Le développement de la photographie était tout récent en Russie soviétique, naturellement. Le pays sortait d’une profonde arriération, alors que la photographie était encore jeune qui plus est.
En 1918, le commissariat du peuple à l’instruction avait formé un Fotokinokomitet, un comité chargé de la photographie et du cinéma, à Petrograd et Moscou, chargé de l’industrie de ces deux activités, de l’archivage ainsi que de la couverture des grands événements, notamment de la guerre civile. En octobre de la même année par ailleurs, il fut exigé la remise systématique des négatifs ayant comme sujet les révolutions de février et octobre 1917.
Un département panrusse de la photographie et du cinéma fut structuré ensuite, ainsi qu’un équivalent ukrainien, avec une soixantaine de vitrines d’exposition placées dans Moscou, le tout donnant naissance en décembre 1922 au Goskino, qui cependant ne se focalisa plus que sur le cinéma à partir de 1924.
Les photographes agirent alors autour des journaux et des revues, avec comme nœud central l’Agence centrale d’Information, la TASS, créée en 1925, qui finit par ailleurs par unir tous les regroupements de photographes.
Entre-temps, les photographes soviétiques avaient déjà acquis une renommée mondiale, eux-même participant à de nombreuses expositions internationales (Londres de 1922 à 1925, New York en 1923, Los Angeles en 1925, Paris en 1924 et en 1925, Turin en 1925, etc.).
L’URSS se mit à produire elle-même des pellicules à partir de 1933, tout comme parallèlement était mis en place une capacité de produire du papier pour photographies, alors que des appareils de photographie furent produits localement à partir de 1930. Le grand succès fut la naissance de l’appareil FED (acronyme de Felix Edmundovitch Dzerjinski, le fondateur de la Tchéka), un équivalent du Leica, à l’initiative d’adolescents dans des camps d’éducations pour orphelins.
Tout cela n’alla évidemment pas sans mal ; ces industries devraient être formées par en haut, par l’État soviétique lui-même, même s’il existait une certaine expérience, un patrimoine intellectuel, des photographes professionnels. Il fallait de lourds moyens, comme par exemple pour donner naissance à l’usine optico-mécanique GOMZ, à Leningrad. Il fallait également former les correspondants à la photographie, élever le niveau technique, aider matériellement les clubs amateurs.
Ce qui témoigne de l’engagement communiste d’Alexandre Rodtchenko, c’est son soutien à la massification. En 1936, il appelle à placer « le langage photographique au service du réalisme socialiste », ce qui demande un appui matériel :
« Nous sommes très peu nombreux, on aimerait être davantage. Il faut des écoles, des établissements d’enseignement supérieur. Nous voudrions faire des photos étonnantes, il faut du papier, des produits chimiques, des organisations.
Nous aimerions présenter nos réalisations dans des expositions, nous réunir dans des clubs. Il faut un musée de la photographie soviétique. »
Pareillement, Alexandre Rodtchenko avait initialement une conception futuriste, au sens où il considère qu’à une époque où la connaissance scientifique et technique passe par les journaux, les magazines, les catalogues, les prospectus, les guides, les annuaires, il ne peut plus y avoir de représentation composée, mais simplement un cliché instantané, une prise sur le vif.
En 1932, il voit les choses bien différemment, admettant ce qu’il rejetait auparavant, à savoir un lien entre peinture et photographie, même s’il maintient la recherche d’une mise à distance de l’une par rapport à l’autre :
« Dans la photographie, la composition joue un rôle immense et peut-être essentiel. Comme elle est un art jeune et qu’elle se rapproche de la peinture, elle a naturellement beaucoup emprunté à la peinture dans le domaine de la composition : aussi bien le bon que le mauvais (le plus souvent)…
On pense habituellement que la composition, c’est la disposition de figures et d’objets à la surface du tableau. Ce n’est pas exact.
La composition, c’est tout cela, plus la construction isolée de chaque figure ; c’est aussi la lumière, le ton, la construction générale de la lumière et la tonalité globale ; et il peut se faire que toute la composition soit bâtie sur la seule lumière ou sur le ton uniquement…
La plupart du temps, nous prenons des photos horizontales ; cela s’explique par le fait que dans la peinture aussi on trouve davantage de tableaux horizontaux ; la vieille culture se fait sentir.
Et puis il y a aussi que nous avons deux yeux horizontaux et que la nature elle-même a surtout des horizontales.
La verticale, c’est la ville, la technique.
Voilà pourquoi nous manquons de photos de couverture. »
Alexandre Rodtchenko s’extirpe du futurisme, tout en étant influencé par son goût pour la modernité, pour la forme. Cela va produire une oeuvre puissante dans la mesure où il se tourne vers le réalisme socialiste, et en même temps de grandes faiblesses là où il ne dépassera pas l’ancien.
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