La plongée dans la clandestinité du Parti Communiste Français

Ce qu’on lit dans La vie du Parti en avril 1941 est riche d’enseignements. C’est un rappel des conditions de la lutte et comme c’est en quelque sorte un manuel de la clandestinité, on y retrouve un excellent portrait de la situation des communistes.

« Il faut en finir avec le « crétinisme légaliste »

Notre Parti travaille dans les conditions de l’illégalité. La bourgeoisie n’hésitant pas un instant à violer sa propre légalité fait arrêter par la police, sans l’ombre du moindre prétexte, des personnes soupçonnées de pouvoir être communistes.

Cela chaque communiste le sait et il est donc clair qu’un militant quelque peu connu avant guerre ne peut songer à participer au travail illégal du Parti sans prendre d’indispensables mesures de précaution.

La première des choses à faire est de ne plus aller sous aucun prétexte à son domicile connu de la police et sûrement surveillé.

C’est là une précaution élémentaire que chacun devrait comprendre sans avoir besoin de beaucoup d’explications, et pourtant il n’en est rien.

Il y a des camarades qui se croient encore dans la période légale d’avant-guerre et qui font preuve de ce l’on peut appeler un « crétinisme légaliste ».

On a pu voir des militants à qui on demandait s’ils avaient bien quitté leur domicile, s’ils prenaient des précautions, répondre avec une naïveté désarmante : « Je ne couche pas chez moi, je n’y vais qu’à midi pour déjeuner ».

Notre Parti a payé de l’arrestation de plusieurs de ses cadres de telles méthodes qui sont empreintes d’un opportunisme intolérable et doivent être condamnées de la façon la plus nette.

Être un bon communiste dans les circonstances actuelles, c’est avant tout appliquer scrupuleusement les règles du travail illégal ; c’est comprendre que chaque défaillance dans ce domaine constitue un danger pour le Parti et un véritable crime contre la classe ouvrière.

C’est pourquoi nous voulons rappeler aux membres du Parti des règles fondamentales qu’on ne doit laisser transgresser en aucune manière par qui que ce soit.

Le « crétinisme légaliste » et l’organisation

La sous-estimation de la répression capitaliste, le « crétinisme légaliste » dont certains camarades font preuve dans le domaine de l’organisation constituent un péril pour le Parti.

L’intérêt de la classe ouvrière, l’intérêt de notre pays que nous voulons libérer de l’exploitation capitaliste, de la misère, de la famine et de l’oppression nationale, l’intérêt du Parti exigent que tous les responsables, quels qu’ils soient, qui se livrent à des bavardages, font preuve de légèreté et d’esprit d’irresponsabilité soient implacablement éliminés de leurs responsabilités.

« L’ennemi de classe » est aux aguets, il dispose de moyens formidables et il y a des camarades qui, sans tenir compte de cette réalité, se comportent d’une façon scandaleuse.

Là ce sont des militants ayant été un peu connus avant-guerre qui au lieu de conserver l’incognito le plus strict auprès des personnes avec lesquelles ils sont en contact, se font connaître agissant ainsi comme des petits-bourgeois prétentieux et irresponsables.

Là ce sont des militants qui stupidement établissent des listes de militants susceptibles de tomber entre les mains de la police, alors que l’établissement de listes de ce genre est rigoureusement interdit par le Parti et doit être considéré comme une provocation.

Ailleurs ce sont d’anciens exclus du Parti qu’on utilise pour de toutes petites tâches et puis on trouve que ces éléments sont « dévoués », on élargit le champ des prétendus services rendus par ces individus à qui on permet de se mettre au courant de beaucoup de choses jusqu’au jour où ces messieurs livrent tout à la police. Une telle naïveté n’est-elle pas criminelle ?

Ailleurs encore, ce sont des responsables qui avec une légèreté indigne de communistes confient des tâches importantes à des membres du Parti qui ont mal travaillé et nui à la sécurité du Parti.

Ce sont des domiciles illégaux de camarades que connaissent un tas de personnes.

Ce sont des liaisons nombreuses effectuées par la même personne sans aucune coupure, ce qui met en danger tout le système de liaison.

Ce sont des renégats qui peuvent livrer à la police, s’ils sont arrêtés, toute une série de noms qu’ils n’auraient pas dû connaître.

Ce sont des responsables qui avec une légèreté incroyable organisent des réunions d’une dizaine de militants.

Ce sont des filatures, des surveillances policières qu’on néglige, faisant preuve ainsi d’une quiétude criminelle, au lieu de combattre l’ennemi avec vigilance, au lieu de tout changer dès qu’on s’est aperçu de la surveillance policière qui ne peut pas ne pas être rapidement observée si chaque militant a sans cesse l’esprit en éveil.

On a pu voir des responsables qui avec une cécité politique incroyable ont laissé la police préparer un grand coup pendant des semaines sans s’apercevoir de quoi que ce soit.

Ce sont aussi dans de trop nombreux cas des militants qui, oubliant que la police traque notre Parti, vont chez les uns, chez les autres comme si nous étions en période légale et qui un beau jour sont tous pris bêtement sans avoir rendu le moindre service à la classe ouvrière.

Ce sont des bavards qui par vanité petite-bourgeoise disent ou laissent entendre qu’ils font un travail important sans penser que cela peut aider l’ennemi.

Et puis, c’est aussi le libéralisme pourri à l’égard des lâches, des traîtres, la tendance à plaindre ou à excuser ceux qui, tombés entre les mains de la police, ont livré leurs camarades alors qu’ils doivent être dénoncés comme traîtres dans leur localité. Cela fera réfléchir ceux qui seraient tentés de les imiter.

De tout cela se dégagent pour notre Parti des règles sévères :

1. Tout membre du Parti qui, soit par négligence, soit par ses bavardages, soit en livrant ce qu’il sait à la police s’il est arrêté aura permis à l’ennemi de classe de découvrir ne serait-ce qu’une petite partie de l’organisation fera l’objet d’une enquête minutieuse et ses agissements nuisibles au Parti seront dénoncés publiquement devant les masses laborieuses.

2. Tout membre du Parti qui essaiera d’apprendre quoi que ce soit de l’organisation du Parti en dehors de ce qu’il sait de son propre travail et de sa propre organisation doit être considéré comme suspect et son cas doit être soumis à l’organisme supérieur en vue des mesures et sanctions à prendre.

3. Toute tentative pour un groupe de base de trois membres d’entrer en contact avec un groupe similaire sera considérée comme suspecte et des sanctions en conséquence seront prises. Les liaisons entre organisations d’un même échelon sont absolument interdites.

(Les groupes de base de trois ne doivent pas se connaître entre eux, les cellules ne doivent pas se connaître entre elles ; il ne doit pas y avoir de liaisons horizontales).

4. Aucune réunion de plus de trois camarades ne doit être tenue.
Les groupes de trois constituent la base d’organisation de la cellule du Parti et toute tentative de faire constituer des groupes de plus de trois membres doit être considéré comme une violation de la discipline du Parti.

Sur la base de ces règles d’action correspondant aux exigences de notre travail illégal une lutte implacable doit être menée contre le laisser-aller, le laisser-faire, contre l’esprit de « copinerie », contre le libéralisme pourri à l’égard de ceux qui transgressent les directives du Parti.

Et c’est dans la mesure où ils seront capables d’appliquer, dans les conditions actuelles, la politique du Parti avec esprit de responsabilité, avec fermeté, avec dévouement et esprit de sacrifice, faisant en toutes circonstances passer le Parti avant tout, que les camarades doivent être appelés aux fonctions responsables.

Il faut cloisonner hermétiquement l’organisation du Parti

Chacun sait que la sécurité d’un navire de guerre est assurée par la multiplication de compartiments isolés hermétiquement les uns des autres, mais tous reliés à la direction unique du navire.

Qu’un projectile ennemi traverse la cuirasse du bateau, l’eau s’engouffre dans le compartiment touché mais s’arrête aux cloisons étanches.

Plus le compartiment est petit, moins il contient de marins ou d’armements, plus les dégâts sont réduits et plus le navire de guerre conserve de moyens d’action pour continuer le combat jusqu’à son issue victorieuse.

L’adversaire a porté un coup, soit, mais il n’a pu atteindre son objectif qui est la mise totale hors de combat du vaisseau.

Ce principe de compartimentage doit être appliqué au Parti dans tous les cas. Le groupe de trois doit être le compartiment de base du Parti. Les groupes de trois doivent être isolés hermétiquement les uns des autres.

Les camarades d’un groupe de trois ne doivent connaître exclusivement que leur propre travail. Les groupes comprenant plus de trois adhérents doivent être immédiatement décentralisés.

L’objection souvent formulée pour différer cette décentralisation si nécessaire est le « manque de cadres ».

Cette objection ne tient pas, au contraire la décentralisation en multipliant les groupes de trois permettra de faire accéder à des responsabilités des dizaines, des centaines de militants qui à la tête d’un groupe de trois feront leurs premières armes de dirigeants politiques.

Comment doit être organisée une section du Parti

Afin de mieux faire comprendre à tous nos membres comment doit être organisé le Parti, nous allons prendre l’exemple d’une section, la section de …

A la tête de la section, il y a trois camarades ayant été désignés par l’échelon supérieur.
La localité est divisée en quatre quartiers.

A la tête de chaque quartier, il y a une direction de trois camarades désignés et contrôlés par la direction de la section (après vérification).

Dans chacun des trois premiers quartiers, il y a trois cellules locales et dans le quatrième il n’y en a que deux pour le moment.

Il y a, en outre, deux organisations du Parti dans deux importantes usines de la localité.
Voyons comment fonctionne cette section.

A la direction de la section, la répartition du travail est ainsi établie :

1. Le responsable politique chargé de l’application de la ligne du Parti par les organisations et la presse du Parti. En outre, il s’occupe des questions de la Jeunesse, des Femmes et de la lutte contre la répression capitaliste.

2. Le responsable de l’organisation chargé de l’organisation du Parti sur la base de l’entreprise, et sur la base locale. Il a la charge de l’organisation matérielle de la propagande (impression et diffusion), et s’occupe aussi des divers mouvements de masse : paysans, classes moyennes, vieux travailleurs, comités populaires locaux.

3. Le responsable du travail syndical chargé du travail des communistes dans les syndicats, des comités populaires d’entreprises et des chômeurs.

Dans cette direction, comme dans toutes les directions du Parti à tous les échelons les décisions doivent être prises collectivement, les tâches pour chacun des membres de la direction doivent être fixées et les responsabilités doivent être personnelles.

La direction de l’organisation du quartier est constituée d’après les mêmes principes de répartition du travail.

A la tête de chaque cellule, il y a également une direction de trois camarades et trois groupes de base de trois, soit en tout douze camarades.

Du fait de cette organisation compartimentée, la direction de la section connaît et est en liaison avec quatre directions de quartiers et deux directions d’organisations d’entreprises.

La direction d’un quartier ignorant tout de l’organisation dans les autres quartiers est en liaison, d’une part, avec la direction de la section, et d’autre part avec les trois cellules du quartier.

La direction d’une cellule est en liaison avec la direction du quartier et avec les trois groupes de trois qui la composent.

Quant au groupe de base de trois, il a à sa tête un responsable qui, seul, est en liaison avec la direction de la cellule, ce qui fait que dans le groupe de trois, deux camarades ne connaissent personne en dehors de leur groupe et le responsable connaît un dirigeant de la cellule car les trois dirigeants de la cellule établissent chacun la liaison avec un groupe de base et toujours le même.

Sur la base des organisations existantes, le territoire de la localité est partagé ; la direction du quartier a assigné à chaque cellule le groupe de rues qui constituent son ressort territorial et chaque groupe de trois a aussi un secteur déterminé à travailler, soit un bloc de maisons soit une ou plusieurs rues.

(Ajoutons qu’avec raison la direction de la section que nous citons en exemple a délimité les quartiers à sa manière, sans tenir compte des divisions officielles).

Ainsi un groupe de trois sachant où il doit travailler peut jouer un rôle considérable dans l’évolution des sentiments de la masse qui l’entoure. Ces trois hommes que personne ne connaît comme communistes, s’ils savent être à la fois prudents et attentifs à ce qui se passe autour d’eux, ont d’immenses possibilités d’action à leur disposition.

C’est ainsi qu’un groupe de trois ayant appris que dans son secteur territorial la femme d’un prisonnier de guerre, chargée de famille, était laissée à l’abandon et vivait dans la misère, fit à la polycopie des papillons et des tracts qui, glissés sous les portes, laissés dans des endroits où les ménagères, en descendant au marché, sont amenées à les prendre, escaliers, rebords de fenêtres, etc., est parvenu, ces temps derniers, à provoquer une émotion telle, des commentaires d’une véhémence telle que la mairie dut accorder un secours immédiat à cette malheureuse femme.

Parce qu’il avait traduit la pensée intime des masses dans une situation déterminée, le groupe de base de notre Parti était parvenu à faire exprimer notre politique de défense des malheureux par des travailleurs qui, à la faveur de ces circonstances, ont acquis une plus grande confiance dans notre Parti qu’ils ont senti présent, qu’ils sentent présent autour d’eux quoique les membres du Parti ne soient pas identifiés.

Ceci nous amène à souligner combien il est indispensable que chaque groupe de base du Parti, c’est-à-dire chaque groupe de trois, puisse polycopier des textes et faire pénétrer notre propagande partout, non seulement en diffusant le matériel de propagande central, régional ou local, mais en intervenant directement dans son petit coin sur le plan des questions qui préoccupent la population (ravitaillement, injustices, passe-droits, etc.) au moyen de tracts, inscriptions, etc., etc.).

Avec des dizaines de milliers de groupes de trois agissant à travers tout le pays, rien ne pourra empêcher l’établissement de contacts étroits entre notre Parti et le peuple de France. D’ailleurs, plus il y a de groupes de trois et plus petite est pour chacun d’eux la portion de territoire à travailler.

Au surplus, dans un groupe de trois, les camarades se connaissent, le travail de chacun d’eux est facilement et immédiatement contrôlable.

Si par exemple le groupe de trois a décidé de faire des inscriptions tel jour on sait tout de suite si chaque camarade a rempli sa tâche et pour si peu que l’esprit de vigilance règne dans le groupe, il est impossible à un provocateur de faire sa besogne criminelle sans se faire rapidement repérer, après quoi des mesures appropriées peuvent très rapidement chasser cet ennemi et le mettre hors d’état de nuire.

C’est donc dans une ambiance de confiance mutuelle que peuvent travailler les groupes de trois et ce résultat serait plus difficilement obtenu dans un groupe large où le contrôle de l’activité de chacun des membres serait beaucoup moins commode à effectuer (…).

On remarquera que cette organisation du Parti, fortement décentralisée, en même temps que soumise à une direction unique transmet tant les directives du Comité central, exige un grand nombre de cadres et c’est pourquoi dans les circonstances actuelles le travail de formation de cadres doit être au premier plan des préoccupations du Parti.

Nous pouvons et nous devons former des milliers de cadres capables de diriger le mouvement ouvrier aux divers échelons.

Le choix et le contrôle des cadres

Nous avons indiqué plus haut que les cadres doivent être désignés par les échelons supérieurs, après une vérification minutieuse et certains camarades se demandent ce que devient dans tout cela le principe de l’électivité inscrit dans les statuts de notre Parti.

Il est à peine besoin d’indiquer qu’un Parti vivant et travaillant dans l’illégalité ne peut agir comme il le faisait dans la période légale. »

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Le Parti Communiste Français
de la lutte armée à l’acceptation