Le gauchisme n’est pas sorti de nulle part ; il n’est nullement une tendance radicale spontanée qui serait le fruit d’une vague révolutionnaire, comme les gauchistes le prétendent pourtant. Il est issu des courants défaits par la social-démocratie et renouvelant leurs formes.
Il suffit de voir ainsi quelle était la situation aux Pays-Bas, pays où le gauchisme en tant que courant organisé fut particulièrement fort. Il est d’ailleurs parlé, chez les gauchistes, de la « gauche germano-hollandaise » et de la « gauche italienne ».
Les Hollandais Anton Pannekoek et Herman Gorter, ainsi que Henriette Roland Horst, formaient un courant à part dans la social-démocratie hollandaise ; largement influencés par le philosophe allemand Josef Dietzgen, ils considéraient que la conscience gagnait historiquement en puissance, jusqu’à parvenir au niveau de la vision socialiste du monde.
C’était, de fait, la même vision moraliste et par en bas que les syndicalistes révolutionnaires. L’approche était fondamentalement différente de celle de la social-démocratie ; dès 1907, une revue autonome intitulée De Tribune fut d’ailleurs publiée, avec notamment David Wijnkoop et Willem Van Ravesteyn.
Un congrès extraordinaire de la social-démocratie hollandaise – le Sociaal Democratische Arbeiders Partij –, se tenant à Deventer, exigea alors la fin de cette revue et l’obéissance à la discipline du Parti, à quoi fut répondu par la fondation d’un nouveau parti, le Sociaal-Democratische Partij, qui resta toujours extrêmement minoritaire, ses adhérents atteignant le chiffre de 700 en 1916, bien loin des 25 000 membres du Parti historique en 1913, son activité ouvrière n’étant réelle qu’à Amsterdam.
Il obtint cependant quatre places sur cent au Parlement en 1918, grâce à une alliance avec des petits groupes gauchistes ; il prit par la suite le nom de Parti Communiste aux Pays-Bas, puis de Parti Communiste de Hollande, enfin de Parti Communiste des Pays-Bas.
Cette histoire parallèle à la social-démocratie est caractéristique du gauchisme, qui se précipitait après 1917 pour apparaître comme « communiste », alors que le communisme est issu de la social-démocratie.
En France, avant le Parti Communiste français né en 1920, il y eut en 1919 un éphémère « Parti communiste », publiant « Le communiste, organe officiel du PCF et des soviets adhérant à la section française de la IIIe Internationale de Moscou, des conseils ouvriers, de paysans et de soldats ».
Fondé par le syndicaliste Raymond Péricat, il fut classiquement sur les positions gauchistes : refus unilatéral des institutions et de la théorie au nom de la pratique immédiatement « révolutionnaire ».
Attirant à lui des anarchistes, des syndicalistes révolutionnaires, il s’effondra rapidement, après avoir pris la dénomination de « Fédération communiste des soviets ».
En Italie, ce fut Amadeo Bordiga qui, après avoir adhéré à la social-démocratie en 1910, tenta d’amener le Parti Communiste d’Italie sur des positions similaires, avec un échec finalement complet.
En Allemagne, le processus se déroula de manière similaire par une tentative de parasitage du Parti Communiste d’Allemagne fondé par Rosa Luxembourg et Karl Liebknecht, à la suite de 1917. Le gauchisme fut toutefois repoussé par vagues successives, avec notamment une « résolution contre le syndicalisme » en juin 1919.
Les fondements du gauchisme sont donc les mêmes, dans tous les pays où il a existé de manière significative, c’est-à-dire en Hollande, en Allemagne et en Italie. Des éléments extérieurs à la tradition social-démocrate ne cernent que les problèmes de celle-ci et posent une ligne ultra-volontariste qu’ils s’imaginent conformes au léninisme.
Puis vient la désillusion complète, le léninisme les réfutant de manière systématique, ce qui produit une tentative de formation d’une idéologie qui sera historiquement qualifiée d’ultra-gauche, rejoignant de multiple manière les rangs syndicalistes révolutionnaires.
En effet, le gauchisme est simplement une forme nouvelle du syndicalisme révolutionnaire, dont il se distingue par la mise en valeur, non pas de la forme syndicale, mais des conseils de travailleurs, les fameux Soviets ayant pris le pouvoir en URSS à l’initiative des bolcheviks.
Par contre, tant le syndicalisme révolutionnaire que le gauchisme en tant que « conseillisme » rejettent la conception d’avant-garde et de Parti Communiste comme état-major du prolétariat, c’est-à-dire le léninisme.
Mais ce n’est pas tout : il refuse surtout, fondamentalement et c’est là son noyau dur, le principe du Parti fondant sa démarche sur une théorie scientifique.