Le choix de la peinture dite de genre fut effectué par les peintres eux-mêmes et pourtant, cela put s’insérer dans la société où le tsar décidait de tout. Comment cela a-t-il pu se passer ?
En fait, le tsar avait compris que le développement de son pouvoir nécessitait la reconnaissance de la modernisation, exactement comme avec la monarchie absolue au XVIIe siècle en France. Cela fait qu’au milieu des années 1850, c’est une seconde vague des peintres démocratiques qui intervient en fait, après l’échec de la première qui était par contre née contre le régime.
En 1825 avait eu lieu en effet une tentative de coup d’État, à l’occasion de l’intronisation du nouveau tsar, Nicolas Ier. A l’initiative notamment du colonel républicain Pavel Pestel (1793-1825), les « décabristes » (c’est-à-dire les « décembristes ») tentaient d’arracher par la force une constitution et l’abolition du servage.
Leur échec fut suivi d’une intense répression et l’autocratie se maintint par la suite, avec une brutalité extrême. L’opposition fut difficile, et on trouve notamment le « cercle » organisé par Mikhaïl Petrachevski (1821-1866), dont les membres furent souvent arrêtés, victimes de simulacres d’exécution, déportés aux travaux forcés, etc.
Le membre le plus connu du cercle fut l’écrivain Fiodor Dostoïevski et le peintre Pavel Fedotov (1815 – 1852) en était proche, mais sa marge de manœuvre était nulle. Aussi, son approche démocratique – passant par le réalisme – devait se placer au service du régime, tout en profitant d’une petite touche désinvolte et d’un sens très marqué pour la moquerie.
Il était en cela influencé par le fabuliste Ivan Krylov (1769-1844), qui était en quelque sorte le La Fontaine russe. Ivan Krylov avait d’ailleurs encouragé Pavel Fedotov à quitter l’armée – il venait d’un milieu extrêmement pauvre, son père était un lieutenant à la retraite qui l’avait poussé à s’engager.
Pavel Fedotov demanda cependant, avant de se lancer, l’avis de Karl Brioullov, le premier peintre russe à disposer d’une renommée internationale. Karl Brioullov était parti en Italie, où il avait obtenu un succès retentissant avec Le Dernier Jour de Pompéi, peint au début des années 1830 et faisant 6,5 mètres sur 4,5. Son retour en Russie fut alors triomphal.
Voici deux autres peintures de Karl Brioullov marquée par le mouvement, la vivacité, la tendance au portrait d’une situation et de leurs caractères : Le siège de Pskov par Étienne Báthory, ainsi que La Fontaine de Bahchisaraja.
Karl Brioullov était en pratique le premier peintre russe à rompre avec l’esprit précédent qui ne faisait que tenter de former un néo-classicisme sans contenu, simplement formel. Sans aller jusqu’à la représentation de la réalité, il promeut un style plus personnel, d’esprit romantique.
Voici le Portrait de la comtesse Ioulia Samoilova avec sa fille Amazilia Paccini, La cavalière (avec Amazilia et sa soeur Giovannina), Cavaliers, Olga Fersen sur un âne, Portrait de Prince Mikhail Obolensky.
Karl Brioullov a donc encouragé Pavel Fedotov, dont il admirait le travail. Pavel Fedotov n’abandonna l’armée que par la suite pourtant, car cela signifiait une vie dans la misère la plus totale, en attendant une reconnaissance éventuelle.
Celle-ci se produisit, en fin de compte, notamment avec Fiançailles d’un major, qui présente la demande en mariage d’un major endetté. Le mariage est présenté comme une cérémonie au caractère faux, car calculé. L’esprit moqueur se retrouve également avec La fiancée difficile, où les parents écoutent et… espèrent.
Voici deux autres oeuvres typiques de la démarche de Pavel Fedotov. Le Petit-déjeuner d’un aristocrate nous montre la vanité de l’aristocrate interrompu en catastrophe dans son train-train quotidien, alors que Fraîchement médaillé montre la matinée d’un bureaucrate ayant reçu sa première médaille, affirmant son orgueil ridicule.
Enfin, Une jeune veuve présente la situation dramatique d’une jeune femme enceinte ayant perdu son mari et donc étant désocialisé dans la Russie tsariste et son organisation féodale pratiquement en castes.
Pavel Fedotov ne vécut cependant pas à la bonne époque. La répression était générale ; il n’y avait pas de place pour la représentation du réel. La revue Sovremennik (Le contemporain) à laquelle il était lié fut interdite, lui-même sombrera dans la folie et mourra à 37 ans.