La périodisation du culte des hallucinations des Indiens des grandes plaines

Puisqu’il a existé un culte des hallucinations des Indiens des grandes plaines, reste maintenant à étudier de quelle période historique on parle.

On a ici l’avantage que la situation des Amérindiens a été étudié. On parle ici des Amérindiens de l’époque de la colonisation européenne, mais le culte des hallucinations y est encore présent, même si l’utilisation nouvelle des chevaux a bouleversé le mode de vie amérindien.

Friedrich Engels, dans L’origine de la famille, de la propriété privée et de l’État, nous dit la chose suivante au sujet des Amérindiens :

« Le mot latin gens, que Morgan emploie d’une façon générale pour désigner ce groupe de consanguins, vient, tout comme le mot grec correspondant genos, de la racine aryenne commune gan (en germanique ou, d’après la règle, k remplace le g aryen, kan) qui signifie engendrer.

Gens, genos, en sanscrit djanas, en gothique (selon la règle précitée) kuni, en norois et en anglo-saxon kyn, en anglais kin, en moyen haut-allemand künne veulent uniformément dire race, lignée.

Mais gens en latin, genos en grec s’appliquent spécialement au groupe consanguin qui se vantent d’une descendance commune (ici, d’un ancêtre commun de la tribu), et qui est uni par certaines institutions sociales et religieuses en une communauté particulière, mais dont l’origine et la nature étaient cependant restées obscures jusqu’ici pour tous nos historiens (…).

À l’époque de la découverte, les Indiens de toute l’Amérique du Nord étaient organisés en gentes, selon le droit maternel. Dans quelques tribus seulement, comme celle des Dakotas, les gentes avaient disparu, et dans quelques autres, chez les Ojibwas, les Omahas, elles étaient organisées selon le droit paternel. »

Les Amérindiens étaient socialement organisés en clans, mais sur la base du droit maternel. Être du clan passe par la mère. On n’est plus dans le matriarcat, car les hommes décident, mais la femme a encore une place essentielle, étant le socle familial. Elle peut d’ailleurs chasser son mari, la tente étant à elle, etc.

On n’est donc plus dans le matriarcat, mais pas encore dans le patriarcat avancé. Il n’y a pas encore d’État comme institution séparée, c’est la gens dans son ensemble qui gère toutes les questions sociales et les décisions à prendre. Cependant, les hommes ont pris les prérogatives. Dès que cela ira dans l’esclavagisme, ils prendront entièrement le dessus.

La société amérindienne était ainsi une société de chasseurs cueilleurs avancés. Sur le plan matériel, c’est misérable, la seule richesse tenant en des vêtements, des bijoux grossièrement confectionnés, des outils, des armes. On n’est pas au niveau d’une société ayant systématisé la culture avec un niveau civilisationnel.

On n’est toutefois plus dans le cas d’êtres humains isolés, vivant à l’écart dans un cadre matriarcal immédiat.

Friedrich Engels dit au sujet de cette période charnière :

« La constitution gentilice à son apogée, telle que nous l’avons vue en Amérique, impliquait une production tout à fait embryonnaire et, par suite, une population extrêmement clairsemée sur un vaste territoire, donc un asservissement presque complet de l’homme à la nature extérieure qui se dresse devant lui en étrangère et qu’il ne comprend pas, asservissement qui se reflète dans ses puériles représentations religieuses.

La tribu restait pour l’homme la limite, aussi bien en face de l’étranger que vis-à-vis de soi-même : la tribu, la gens et leurs institutions étaient sacrées et intangibles, constituaient un pouvoir supérieur donne par la nature, auquel l’individu restait totalement soumis dans ses sentiments, ses pensées et ses actes.

Autant les hommes de cette époque nous paraissent imposants, autant ils sont indifférenciés les uns des autres, ils tiennent encore, comme dit Marx, au cordon ombilical de la communauté primitive. »

Friedrich Engels précise également à quoi conduit cette période charnière : à la confédération des tribus. Il dit :

« Nous voyons, chez les Indiens de l’Amérique du Nord, comment une peuplade, unie à l’origine, se répand peu à peu sur un immense continent ; comment des tribus, en se scindant, deviennent des peuples, des groupes entiers de tribus.

Comment les langues se transforment non seulement jusqu’à devenir incompréhensibles entre elles, mais aussi jusqu’à ce que disparaisse presque toute trace de leur unité primitive.

Comment, par ailleurs, au sein des tribus, les différentes gentes se scindent en plusieurs tronçons, les gentes-mères se maintiennent en tant que phratries, et comment les noms de ces plus anciennes gentes se perpétuent dans des tribus fort éloignées les unes des autres et depuis longtemps séparées, – le Loup et l’Ours sont encore des noms gentilices dans la majorité des tribus indiennes.

Et la constitution précédemment décrite s’applique en général à toutes ces tribus, – à cette différence – près que beaucoup d’entre elles ne sont pas arrivées jusqu’à la confédération entre tribus parentes. »

Et là, justement, on a un exemple de confédération entre tribus parentes qui existe et qui va nous aider à établir une période de manière précise. Il s’agit des peuples mésoaméricains. Le culte des hallucinations des Indiens des grandes plaines a en effet été repris par le prolongement historique des Amérindiens : les Aztèques, les Mayas, les Toltèques, les Mixtèques, etc.

Et là on a des confédérations se faisant la guerre et organisant l’asservissement des peuples concurrents, ce qu’on n’a pas du tout chez les Amérindiens, qui vivaient à l’étape de développement pré-confédérationnel.

On va ainsi savoir précisément jusqu’où le culte des hallucinations va aller historiquement, car comme on le sait la civilisation méso-américaine a été écrasée du jour au lendemain par la conquête espagnole, alors que la civilisation méso-américaine n’était justement pas parvenue à dépasser le stade pré-confédérationnel.

Le fait que le monothéisme imposé par l’Espagne ait remplacé, littéralement du jour au lendemain, le culte des hallucinations de la civilisation méso-américaine montre qu’on avait là la dernière étape avant le saut – ce saut étant impulsé par la domestication des animaux importée d’Europe.

=>Retour au dossier Du chamanisme au monothéisme