Le brahmanisme était confronté à une menace énorme, celle du développement massif du bouddhisme et du jaïnisme, c’est-à-dire le développement de la monarchie absolue et de la classe des marchands.
Le bouddhisme était une idéologie qui rejetait les castes et ouvrait la voie à la modernisation, à une sécularisation de la vie sociale. Et là aussi, le végétarisme s’affirmait dans le bouddhisme et le jaïnisme, ce qui traçait une ligne de démarcation entre l’hindouisme et les autres nouvelles religions.
Le végétarisme était le produit de la tradition animiste des peuplades oppressées par les envahisseurs aryens, mais c’était aussi une façon d’affirmer une orientation capitaliste face aux aborigènes qui vivaient de chasse et de cueillette (aatavika) et en tribus dans les forêts (aranyacara).
Ashoka (304-232 avant notre ère), le premier monarque absolu à avoir unifié pratiquement toute l’Inde antique, a non seulement utilisé le bouddhisme comme son arme, mais a aussi entrepris de faire triompher un code de moralité, ou « dhamma », qui soit accepté par toutes les religions et qui puisse devenir la nouvelle culture des sujets de l’empire.
Le dharma-vijaya – la conquête par la piété – était l’idéologie du nouvel État, et on retrouve ces principes gravés sur des piliers et des blocs de pierre un peu partout dans le pays. Les symboles les plus connus sont les quatre lions indiens qui se dressent dos à dos, mais aussi « l’Ashoka Chakra ».
Ashoka a ainsi appelé à un saut civilisationnel, en rejetant les valeurs barbares de l’époque de la domination des Aryens. Ici aussi bien sûr, le végétarisme était un élément central. C’était l’appel à une voie paisible qui ferait des humains des sujets conscients en tant qu’individus plutôt que les prisonniers d’un système barbare.
Ainsi, on trouve un appel à ne pas détruire la vie (en sanskrit prãņãtipãtaḥ, en prakrit pãņãtipãto), à ne rien prendre si ce n’est pas un don (en sanskrit adattãdãnam, en prakrit adinnãdãnaṃ), à ne pas avoir de rapports sexuels non autorisés (en sanskrit kãmamithyãcãraḥ, en prakrit kãmesu micchãcãro), à ne pas mentir (en sanskrit mṛṣãvãdaḥ, en prakrit musãvãdo) et à ne pas succomber aux boissons enivrantes (en sanskrit surãmaireyapramãdasthãnam, en prakrit surãmerayapamãdaṭṭhãnaṃ).
En conséquence, le brahmanisme a dû entreprendre une transformation interne et proposer une nouvelle perspective dans laquelle la réincarnation allait jouer un rôle central dans sa reconquête de l’hégémonie sur les masses.
La première étape fut militaire, avec la destruction de la dynastie Maurya à laquelle appartenait Ashoka. L’empereur Brihadratha fut tué par son général Pusyamitra Sunga (185-149 avant notre ère) qui forma un empire dans le nord-est de l’Inde antique, cette dernière perdant ainsi son unité.
Un processus général de lutte contre le bouddhisme commença. Les dirigeants locaux utilisaient le brahmanisme comme un outil de domination et combattaient la négation des castes, tout en rejetant le centralisme.
De ces combats incessants entre monarques a émergé un nouvel empire, celui de la dynastie Gupta, mais sa structure n’était pas très centralisée.
Sous le règne de Chandra Gupta Ier, Samudra Gupta le Grand et Chandra Gupta II le Grand, l’Inde antique a vu les forces hindouistes développer leur usage de l’écriture et produire un haut niveau de culture au service du renouveau du brahmanisme.
La soi-disant nouvelle religion a intégré les dieux dans toute leur disparité afin d’unifier les classes des dirigeants féodaux de façon générale, ce qui leur a permis de tenir tête à la position unificatrice du bouddhisme. Cela a été la naissance de ce que l’on appelle « hindouisme », un terme utilisé pour marquer la différence avec le brahmanisme.
Mais cela ne suffisait pas : il fallait franchir une étape. Cette étape consistait en l’approfondissement métaphysique du concept religieux de réincarnation, ce qui allait permettre de lutter contre le bouddhisme sur les plans intellectuel et idéologique.
Il était bien sûr nécessaire de relier cet approfondissement à l’intégration de la multitude de divinités de toutes provenances, d’où les divergences de perception, d’interprétation etc. etc.
On a appelé cette période « l’Âge d’Or », mais c’était une époque dorée uniquement pour les classes dirigeantes, c’est-à-dire l’empereur, les dirigeants féodaux et les prêtres, qui ont recouvré leur position idéologique centrale.
Le système des castes a commencé à prendre le contrôle des relations sociales, évinçant le bouddhisme qui perdait ses positions une à une avec la fin du gouvernement centralisé, de l’empire unifié et la perte de grands centres urbains.
La classe des dirigeants féodaux, ainsi que les prêtres, mettaient en avant les dieux locaux, qui ont été peu à peu intégrés au brahmanisme afin de gagner les masses. Même entre dirigeants, le choix des divinités indiquait des divergences de position : la dynastie Gupta soutenait traditionnellement le dieu Vishnu, alors que ses rivaux soutenaient le dieu Shiva.
Pour cette raison, l’hindouisme a élaboré le concept de « darshan », qui signifie « vision » en sanskrit, et a reconnu six darshanas « officielles » et donc qualifiées de « astika » (« qui existent »), par opposition aux « nastika » (« qui n’existent pas ») qui désignaient le bouddhisme, le jaïnisme, les courants matérialistes, etc. c’est-à-dire tous les points de vue qui rejetaient l’autorité des Védas.
En dépit des différences, tous les nouveaux courants hindouistes considéraient la moksha (« libération ») comme le but utime, c’est-à-dire la fin du processus de réincarnation du soi.
Mais contrairement au bouddhisme qui niait l’individu et considérait la libération comme une extinction du soi – le célèbre Nirvana –, l’hindouisme dans son ensemble expliquait que la fin signifiait la coalescence (l’union, le rapprochement, la fusion, etc.) avec Dieu, l’esprit suprême.
Le brahmanisme offrait la possibilité d’accéder au sommet de la hiérarchie sociale, l’hindouisme a lui étendu le processus à Dieu lui-même.
Les six darshanas étaient les suivantes :
– Le Mimansa (« investigation »), aussi appelé Pūrva Mimamsa (« exégèse ancienne »), est une « voie » créée en réaction directe au bouddhisme, par Jaimini au 3e siècle avant notre ère, et consiste en une nouvelle lecture des Védas, essentiellement par Bhartṛhari (5e siècle), afin d’élaborer une nouvelle « exégèse. »
La libération passe par la compréhension religieuse de la révélation : c’est une « voie » relativement traditionnelle, une tentative de relancer le brahmanisme à travers une « auto-critique » apparente.
– Le Samkhya (« empirique »), une école se fondant principalement sur le livre Samkhya Karika (vers 200 après JC), est un déisme directement concurrent du bouddhisme, qui considère qu’il y a d’un côté Dieu (Puruṣa, la conscience) et, de l’autre côté, un monde (prakrti, le domaine de la perception sensible).
Chaque âme est une parcelle de Puruṣa emprisonée dans la matière à cause du désir, l’objectif étant donc la libération de la matière.
– Le Yoga (terme qui provient soit de yujir yoga – le joug, soit de yuj samādhau – se concentrer) est très connu en France. Dans la pratique, c’est une « voie » religieuse vers la libération, avec des méthodes de méditation pour atteindre le « divin ».
L’œuvre maîtresse du Yoga se compose de 196 soutras indiens (des aphorismes) regroupés dans les Yoga Sūtras des Patañjali, qui ont vécu entre le 2e et le 4e siècle après JC).
– Le Nyaya (« récursion ») est une voie qui se fonde principalement sur des Soutras rédigés par Aksapada Gautama au cours du 2e siècle.
C’est une école basée sur la logique où la conscience est « élevée » vers la connaissance du « divin ».
– Le Vaisheshika est une voie qui a essayé de développer une interprétation atomiste du monde, et qui a fusionné avec l’école du Nyaya.
– Le Vedanta (« la fin des Védas »), également nommé Uttarā Mīmāṃsā (« exégèse approfondie ») est une voie qui a produit les œuvres majeures qui ont forgé l’identité de l’hindouisme.