De la même manière que le nom de Staline disparut des principaux organes de presse soviétiques juste avant le congrès, pour l’ouverture du congrès les orateurs soviétiques du congrès ne mentionnèrent pratiquement jamais celui qui avait dirigé le Parti pendant plusieurs décennies.
Il n’y eut que trois exceptions, si l’on met de côté les discours des délégués français et chinois.
Nikita Khrouchtchev demanda aux délégués de se lever en mémoire des dirigeants communistes morts depuis le dernier congrès, mentionnant Staline parmi d’autres.
Nikita Khrouchtchev dit ensuite plus tard simplement que la mort de Staline n’avait pas provoqué dans les rangs communistes la confusion espérée par les ennemis du socialisme. La formule est sobre :
« Peu après le XIXe congrès, la mort a enlevé de nos rangs Joseph Vissarianovitch Staline. Les ennemis du socialisme espérant que cela provoquerait de la confusion dans les rangs du Parti, de la discorde dans la direction, de l’hésitation dans l’application de sa politique intérieure et extérieure. »
Anastas Mikoyan, quant à lui critiqua l’ouvrage de Staline Les problèmes économiques du socialisme, le 16 janvier. C’était là la première remise en cause ouverte. Il demanda une « révision critique » de principes de l’ouvrage, considéré comme dogmatique. Il dit notamment à ce sujet :
« Quand on analyse la situation économique du capitalisme contemporain, il devient douteux que les théories exposées par Staline dans Les Problèmes économiques du socialisme en U. R. S. S. concernant les États-Unis, l’Angleterre et la France, et selon lesquelles, après la scission du marché mondial, le volume de la production de ces pays diminuera, puissent nous aider ou qu’elles soient correctes. »
Anastas Mikoyan reprend ici les thèses d’Eugen Varga et effectivement la théorie de celui-ci des pays capitalistes comme étant devenus « organisés », comme « capitalistes monopolistes d’État », deviendra bientôt officiel en URSS.
Il remit également en cause, de manière brutale, le Précis d’histoire du PCUS(b). Anastas Mikoyan parla également d’historiens qui avaient compris qu’il y avait une explication non marxiste de certains « événements » de la guerre civile, de « dirigeants du Parti qualifiés de manière erronée d’ennemis du peuple plusieurs années après les événements ».
Il mentionna à ce sujet, « fraternellement », Vladimir Antonov-Ovseïenko et Stanislav Kosior, purgés tous deux en 1938 ; il conclut son discours par une longue référence à Lénine et au souci de celui-ci de l’unité du Parti.
L’historienne Anna Pankratova, rédactrice en chef de Questions d’histoire prit également la parole et critiqua la lecture de l’histoire faite jusqu’à présent, notamment concernant les années 1930, reprenant le même argument que Mikoyan.
Pour le reste, il n’y eut pas de références à Staline, que ce soit pour un éloge ou une critique, à part par Chu Teh et Maurice Thorez, délégués internationaux au congrès respectivement chinois et français.
Maurice Thorez parla ainsi du PCUS comme « modèle de la ferme adhésion aux principes et d’une fidélité sans faille aux grandes idées de Marx, Engels, Lénine et Staline ». Ce passage fut applaudi par le congrès. Chu Teh souligna le fait que le PCUS avait été nourri du travail de Staline.
Le XXe congrès était en fait déjà étranger à la question idéologique de Staline. Ce qui était mis en avant, c’était la direction collective, les « normes léninistes de la vie du Parti », la démocratie dans les rangs du Parti, la « légalité socialiste », avec une critique du « culte de la personnalité » impersonnelle.
C’était là dans la droite ligne du XIXe congrès, avec la dénonciation du « culte de la personnalité » ajoutée et développée par la clique de Nikita Khrouchtchev.
Il est à noter que Lazare Kaganovitch, historiquement un proche de Staline avec Molotov, chercha à arrêter le processus en cours, en affirmant que les questions avaient été réglées :
« Après le XIXe congrès du Parti, le Comité Central a hardiment (par hardiment j’ai en vue quelque chose en rapport avec les principes, la théorie) soulevé la question de la lutte contre le culte de la personnalité.
Ce n’est pas une question facile. Mais le Comité Central lui a donné une réponse correcte, marxiste-léniniste, conforme à l’esprit de parti. »
Lazare Kaganovitch parla également de la « bande fasciste-provocatrice » de Lavrenti Beria, ayant ainsi clairement en tête d’en faire le bouc-émissaire pour sauver ce qui pouvait l’être. C’était en total décalage avec les tendances dominantes dans le PCUS.
Il faut noter également une allusion, celle de l’écrivain Mikhaïl Cholokhov. Lors de sa prise de parole, il dressa un parallèle entre l’Union des écrivains et le Parti :
« Qu’avons-nous fait après la mort de Gorki ? Nous avons mis en place une direction collective dans l’Union des écrivains, avec Fadeev à sa tête (…). Fadeev s’est montré un secrétaire général aimant le pouvoir et ne voulant pas tenir compte du principe de collégialité dans son travail ».
En fait, les propos sont un parallèle strict avec les thèses de Nikita Khrouchtchev. Voici ce que Mikhaïl Cholokhov disait déjà en 1954, au second congrès des écrivains soviétiques :
« Beaucoup de défauts et d’erreurs dans le travail de l’Union des écrivains peuvent s’expliquer par le fait que ces vingt dernières années, le principe de direction collective a été loin d’être observé en son sein (…).
Les écrivains veulent être assurés d’une direction collective réelle dans l’Union [des écrivains], ils veulent un Présidium relativement large possédant les pleins droits de décision concernant l’Union entre les sessions de la direction, et ils veulent aussi que le secrétariat de l’Union soit un organe subordonné à la direction et au Présidium. »
Ainsi, à l’arrière-plan, dans l’élan du XIXe congrès et de sa « direction collective », avec la décapitation de l’appareil de sécurité d’État, on avait déjà la base pour une remise en cause idéologique générale.