-même, seulement à certains aspects pris à part, comme pris en instantanés. Ces aspects ne sont cependant pas la totalité elle-même, qui est infinie ; ce qu’on a, ce sont des moments finis, des éléments de la totalité. La totalité reste par contre forcément inatteignable si l’on raisonne en termes finis.
Spinoza manie ici la dialectique en posant la contradiction entre infini et fini, entre ensemble et particulier. Seule la totalité existe, comme ensemble et en se posant par définition même comme infini ; ce qu’on appelle le temps, la mesure, la grandeur, ne sont que des outils employés pour étudier des modes d’existence de la totalité, pas la totalité elle-même.
En quelque sorte, on ne peut pas rattraper l’infini. Spinoza, dans sa lettre, fait référence également à Zénon d’Élée à ce niveau.
C’est là-dessus que va directement se fonder Hegel pour exposer la dialectique dans La science de la logique, en la considérant comme ce qui va apporter à Spinoza ce qui lui manquait pour parfaire son système en tant que tel.
Hegel admet en effet tout cela sans souci. Il a cependant un problème avec la séparation totale que cela implique entre la totalité, porteuse d’infini, et les phénomènes qui sont eux finis. Ceux-ci ne sont que des modes d’existence de l’infini ; en fait, chez Spinoza, tout ce qui est fini existe dans un nombre infini, et consiste en la totalité. L’univers est ici, si l’on veut, l’ensemble des possibles (et nécessaires).
Or, Hegel considère que c’est là un panthéisme qui peut être dépassé, et même qui doit l’être si l’on veut établir un rapport correct entre le fini et l’infini.
Un tel rapport ne peut pas exister avec l’univers-substance de Spinoza, radicalement séparé des modalités d’existence de ses aspects. Cela revient pour lui à la même conception, somme toute, que l’hindouisme, où la succession de Brahman le créateur, Vishnou le stabilisateur et de Shiva le destructeur amène une répétition ininterrompue des mêmes mondes.
Il y a là une opposition du fini et de l’infini ; leur rapport est extérieur. Tout le but de Hegel va être d’en faire un rapport intérieur. Karl Marx et Friedrich Engels reprendront directement cette conception, plaçant ce rapport intérieur entre le fini et l’infini dans la matière elle-même. Ce sera alors le matérialisme dialectique.
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