Le poème Promenade sentimentale, tiré des Poèmes saturniens, est très proche de Soleils couchants, mais sans la dimension compactée : c’est une tentative de se rapprocher de la densité du poème classique, ce qui indique la mauvaise direction de Paul Verlaine, qui justement correspond à cette dimension « compactée », bien choisie, des termes propres à une société plus éduquée.
Le poème, qui fait partie à la première œuvre de Paul Verlaine, les Poèmes saturniens, a une approche d’ailleurs relevant du Parnasse.
C’est pourtant un échec complet sur ce plan, car la dimension mélodique, avec en quelque sorte des refrains intériorisés au poème, est bien trop prégnante. La musicalité l’emporte, brisant l’approche parnassienne.
De plus on a des références systématisées à la nature et une dynamique dialectique par l’opposition du pointu au trouble, correspondant de manière particulièrement vigoureuse à toute la « nervosité » qu’il s’agit d’exprimer désormais.
PROMENADE SENTIMENTALE
Le couchant dardait ses rayons suprêmes
Et le vent berçait les nénuphars blêmes ;
Les grands nénuphars entre les roseaux,
Tristement luisaient sur les calmes eaux.
Moi j’errais tout seul, promenant ma plaie
Au long de l’étang, parmi la saulaie
Où la brume vague évoquait un grand
Fantôme laiteux se désespérant
Et pleurant avec la voix des sarcelles
Qui se rappelaient en battant des ailes
Parmi la saulaie où j’errais tout seul
Promenant ma plaie ; et l’épais linceul
Des ténèbres vint noyer les suprêmes
Rayons du couchant dans ses ondes blêmes
Et des nénuphars, parmi les roseaux,
Des grands nénuphars sur les calmes eaux.
Voici le repérage des éléments de la nature et du mouvement. Toute la force du poème réside en effet au cadrage par la nature, sans quoi tout s’étiolerait, ce qui est le cas dans les autres œuvres de Paul Verlaine.
PROMENADE SENTIMENTALE
Le couchant
dardaitses rayons suprêmes
Et le ventberçaitles nénuphars blêmes ;
Les grands nénuphars entre les roseaux,
Tristementluisaientsur les calmes eaux.
Moi j’erraistout seul,promenantma plaie
Au long de l’étang, parmi la saulaie
Où la brume vague évoquait un grand
Fantôme laiteux se désespérant
Et pleurant avec la voix des sarcelles
Qui se rappelaienten battantdes ailes
Parmi la saulaie où j’erraistout seulPromenantma plaie ; et l’épais linceul
Des ténèbresvintnoyer les suprêmes
Rayons du couchant dans ses ondes blêmes
Et des nénuphars, parmi les roseaux,
Des grands nénuphars sur les calmes eaux.
Voici le repérage du pointu et du trouble, c’est-à-dire des éléments pointus, agressifs pour ainsi dire, et inversement des éléments aux contours indéfinis, non seulement troubles ou vagues, mais surtout correspondant à quelque chose de troublé.
PROMENADE SENTIMENTALE
Le couchant
dardaitsesrayonssuprêmes
Et le vent berçait les nénuphars blêmes ;
Les grands nénuphars entre les roseaux,
Tristement luisaient sur les calmes eaux.
Moi j’errais tout seul, promenant maplaie
Au long de l’étang, parmi la saulaie
Où la brume vague évoquait un grand
Fantôme laiteux se désespérant
Etpleurant avec la voix des sarcelles
Qui se rappelaient en battant des ailes
Parmi la saulaie où j’errais tout seul
Promenant maplaie; et l’épais linceul
Des ténèbres vint noyer les suprêmesRayonsdu couchant dans ses ondes blêmes
Et des nénuphars, parmi les roseaux,
Des grands nénuphars sur les calmes eaux.
Voici le repérage des éléments revenant à plusieurs reprises, formant la mélodie. On remarquera que « parmi la saulaie » encadre une sorte de partie intermédiaire où il n’y a justement pas de répétition. Le découpage est fait pour faciliter la vue de cette structuration.
PROMENADE SENTIMENTALE
Le couchant dardait ses rayons suprêmes
Et le vent berçait les nénuphars blêmes ;
Les grands nénuphars entre les roseaux,
Tristement luisaient sur les calmes eaux.
Moi j’errais tout seul, promenant ma plaie
Au long de l’étang, parmi la saulaieOù la brume vague évoquait un grand
Fantôme laiteux se désespérant
Et pleurant avec la voix des sarcelles
Qui se rappelaient en battant des ailesParmi la saulaie où j’errais tout seul
Promenant ma plaie ; et l’épais linceul
Des ténèbres vint noyer les suprêmes
Rayons du couchant dans ses ondes blêmes
Et des nénuphars, parmi les roseaux,
Des grands nénuphars sur les calmes eaux.
Voici le repérage de la lumière, du transparent, par opposition à l’opaque, aux ténèbres. Il faut noter que les ténèbres ont un sens plus fort que celui d’obscurité, de par son côté indéfini, oppressant. Il y a une dimension nerveuse qui s’ajoute au concept d’obscurité.
PROMENADE SENTIMENTALE
Le couchant dardait ses
rayonssuprêmes
Et le vent berçait les nénuphars blêmes ;
Les grands nénuphars entre les roseaux,
Tristementluisaientsur les calmeseaux.
Moi j’errais tout seul, promenant ma plaie
Au long del’étang, parmi la saulaie
Où la brume vague évoquait un grandFantômelaiteux se désespérant
Et pleurant avec la voix des sarcelles
Qui se rappelaient en battant des ailes
Parmi la saulaie où j’errais tout seul
Promenant ma plaie ; et l’épaislinceul
Des ténèbres vint noyer les suprêmesRayonsdu couchant dans ses ondes blêmes
Et des nénuphars, parmi les roseaux,
Des grands nénuphars sur les calmeseaux.
Il faut saisir également ici que les rayons sont pointus et que la plaie a été causée par un objet pointu. Il y a toutefois le fait que le soleil est couchant et que par conséquent les rayons ont moins de vigueur. On est dans une souffrance – mais indéfinie.
Telle est la manière dont Paul Verlaine cherche à saisir, définir la nervosité.
Voici maintenant le repérage des dimensions, de la spatialisation, de l’occupation de l’espace, un aspect absolument fondamental du poème.
Il faut rappeler ici également que les nénuphars poussent depuis la base des cours d’eaux, qu’elles occupent elles-mêmes un espace. A cela s’ajoute que les nénuphars blancs s’ouvrent et se ferment selon le jour ou la nuit, ce qui correspond à l’opposition jour/nuit mentionnée.
PROMENADE SENTIMENTALE
Le couchant dardait ses rayons suprêmes
Et le vent berçait les nénuphars blêmes ;
Les grands nénuphars entre les roseaux,
Tristement luisaient sur les calmes eaux.
Moi j’errais tout seul, promenant ma plaie
Au long de l’étang, parmi la saulaie
Où la brume vague évoquait un grand
Fantôme laiteux se désespérant
Et pleurant avec la voix des sarcelles
Qui se rappelaient en battant des ailes
Parmi la saulaie où j’errais tout seul
Promenant ma plaie ; et l’épais linceul
Des ténèbres vint noyer les suprêmes
Rayons du couchant dans ses ondes blêmes
Et des nénuphars, parmi les roseaux,
Des grands nénuphars sur les calmes eaux.
On a ici vraiment la démarche de Paul Verlaine, quand elle réussit (ce qui est plus que très rarement le cas) : on a la nature et les sentiments d’un côté, la concision. Il faut également en voir la musicalité, au-delà simplement de la mélodie.
Voici le repérage des sons « é » et « o », qui respectivement est empreint de légèreté, le second étant marqué.
PROMENADE SENTIMENTALE
Le couchant dard
ait ses rayons suprêmes
Et le vent berçait les nénuphars blêmes ;
Les grands nénuphars entre les roseaux,
Tristement luisaient sur les calmes eaux.
Moi j’errais tout seul, promenant ma plaie
Au long de l’étang, parmi la saulaie
Où la brume vagueévoquait un grand
Fantôme laiteux se désespérant
Et pleurant avec la voix des sarcelles
Qui se rappelaient en battant desailes
Parmi la saulaie où j’errais tout seul
Promenant ma plaie ; et l’épais linceul
Des ténèbres vint noyerles suprêmes
Rayons du couchant dans ses ondes blêmes
Et des nénuphars, parmi les roseaux,
Des grands nénuphars sur les calmes eaux.
Voici le repérage de la lettre « l » ainsi que des sons « ou » et « an », avec pareillement une opposition entre l’atténuation et un son continu et marquant.
PROMENADE SENTIMENTALE
Le c
ouchant dardait ses rayons suprêmes
Et le vent berçait les nénuphars blêmes ;
Les grands nénuphars entre les roseaux,
Tristement luisaient sur les calmes eaux.
Moi j’errais tout seul, promenant ma plaie
Au long de l’étang, parmi la saulaie
Où la brume vague évoquait un grand
Fantôme laiteux se désespérant
Et pleurant avec la voix des sarcelles
Qui se rappelaient en battant des ailes
Parmi la saulaie où j’errais tout seul
Promenant ma plaie ; et l’épais linceul
Des ténèbres vint noyer les suprêmes
Rayons du couchant dans ses ondes blêmes
Et des nénuphars, parmi les roseaux,
Des grands nénuphars sur les calmes eaux.
La dimension compactée n’est pas là, toutefois le poème ne consiste pas en alexandrins, mais en décasyllabes. On a déjà le style d’expression concise, déterminée, qui passe de l’alexandrin au pentasyllabe, ici masqué par les décasyllabes formant même souvent une double pentasyllabe.
On ici une véritable virtuosité quant à la présentation de la nervosité. Mais le poème s’étale et il manque d’accessibilité.
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