Maurice d’Hartoy n’était pas un idéologue, mais un sentimental nationaliste pétri de romantisme. Mais l’idéalisme s’effondre nécessairement dans la vie quotidienne la plus misérable.
En pratique, François Coty avait une liaison avec une secrétaire, dont il eut pas moins de quatre enfants. Celle-ci eut également une liaison avec Maurice d’Hartoy, qu’elle rejoindra par ailleurs à la mort de François Coty, qui finira par revenir en fait avec sa femme. Entre-temps, François Coty propose un marché à Maurice d’Hartoy, l’éloignant avec sa femme pendant une année au moins, par contrat, secret, lui finançant des voyages à l’étranger sous prétexte d’articles.
Pendant la période suivante, c’est Maurice Genay qui prend les commandes. Il a de l’expérience, il était auparavant le dirigeant de la section anciens combattants des Jeunesses Patriotes, avant de devenir leur « commissaire général ».
C’est donc un expert en organisation de groupes de combat, principe au cœur de l’organisation des 600 membres des Jeunesses Patriotes. Les Croix de Feu se modernisent par conséquent sur ce plan et d’ailleurs leurs forces serviront de services d’ordre lors de déplacements de deux ministres de droite, Pierre Laval et André Tardieu.
On a ainsi une convergence, en 1928-1929, entre l’esprit anciens combattants et la volonté d’en découdre avec les « marxistes » et les « antinationaux ».
Les Croix de Feu avaient déjà, à ce moment-là, un peu plus de 8200 adhérents, tous anciens combattants médaillés prônant la régénération nationale par la discipline et la hiérarchie, sur une base morale de nature spirituelle, « anti-défaitiste » et anti-communiste.
Le bulletin interne du mouvement, Le Flambeau, associait revendications quant aux retraites des combattants et esprit de mobilisation générale, soutenant tout ce qui est lié au nationalisme.
De par sa perspective, c’était le lieu idéal pour un engagement de François de La Rocque. Il rejoignit les Croix de Feu au printemps 1929, en devenant le vice-président en juin 1930, puis président en septembre 1932, lorsque Maurice Genay revint dans l’Armée, tout en ayant pris les commandes dès 1931.
Maurice Genay considérait François de La Rocque comme « l’esprit actif de notre association » et, de fait, à la convergence anciens combattants/nationalisme. François de La Rocque va ajouter sa volonté de prendre les commandes de l’État.
Il a compris une chose essentielle, qui va distinguer entièrement sa démarche des ligues d’extrême-droite. Celles-ci poussent au coup de force, au soutien à une prise de commandement de la société par l’Armée. François de La Rocque, de par l’expérience de son père, sait qu’une telle option est impossible.
Il a compris que la République avait triomphé sur le féodalisme et que les options monarchistes liées à l’Armée et au catholicisme ne sont plus possible. Il résumera sa position de la manière suivante :
« Mépriser le suffrage universel, s’en remettre uniquement à un coup de force romantique pour s’emparer du pouvoir, c’est là une conception qui, dans un grand pays occidental, ne résiste pas à l’examen. Ni Mussolini ni Hitler, en dépit de l’outrance de leur doctrine, ne sont tombés dans cette erreur (…).
L’hitlérisme est devenu une force politique prépondérante seulement le jour où, en 1930, il a fait entrer cent sept des siens au Reichstag. »
François de la Rocque ne s’est d’ailleurs pas lancé de manière unilatérale dans les Croix de Feu : il a auparavant tenté de mobiliser les maréchaux, s’est rapprocher des milieux industriels du Nord, fondé un « Groupement de défense sociale et civique », etc.
C’est qu’il était, initialement, pessimiste sur la possibilité des anciens combattants à se former un cadre capable de se dépasser. Lors de la présentation de ce dernier « Groupement », il déclare ainsi :
« Les groupements d’anciens combattants ont échoué à empêcher la déchéance. Neutralisés, discrédités, réduits à des revendications alimentaires, ils ont été dissociés, sauf une minorité agissante à laquelle je suis fier d’appartenir. »
François de La Rocque n’est donc pas le théoricien des Croix de Feu. Il n’apprécie guère d’ailleurs leur symbole, le conservant seulement dans la mesure où c’était le symbole initial du mouvement. Mais il fera tout pour que les Croix de Feu s’auto-dépassent et à ce titre, l’interdiction de 1936 lui sera un cadeau incroyable.
François de La Rocque va donc rompre avec François Coty, qui de son côté lancera la « Solidarité française », une ligue de type classique c’est-à-dire appuyant le coup de force.
Et les Croix de Feu s’élargissent. Dès 1929, on peut les soutenir en devenant « briscards », section à laquelle on peut adhérer si on a servi au moins six mois au front. Le terme vient de « brisque », désignant un chevron d’ancienneté, donné tous les six mois à partir de 1916 dans l’Armée sur le front, au bout d’un an de service.
A la fin 1930, ce sont les « volontaires nationaux » qui seront formés, chargés de rassembler des jeunes adultes n’ayant pas fait la guerre. François Mitterrand en fera partie.
En 1932, c’est une section de jeunesse qui est fondée, avec les Fils et Filles des Croix de Feu. L’année suivante, c’est un Comité pour le regroupement national autour des Croix de Feu qui est monté. Ce comité forme des sections féminines en 1934.
La dynamique est là : dès 1931, la structure possède 16 240 membres, l’année suivante 22 644, deux ans après 28 903 au début d’année, puis 49 000 en juillet 1933, 58 000 en décembre 1933, 125 000 en 1934, 150 000 en 1935.
Ces chiffres sont à diviser en pratique, car les familles entières sont comptées ; ils témoignent cependant d’une véritable lame de fond.
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