La contradiction fondamentale au sein de la Sécession ne manqua pas de faire imploser celle-ci rapidement ; Ver Sacrum n’eut, de fait, que 12 numéros. La Sécession en tant qu’association prolongea son existence, mais elle n’avait été qu’une étape affirmative.
En l’absence de solution national-démocratique en Autriche même, la tendance exigeant la généralisation de l’art forma son propre mouvement dès 1903, les Wiener Werkstätte, les « ateliers viennois ».
L’objectif était de réaliser des produits artisanaux se réalisant possiblement en série : c’est la bourgeoisie, par sa consommation esthétisante, qui devait devenir le vecteur de la généralisation du goût et de la beauté artistique.
C’est ce mouvement qui, on le comprend à l’arrière-plan, devait moderniser le pays, balayant l’idéologie féodale-cléricale-militariste.
L’un des deux fondateurs des Wiener Werkstätte, l’architecte Josef Hoffmann, formula son point de vue de la manière suivante :
« Il est impossible que cela suffise que nous acquérions des tableaux, aussi magnifiques qu’ils soient.
Tant que nos villes, nos maisons, nos pièces, nos armoires, nos appareils, nos habits et nos bijoux, notre langage et sentiments ne représentent pas symboliquement de manière expressive, de manière plus sobre, plus simple et plus belle, l’esprit de notre propre époque, nous sommes immensément loin de nos ancêtres et aucun mensonge ne peut nous tromper à ce sujet. »
Il s’agit d’une allusion à l’artisanat le plus développé du passé et on retrouve le principe des arts & crafts, développé par le communiste William Morris et théorisé notamment dans les Nouvelles de nulle part.
Le niveau artisanal le plus développé et le goût personnel à ce sujet le plus avancé doivent se généraliser dans une société remplie de beauté reflétant l’activité de l’esprit.
Chaque objet de la vie quotidienne doit avoir un haut niveau culturel, façonnant en retour l’esprit qui, se plaisant dans un environnement à son image, se tourne vers la beauté et l’apprécie.
Les Wiener Werkstätte, avec donc Josef Hoffmann, mais également le graphiste Koloman Moser, ainsi que de manière secondaire Carl Otto Czeschka, étaient une coopérative devant donner la dynamique à cela, par la production de meubles, de lampes, de bijoux, de la céramique, des tissus et de la haute couture, de la verrerie, des cartes postales et des affiches, du papier à lettre et des reliures, différents objets comme des couverts de table, des théières, etc.
L’organisation pouvait se montrer totale, dans le moindre détail, dans la production d’objets comme d’environnements sociaux, comme avec le sanatorium de Purkersdorf en Autriche et surtout le Palais Stoclet de Bruxelles, hôtel particulier du financier belge Adolphe Stoclet.
Aucun aspect n’est oublié, depuis les poignets de portes jusqu’aux lampes, des bacs à fleur jusqu’aux fenêtres, de la vaisselle jusqu’à la décoration, etc.
Dans une brochure des Wiener Werkstätte, on lit en 1905 :
« Le désastre incommensurable, que la production de masse de mauvaise qualité, d’une part, et l’imitation irréfléchie de styles anciens, d’autre part, ont causé dans le domaine des arts décoratifs, inonde le monde entier tel un fleuve gigantesque.
Nager à contre-courant serait de la folie. Et pourtant, nous avons nos ateliers.
Nous voulons instituer des rapports cordiaux entre le public, le concepteur et l’artisan, et fabriquer un équipement ménager simple et de bonne qualité.
Nous partons de la fonction de l’objet ; pour nous, il doit être avant tout pratique ; nous tirerons notre force de la qualité de nos relations et de la qualité de notre travail.
Là où il conviendra d’ornementer, nous chercherons à le faire, mais sans nous y forcer et pas à n’importe quel prix ».
On peut se douter que tout cela avait un prix élevé et visait uniquement la bourgeoisie, avec par ailleurs deux magasins en plein centre de Vienne, ainsi que dans les villes thermales tchèques Karlovy Vary (Karlsbad) et Mariánské Lázně (Marienbad), la petite ville de Velden au bord du lac autrichien Wörther, ainsi que Berlin, Zurich et New York.
Les matériaux utilisés étaient les plus coûteux et le projet ne pouvait viser qu’un public de plus en plus élitiste ; c’est la section haute couture et tissus qui rapportait réellement quelque chose, reflétant une orientation toujours plus grand-bourgeoise.
Les Wiener Werkstätte profitaient, de fait, initialement du mécénat du producteur de tissus juif Fritz Waerndorfer, qui fit faillite, le relais étant pris par Otto Primavesi qui fit faillite également. La crise générale du capitalisme, avec le tournant de 1929, fit s’effondrer le projet des Wiener Werkstätte.
Elles avaient été le prolongement le plus abouti de la Sécession viennoise, dans son projet d’esthétisation totale de la société, mais leur dynamique s’appuyait sur une classe sociale dont le mode de production happait toutes les énergies et de plus en plus les biens de consommation, se réservant l’art total devenant de plus en plus un simple raffinement de grand bourgeois.