La subjectivité dialecticienne, pinacle du marxisme-léninisme-maoïsme pour le XXIe siècle

Le XXe siècle nous offre un recul précieux pour aborder les contours de la révolution au XXIe siècle. C’est un point essentiel qu’il faut sans cesse rabâcher. Avec l’acquisition du marxisme-léninisme-maoïsme par le PCF (mlm) dans les années 2010, puis la mise en avant novatrice du Parti matérialiste dialectique dans le flux de l’affirmation de la Seconde crise générale du capitalisme commencée en 2020, on lit dorénavant correctement la Révolution dans toutes ses dimensions.

Projetons-nous historiquement. En 1913, Lénine nous offrait une synthèse des racines historiques du marxisme avec son article sur les « trois sources constitutives du marxisme ». Il y argumentait que la philosophie allemande, le socialisme français et l’économie politique anglaise, formaient la base essentielle pour voir se développer ensuite le marxisme.

Si l’on relit cet article à l’aune du maoïsme, on peut affiner la compréhension des fondements du marxisme en y intégrant le statut de chacun de ces éléments.

Ce qui apparaît clairement est que les trois parties constitutives du marxisme n’ont finalement pas le même rôle dans la conscience révolutionnaire propre à chaque contexte national.

Ce qu’on peut donc affirmer, c’est qu’au XXe siècle, ce qui a principalement manqué à la France, c’est bien la dimension allemande, c’est-à-dire idéologique, celle qui assume une vision du monde générale et cohérente. Et de manière dialectique, l’Allemagne a raté la dimension française, celle de l’action ingénieuse au moment voulu – la victoire du nazisme aura été fatale à ce point de vue.

La question de l’état d’esprit français, empressé de lier la pensée à l’action immédiate, avait été souligné par Karl Marx dès la publication du Capital en traduction française. Dans sa lettre au traducteur, il déclare la chose suivante :

« La méthode d’analyse que j’ai employée, et qui n’avait pas encore été appliquée aux sujets économiques, rend assez ardue la lecture des premiers chapitres, et il est à craindre que le public français, toujours impatient de conclure, avide de connaître le rapport des principes généraux avec les questions immédiates qui le passionnent, ne se rebute parce qu’il n’aura pu tout d’abord passer outre.

C’est là un désavantage contre lequel je ne puis rien si ce n’est toutefois prévenir et prémunir les lecteurs soucieux de vérité.

Il n’y a pas de route royale pour la science, et ceux-là seulement ont chance d’arriver à ses sommets lumineux qui ne craignent pas de se fatiguer à gravir ses sentiers escarpés. »

Karl Marx dit ni plus ni moins que les Français n’arrivent pas à avoir une réflexion systématisée leur permettant d’obtenir une vue scientifique d’ensemble. Ils s’emmêlent les pinceaux, aboutissant à des bricolages idéologiques, comme il a pu le constater et le critiquer violemment face à Proudhon.

Si l’on regarde par contre la Russie de Lénine, celle de 1900, il est clair que l’aspect principal était l’aspect anglais : les Russes avaient été trop « contaminés » par le populisme et la fable d’une transition directe du tsarisme féodal au socialisme sans passage par le « purgatoire capitaliste ».

Lénine l’avait parfaitement compris et en insistant sur cet aspect, il s’est appuyé sur l’aspect principal pour affirmer correctement le marxisme en Russie, pavant la voie à la réussite de la première révolution socialiste.

Cette affirmation ne s’est pas faite de manière abstraite mais justement en tenant compte de ces caractéristiques : les mencheviques, formalistes, proclamait l’« attente » du développement du capitalisme pour avoir les bases à la révolution, alors même que la Russie avait été marquée par ce populisme appelant à l’activité révolutionnaire « sans plus attendre ».

Avec le bolchevisme et l’affirmation de l’interpénétration de la révolution démocratique et socialiste menée par le prolétariat, la contradiction a été résolue correctement. Il avait été insisté sur la critique scientifique de l’économie politique, cela a eu son résultat.

On peut également affirmer que Mao Zedong, dans le contexte d’une Chine pourrie par des mœurs issues de conceptions féodales spécifiques tels que le confucianisme, a affirmé l’importance du rôle de la philosophie, ici des racines philosophiques allemandes du marxisme.

Ce qu’on doit donc relever, c’est que le marxisme a été correctement saisi dans des contextes nationaux particuliers où une figure particulière est parvenue à saisir ce qui devait primer, comme source, dans sa réception publique. En soi, le léninisme, en tant que réalisation de la pensée-guide de Lénine au contexte russe, est l’insistance sur l’acquisition par le prolétariat russe de la critique de l’économie politique, grâce à une organisation politique indépendante de la conjoncture sociale-économique.

L’insistance sur l’une des racines du marxisme apparaissait d’autant plus importante que l’on se situait au début du lancement du mode de production capitaliste sur ses bases spécifiques – c’est-à-dire visant la liquidation complète de la paysannerie issue de l’ancien régime et le développement total d’une société de consommation. La naissance du prolétariat permettait l’existence d’un temps libre en dehors du travail. Il n’y avait pas l’écrasement par la société de consommation.

Il existait bien entendu l’hégémonie restante de l’ancien régime (église, religion…), mais il y avait le contre-poids de l’éducation et de la « conscientisation » dans le but de saisir correctement le processus d’industrialisation en cours.

« Le développement du capitalisme en Russie » est ici un grand classique de Lénine. Et cela pouvait aller jusqu’à, le cas échéant, en prendre la direction, ce qui fut le but de la révolution d’octobre 1917 puis l’affirmation de la construction du socialisme en URSS.

On parle donc ici d’un aspect très important. Il en allait pour les révolutionnaires russes de comprendre correctement la naissance du marxisme dans ses fondements historiques. C’était une question d’apprentissage du marxisme, d’éducation.

Et c’était vrai bien entendu pour les révolutionnaires de chaque pays, qui devaient repérer les lacunes particulières, propres à leur pays, pour bien saisir le marxisme en ce qu’il avait d’universel.

Au regard du XXIe siècle, cette question apparaît pourtant comme secondaire. Non pas que les contextes nationaux aient perdu de leur importance.

L’échec de la bonne réception du marxisme en France exige encore en retour d’avoir une approche systématique, du type de l’héritage philosophique allemand. Le relativisme français, à prétention rationaliste, est un frein.

Mais cet aspect ne joue plus l’aspect principal comme cela devait être le cas au XIXe et début XXe siècles.

Depuis ses fondements historiques du XVIIIe siècle, le marxisme s’est en effet enrichi, développé jusqu’au marxisme-léninisme-maoïsme. Il s’est émancipé de ses fondements, en ayant acquis son propre développement, son évolution autonome.

La Grande Révolution Culturelle Prolétarienne, avec la mise en avant du matérialisme dialectique, est le point de bascule historique dans cette affirmation. À partir de là, le marxisme au XXIe siècle est un fruit mûr dont le nectar peut être extrait.

Le développement abouti du mode de production capitaliste – liquidation complète de la paysannerie, développement d’une société de consommation disposant de tout le temps « libre » – amène à ce que les prolétariats de chaque pays ont à saisir la substance même du marxisme-léninisme-maoïsme.

Il eut été bien naïf, et non-dialectique, de penser que le marxisme, bien qu’enrichi par les expériences du XXe siècle par le léninisme puis le maoïsme, avec le marxisme-léninisme-maoïsme, se suffise à lui-même. De la même manière que la pomme arrivée à maturité fournit son pur jus, le marxisme arrivé à maturité fournit son nectar.

C’est toute la raison pour laquelle il faut attendre la France des années 2020 pour voir surgir la proposition du Parti matérialiste dialectique : c’est à la fois un « rattrapage » après un siècle d’erreurs anti-idéologiques et une affirmation générale, universelle, propre à la situation du mode de production capitaliste parvenu à développer une société de consommation mature.

Il n’est plus question d’un prolétariat « libre » en dehors du travail salarié, lisant des journaux et cherchant à s’organiser pour son émancipation. Il n’est donc plus simplement question de l’importance de la conscience, de l’élévation de son niveau.

Il faut une démarche subjective de rupture avec une conception périmée du monde, périmée car le précipitant dans la décadence généralisée avec la guerre mondiale comme horizon.

Dorénavant, devant le XXIe siècle posant l’effondrement historique de l’Occident et l’illusion d’un nouvel ordre fondé sur un Tiers-Monde intégré à la mondialisation capitaliste, le marxisme plein de maturité historique peut lancer un mot d’ordre synthétique : la dialectique partout !

Si l’on veut que la révolution triomphe, c’est-à-dire si l’on a comme programme le changement complet de l’univers mental, on a besoin précisément d’un nouvel horizon, d’une nouvelle perspective, d’une vision complète du monde, et non pas simplement d’une « doctrine » historique et d’un programme politique.

Ce qui se suffit, c’est le noyau commun qui est le matérialisme dialectique, et comme le prolétariat des métropoles capitalistes avancées a acquis un niveau de savoir et de connaissances plus qu’élaboré, on peut même dire que le matérialisme est acquis, au moins en tout cas dans les éléments avancés de la classe. Reste donc la substance essentielle : la dialectique.

À ce sujet, le prolétariat d’un pays avancé comme la France a tout à fait saisi que le capitalisme n’était pas simplement l’accumulation de capitaux sur différents marchés, mais aussi une production idéologique rendue nécessaire pour écouler l’avalanche de marchandises produites dans le cadre de la société de consommation. Que le prolétariat ait compris cela ne signifie pas qu’il n’ait pas mis les pieds dedans.

Toujours est-il que le capitalisme a fait triompher une idéologie conforme à son développement avancé : on n’est plus dans le républicanisme, le fédéralisme saupoudré de libéralisme, mais dans l’idéologie post-moderne qui valorise la juxtaposition (« inclusion ») des différentes identités ressenties et choisies selon le modèle de consommation proposé. Derrière ce modèle, il y a le triomphe des principes de cloisonnement et de particularisme, tout en feignant leur « connexion » par leur intégration dans les flux marchands.

À la base de cela, il y a tout un mode de vie : des pavillons en série aux enseignes commerciales en lot en passant par la « personnalisation » de son automobile ou de sa « playlist ».

C’est la quintessence de la proposition capitaliste de procéder à la séparation des choses, au cloisonnement de la vie, tout en la mélangeant en apparence, et en la mélangeant vraiment, mais de manière relative seulement. Le capitalisme implique de ce fait un mélange factice, superficiel, en fait archaïque, car incapable d’une fusion réelle et aboutie, cohérente, universelle.

Prenons un exemple concret : l’alimentation végétale. Dans la société bourgeoise, les personnes qui arrivent jusqu’à assumer cette alimentation le font le plus souvent avec plusieurs justifications en tête.

Cela sera la Planète contre les émissions de carbone de l’élevage, la condition horrible des animaux d’exploitation, des considérations de santé. On juxtapose les choses sans en saisir la substance, ainsi et les géants de l’agroalimentaire sont saufs, car ils peuvent proposer des « marchés ».

D’où l’adoption par les végétaliens de produits de substitution, de type simili-carné, au lieu de produire une nouvelle culture culinaire ou bien de puiser dans la très riche histoire culinaire justement végétalienne.

Cette absence de capacité à réaliser une liaison à l’histoire, à saisir les interrelations, est un puissant un obstacle à l’avancée de la civilisation.

Une subjectivité dialecticienne, à l’inverse, ne sépare pas les choses. Elle affirme par exemple ici le fait qu’en tant qu’animal naturel, l’être humain est un organisme naturel qui se doit de s’inscrire correctement dans le mouvement d’ensemble de la Nature.

Il n’y a pas de justifications « séparées », mais une démarche d’ensemble logique et connectée qui se résume par : la nature ne s’autodétruit pas et cela englobe donc nos amis vivants, la planète elle-même comme super-organisme vivant évoluant dans le tout général de l’Univers.

Considéré ainsi, il y a un appel clair et limpide à la Révolution et à tout ce qui empêche la réalisation d’une telle harmonie universelle, à commencer par les monopoles agroalimentaires qui ont tout cloisonné pour mieux neutraliser et perpétrer leurs profits fondés sur le carnage. Ce qu’il s’agit de bien comprendre, c’est qu’on ne peut s’émanciper d’une société moderne sans abattre son socle matériel et sa justification « intellectuelle ».

La propriété privée érigée en « droit naturel » en forme le socle, du patron décidant comme bon lui semble de l’emploi des ses machines au féminisme bourgeois du « mon corps, mon choix », jusqu’à l’humanité anthropocentriste se refusant de considérer la Nature, et donc les animaux, autrement que comme une ressource exploitable.

Ce dont les révolutionnaires ont besoin, ce n’est pas seulement de savoir construire les « trois épées » que sont le Parti, l’Armée, le Front, compris correctement au XXe siècle dans ce qui est devenu le marxisme-léninisme-maoïsme, mais de générer une subjectivité qui a banni de son raisonnement le cloisonnement, le particularisme, l’unilatéralisme.

Maintenir le drapeau rouge levé au XXIe siècle, c’est par conséquent et de manière toute naturelle réaliser une subjectivité dialecticienne.

Cela n’est pas une méthode pour résoudre à la manière d’ingénieurs les questions économiques, politiques, écologiques, ni même artistiques et culturelles. C’est une vision du monde à la hauteur d’une situation historique qui tend à plus de densité, de complexité et d’interconnexions.

Il faut accepter d’analyser toute chose comme issue d’une contradiction entre deux forces se confrontant, avec des aspects plus ou moins importants dans cette même confrontation, l’une des forces représentant l’ancien, l’autre le nouveau. Cela exige une implication subjective certaine, un effort intellectuel prolongé assumé, une propension à l’étude de tous les éléments.

Partout et tout le temps, devant n’importe quel problème que la vie pose devant soi, du plus infime au plus important, ce qui est moralement juste est la décision qui accompagne l’affirmation de la nécessité positive contenue dans « le problème ».

Problème entre guillemets, car en fait il n’y a jamais à proprement de « problème » puisque rien n’est figé et tout se transforme, reste à savoir comment bien refléter et accompagner cette transformation pour ne pas accuser des retards et retours en arrière trop coûteux.

Comprendre le mouvement du monde, y participer, porter le nouveau contre l’ancien, le juste contre l’injuste – tel est le sens de la dialectique.

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