Pour que sa philosophie soit reconnue comme vision bourgeoisie du monde, Edmund Husserl avait besoin d’une légitimation. Pour ce faire, il a longuement expliqué sa conception dans un cycle de deux conférences, en quatre parties, qui ont eu lieu à la Sorbonne les 23 et 25 février 1929 ; l’ouvrage qui en ressortit fut justement intitulé Méditations cartésiennes.
Husserl présente Descartes comme point de départ de la philosophie qu’il considère comme moderne, et qu’il faut comprendre comme bourgeoise :
« Un fait, certes, porte à réfléchir : les sciences positives se sont fort peu souciées de ces Méditations qui, cependant, .devaient leur fournir un fondement rationnel absolu.
Il est vrai qu’après s’être brillamment développées pendant trois siècles, ces sciences se sentent aujourd’hui entravées dans leur progrès par l’obscurité qui règne dans leurs fondements mêmes. Mais là même où elles essaient de renouveler ces fondements, elles ne songent pas à remonter aux Méditations de Descartes.
C’est, par ailleurs, un fait considérable qu’en philosophie les Méditations aient fait époque, et cela de manière toute particulière, précisément en vertu de leur retour à l’ego cogito pur. Descartes inaugure un type nouveau de philosophie.
Avec lui la philosophie change totalement d’allure et passe radicalement de l’objectivisme naïf au subjectivisme transcendantal, subjectivisme qui, en dépit d’essais sans cesse renouvelés, toujours insuffisants, paraît tendre pourtant à une forme définitive. »
Ainsi, Descartes a mené une révolution philosophique, mais les sciences ne l’ont pas vu : la solution est qu’elle se tourne vers Descartes. On aura compris bien entendu que Husserl dit cela car il se veut justement celui qui conjugue la « révolution cartésienne » et les sciences.
Cependant, Husserl ne peut pas suivre la manière dont Descartes prenait les sciences. En effet, Descartes avait la même conception que Pythagore et Platon, que tout l’idéalisme : le monde est de type logico-mathématique, et non pas naturel-physique.
Or, Husserl doit sauver l’idéalisme face au matérialisme. Et les avancées scientifiques ont été immenses, la réalité est puissamment transformée. Le matérialisme est donc solidement ancré de par la transformation des forces productives et celles-ci croissant, il devient de plus en plus solide.
Inversement, les classes dominantes sont de plus en plus décadentes et basculent dans le subjectivisme. Le mode de production capitaliste façonne lui-même tout le monde dans une tendance au subjectivisme, à la réduction à un consommateur – producteur.
Il faut donc pour Husserl accompagner cela, ce qu’il fait en parlant de manière ininterrompue de « crise » de « l’occident » et en faisant basculer l’idéalisme dans le subjectivisme.
Ce subjectivisme n’assume plus l’ensemble de la réalité, fut-elle logico-mathématique (que ce soit religieusement comme pour Platon ou de manière bourgeoise-transformatrice chez Descartes).
Il faut ici que la science elle-même devienne relativiste et donc qu’elle se soumette au subjectivisme exposé philosophiquement. Il faut noter bien entendu que Husserl accompagne en même temps les tendances subjectivistes existant dans les sciences, notamment en mathématiques.
Husserl expose donc dans les Méditations cartésiennes que Descartes doit être dépassé :
« Descartes lui-même s’était donné d’avance un idéal scientifique, celui de la géométrie, ou, plus exactement, de la physique mathématique. Cet idéal a exercé pendant des siècles une influence néfaste.
Du fait qu’il ait été adopté par Descartes sans critique préalable, ses Méditations se ressentent aussi.
Il semblait naturel à Descartes que la science universelle dût avoir la forme d’un système déductif, système dont tout l’édifice reposerait ordine geometrico sur un fondement axiomatique servant de base absolue à la déduction.
L’axiome de la certitude absolue du moi et de ses principes axiomatiques innés joue chez Descartes, par rapport à la science universelle, un rôle analogue à celui des axiomes géométriques en géométrie.
Mais le fondement est encore plus profond ici qu’en géométrie et est appelé à constituer le dernier fondement de la science géométrique elle-même. Quant à nous, tout cela ne doit aucunement nous influencer. »
Husserl veut en effet faire du « moi » une valeur en soi, qui n’a pas besoin de support, qui se justifie en existant – c’est-à-dire en consommateur – producteur au sein du mode de production capitaliste.
C’est le subjectivisme.
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comme subjectivisme absolu